France

Glucksmann, DSK, Macron... Les opposants au souverainisme revoient leur copie à l'aune du Covid-19

Emmanuel Macron, DSK, Xavier Bertrand, ou encore Raphaël Glucksmann : partisans de l'économie de marché et opposants au souverainisme revoient leurs fondamentaux en pleine crise. La critique du libéralisme a le vent en poupe... par opportunisme ?

«Je retourne ma veste, toujours du bon côté» : tandis que la pandémie de coronavirus sévit, ces mots de Jacques Dutronc semblent avoir été entendus dans la classe politique. En premier lieu, par le président de la République.

Partisan d'une Europe plus intégrée, résolument hostile au souverainisme national, Emmanuel Macron a semble-t-il corrigé – du moins dans le discours – ce credo. Le 13 avril, lors de son allocution, il lance de nouvelles incantations en plaçant l'Etat au centre de l'action politique, notamment dans le domaine de la santé : «Il nous faudra rebâtir notre économie, garder notre indépendance financière, agricole, sanitaire, et plus d’autonomie stratégique pour notre Europe. Cela passera par un plan massif pour notre santé, notre recherche, nos aînés, entre autres». «Sachons nous réinventer, moi le premier», confesse-t-il ce jour-là. Le gouvernement n'est pas en reste et commence à évoquer de possibles «nationalisations», afin de relever les entreprises au bord du crash. Les privatisations massives semblent dès lors reléguées au passé, y compris celle, controversée, promise aux Aéroports de Paris.

Malgré tout, il y a loin de la parole aux actes. Et pourtant, certaines sociétés considérées comme stratégiques par certains en cette période de crise sanitaire, n'attendent que cela. L'exemple de Luxfer est criant : celle-ci, située dans le Puy-de-Dôme, a été liquidée en 2019 par ses propriétaires britanniques. Sans emploi, plus de 100 salariés espèrent toujours sa nationalisation. Bruno Le Maire l'a toutefois refusée. Laissés sur le carreau, les salariés espèrent toujours un sursaut du gouvernement.

Le social-libéralisme n'a pas le vent en poupe

A l'image d'Emmanuel Macron, l'un des fondateurs du courant social-libéral, qui accouchera notamment du macronisme, Dominique Strauss-Kahn, a semble-t-il lui aussi épousé certaines critiques de la mondialisation dans un long article publié le 5 avril par la revue Politique Internationale. L'ancien patron du FMI, partisan de la rigueur budgétaire et d'une Europe fédérale, a découvert une donnée avec la pandémie : «Nous constatons, éberlués, qu’une bonne part de nos approvisionnements en médicaments dépend de la Chine. En laissant ce pays devenir "l’usine du monde" n’avons-nous pas renoncé dans des domaines essentiels à garantir notre sécurité ?»

Plus étonnant, il admet que les «doctrinaires», estimant que la mondialisation est le «stade suprême du capitalisme» ou que les «idéalistes», qui voient l'une des causes de la pandémie dans «l’absurdité écologique de faire transiter vingt fois des marchandises d’un bout à l’autre de la planète qui était en cause»... «avaient partiellement raison». Il ajoute : «Il est fort probable que la crise conduise à des formes de relocalisation de la production.» Une formule qui a de quoi étonner de la part de celui qui, en 2009, s'inquiétait que le protectionnisme puisse «revenir par la porte de derrière».

Raphaël Glucksmann, souverainiste en devenir ?

Autre personnalité dite de «gauche» contrainte par les événements à revoir son logiciel de pensée : le libéral repenti Raphaël Glucksmann. Toujours très europhile, prônant le fédéralisme (à l'image de son soutien à la constitution de listes transnationales aux élections européennes) et virulent dans sa critique des anti-UE, l'eurodéputé vient de se lancer, dans une tribune pour l'Obs le 12 avril, dans une apologie... du souverainisme. Il recourt néanmoins avec abondance au «en même temps», expliquant croire au concept d'«Europe souveraine», tout en notant que «l'Europe est au fond le dernier continent à croire en la fable de la mondialisation heureuse». Concédant essayer de penser contre son «propre logiciel», il estime que «l’Europe devra redonner aux Etats et aux nations leur souveraineté» dans le cas où «nous [n’arriverions] pas à faire bouger les lignes à Bruxelles sur certains sujets». Il assure d'ailleurs : «Ce qui doit primer, ce n’est pas l’idéal européen, c’est la nécessité de redevenir souverain.» 

Le centre-droit libéral, contraint de mettre de l'eau dans son vin

Autres propos qui ont marqué médiatiquement ces dernières semaines : ceux du président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Défenseur en 2012 de la règle d'or budgétaire – autre nom de l'austérité –, Xavier Bertrand vient de se lancer dans une argumentation qui pourrait satisfaire les néo-keynésiens. Sur BFM TV, le 12 avril, il prévient tous les laudateurs de l'austérité : «Si à la sortie de cette crise, la réponse est l’austérité, [ceux qui nous gouvernent] n’ont rien compris du tout. L'austérité et les logiques comptables, c'est quand même ce qui nous a mis dans cette situation-là, notamment pour les enjeux de santé et de production de biens de santé [...] Et je suis farouchement opposé à l’idée de faire payer la facture aux salariés.» Xavier Bertrand formule ici une réponse au Medef – qui exige que certains congés des salariés soient remis en cause – et à la secrétaire d'Etat à l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, qui souhaite également que les Français fassent plus d'efforts et travaillent davantage après la crise. Xavier Bertrand s'insurge face à de telles positions, s'interrogeant sur les intentions du Medef et du ministère de l'Economie : «Qu'est-ce qu'on veut là ? On veut rendre fous les Français ? »

Des positions qui sont cependant aux antipodes de la politique soutenue par Xavier Bertrand sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Comme le rappelle Marianne le 13 avril, l'ancien secrétaire d'Etat chargé de la réforme de l'assurance maladie et ministre de la Santé entre 2004 et 2007 n'avait pas été un opposant farouche au «démantèlement de l'hôpital public et [à] la baisse du nombre de lits [qui] avaient déjà commencé», ni aux mesures d'austérité et d'économies dans la fonction publique sous Nicolas Sarkozy, alors qu'il était ministre du Travail, entre 2007 et 2012. Et le magazine de rappeler que Xavier Bertrand a été l'un des soutiens de François Fillon lors de la présidentielle de 2017. Le programme filloniste prévoyait pourtant de supprimer 500 000 emplois publics en cinq ans ou d'abroger les 35 heures.

Avec cette crise, des voix qui il y a peu taxaient de rétrograde la souveraineté nationale, le protectionnisme et la relance économique, se font moins entendre. Mais cette crise sociale et économique permettra-t-elle pour autant de rebattre durablement certaines cartes idéologiques ? Les paroles seront-elles suivies d'actes ? Rien n'est moins sûr.