Le mot (qui ne me plaît pas nécessairement), semble sur toutes les lèvres, dans tous les esprits. Je ne vous cache pas une forme de satisfaction bien qu'elle soit teintée d'une certaine distance, si tant est que la distance puisse être une teinte. Disons qu'une certaine expérience de la vie politique me permet peut-être de regarder tout cela avec la mesure qu'il convient.
Je constate non sans déplaisir que de nombreuses vocations se révèlent. Je ne vais pas jusqu'à dire que la grâce produit son effet mais disons que du chemin de Damas pour les uns jusqu'à la Révélation, tous les chemins finissent par mener à cette idée simple, c'est qu'au final, c'est toujours sur soi-même qu'il faut compter quand l'essentiel est en jeu.
Rien ne sera simple, on nous sortira les vieux schémas, les anciennes caricatures, les gousses d'ail et s'il le faut, l'eau bénite qui accompagnera je ne sais quel exorciste afin de repousser le mal incarné : «Souveraineté nationale sort de ce corps.» Le destin du monde était tout tracé, nous pouvions voguer vers les rivages heureux de la mondialisation et de la globalisation financière.
Nouvel eldorado, nouveau rêve prométhéen mais qui se fracasse une fois de plus sur la réalité, bien que de multiples avertissements disant que Non, décidément Non, les Français n'en voulaient plus, notre bonheur se ferait malgré nous... Il y a 15 ans par exemple (29 mai 2005) le message était d'une clarté biblique, rien n'y fit. Les grands prêtres de l'orthodoxie budgétaire et financière qui avaient oublié leurs anciennes croyances, priaient désormais avec d'autres bréviaires. Traités de libre-échange, marché unique, Maastricht, Lisbonne, concurrence libre et non faussée, travail détaché, règle d'or, déficit public... devinrent les nouveaux commandements.
Leurs simples évocations devaient suffire à faire régner la paix éternelle sur la terre et entre les peuples et la multiplication des richesses, comme les petits pains, donner abondance et prospérité à tous les hommes de bonne volonté. Rome n'était plus dans Rome mais dans une nouvelle cour itinérante qui allait de Berlin à Bruxelles en passant par Francfort, tout en effectuant régulièrement le pèlerinage de Washington. Et à ce peuple de plus en plus incroyant venait s'abattre une nouvelle plaie d'Egypte. Un virus, tel l'Ecclésiaste venait rappeler que décidément : «Vanité des vanités, tout est vanité.»
En fait les choses sont au final relativement simples. Pourquoi cette idée de souveraineté refuse de mourir ? Pourquoi, alors que l'ensemble de ce qui compte dans le pays, l'ensemble des élites politiques, médiatiques, culturelles, économiques ayant fait leur conversion depuis près de 40 ans, pourquoi, non seulement cette idée refuse de disparaître mais qu'elle a en plus, le mauvais goût de persister, de réapparaître régulièrement et de finir par effrayer à nouveau celles et ceux qui ne cessent de vouloir danser autour de son cercueil ?
La Nation est vivante et reste le lieu de l'expression et de la possibilité démocratique
La Nation ne cesse de revenir d'outre-tombe. On voulait qu'elle soit morte et enterrée, on voulait qu'elle soit rangée bien sagement sur une étagère oubliée au fond d'un musée. Une vieille photo de famille en noir et blanc dont l'image s'efface... Mais non, rien n'y fait. Pire qu'un mort-vivant. C'est dire !
Et bien pour une raison simple : la Nation est vivante et reste le lieu de l'expression et de la possibilité démocratique. Equation à de multiples inconnues que l'Union européenne n'est toujours pas parvenue à résoudre.
Peut-être vivons-nous l'un de ces moments que nous pouvons qualifier de «ruse de l'histoire» et il faut le saisir. Mais il faut pour cela être précis. Nos contempteurs ne sont et ne seront pas en reste. Il est donc indispensable de s'entendre sur ce que signifie le «souverainisme». Terme qu'utilisent tel un répulsif celles et ceux qui souhaitent nous discréditer en nous renvoyant «aux heures les plus sombres de notre histoire», oubliant habilement de dire que c'était justement à cette période que notre souveraineté était abolie et que le pays était sous le joug de l'occupant.
L'idée de la souveraineté peut faire peur car elle ouvre des perspectives immenses, elle est un peu «à nouveau une idée neuve en Europe» pour paraphraser Saint-Just. Parce qu'en France elle se confond avec l'idée républicaine et que la force de cette idée n'a rien perdu de sa vitalité, de sa puissance et de «son éclat» pour reprendre le propos de Mona Ozouf dans la parution du think tank L'aurore.
Je comprends que tout cela perturbe. Mais l'histoire frappe à nouveau à notre porte et plutôt que de sombrer une fois de plus dans le piège délicieux du «plus souverainiste que moi tu meurs», peut-être est-il plus que temps de participer à la création d'une véritable perspective politique qui s'appuierait sur les idées qui sont les nôtres mais dont il nous faut vérifier que nous les partageons.
Je vois déjà poindre les remarques, plus ou moins désagréables sur tel ou tel (telle ou telle) qui ne serait pas assez ceci ou pas assez cela. Comment ne pas être un peu dépité en constatant les moqueries, voire les insultes à l'endroit de Jean-Pierre Chevènement parce qu'il a évoqué l'idée d'un gouvernement de salut public dans le cadre d'un rassemblement d'Union nationale... ? Certes c'est Emmanuel Macron qui serait à la manœuvre (je mesure toutes les méfiances voire toutes les défiances) mais c'est lui le président de la République et la prochaine élection, c'est dans plus de deux ans. Or s'il s'avère que ce soit une véritable opportunité qui corresponde à l'intérêt du pays faut-il en refuser l’examen ? J'ai toujours considéré que c'était d'abord l'intérêt du pays qui devait primer.
Comment être crédible dès lors que les «souverainistes» se plongent en permanence avec délice dans le bain de la division. S'il faut systématiquement fournir quatre quartiers de noblesse souveraine avant de pouvoir envisager le commencement d'un début de quelque chose, alors de grâce... cessons de prétendre à quoi que ce soit politiquement parlant. Contentons-nous de participer à des débats, des colloques, des séminaires, des rencontres... occupons le ministère de la Parole, on nous le laissera sans aucun problème.
Il est plus que temps que nous nous rencontrions très sérieusement. Des initiatives précurseurs, comme les «Rencontres républicaines» indiquent le chemin, Michel Onfray a lancé sa proposition de «Front populaire» pour ne citer que lui. Il faut aller au-delà.
Nous devons bâtir un «programme commun» de gouvernement et en débattre collectivement. Il doit proposer une refondation de la République et répondre à quelques grandes questions pour commencer :
- Pouvons-nous rebâtir notre souveraineté nationale ? Avec qui ? Comment ? Avec quels moyens ? Pour une République sociale, laïque et démocratique.
- Peut-on renégocier les traités européens ? Sommes-nous d'accord avec la perspective d'une Europe «actrice stratégique» du monde en devenir. Pour atteindre quels objectifs ?
- Que devient l'euro ?
- Quelles relations avec l'Allemagne et l'Europe du Sud ?
- Quelles relations avec la Russie ?
Quoi que nous réserve l'avenir, nous avons déjà perdu trop de temps. Quoi qu'il se passe, bâtir une nouvelle offre politique afin de mettre sur pied une nouvelle perspective pour notre pays et pour l'Europe, prendra du temps.
Les adeptes du néolibéralisme [...] sont d'accord sur les fondamentaux et se maintiennent en grande partie sur l'incapacité qui est la nôtre à fournir l'effort qui nous permettrait de penser le monde autrement
Il faut être prêt. Il faut donc être en capacité d'examiner le contenu de ce pourrait-être un gouvernement de salut public dans le cadre de l'Union nationale. Ce qui n'empêche pas, bien au contraire, de préparer la présidentielle. C'est la raison pour laquelle, un gouvernement de salut public ne peut se mettre sur pied que sur des objectifs précis et c'est à partir de ces objectifs qu'il faut prendre une décision.
Les adeptes du néolibéralisme n'ont pas tant de pudeur, ils sont d'accord sur les fondamentaux et se maintiennent en grande partie sur l'incapacité qui est la nôtre à fournir l'effort qui nous permettrait de penser le monde autrement.
Mais comme interroge fort justement Marie-Françoise Bechtel : «Avons-nous les moyens moraux de vouloir et mettre en œuvre des politiques rompant avec le passé ?»
La balle est dans notre camp. A nous de nous retrouver, de vérifier ce qui nous sépare, ce qui nous divise de façon irrémédiable (ou pas), ce qui nous rassemble, ce que nous pouvons faire ensemble afin de continuer à «faire France» et République. Nous devons en avoir la force et l'intelligence.