Certains saisissent l’occasion de l’épidémie et du confinement pour affirmer que des contraintes autoritaires sont aussi possibles et nécessaires pour combattre le réchauffement climatique, relève Pierre Lévy, du mensuel Ruptures.
On les attendait. On s’impatientait. On s’inquiétait. Mais qu’étaient devenus les acharnés du climat, les Greta-ficionados, les combattants de la planète ? Les premières apparitions du virus remontent désormais à plusieurs mois, et toujours aucune preuve de la culpabilité du réchauffement dans le surgissement de l’agent épidémique. Rien, le Covid sidéral !
C’est désolant.
Alors, faute de grives (bio), il a bien fallu enfiler des merles. Dans le paysage de la presse écrite dominante, Libération et Le Monde ont publié de nombreuses contributions de partisans de la soumission de l’Homme à la nature, ou des tenants de la version douce – la cohabitation harmonieuse et sans conflit.
Certains ont salué au passage «le plus salutaire des coups de frein» que constitueraient les circonstances actuelles. Pour s’en tenir aux seules colonnes du Monde, un premier angle d’attaque a fait revivre le parfum nostalgique d’un «âge d’or» – qui n’a évidemment jamais existé – au sein duquel les humains auraient accepté avec bienveillance leur indépassable infériorité vis-à-vis de la nature. Ainsi, avance l’essayiste Dominique Eddé, «on est en droit de se demander si la pandémie de coronavirus aurait généré autant de panique et d’angoisse dans une autre époque, un autre temps .
On n’a malheureusement pas (encore) inventé la machine à remonter le temps. Sinon, on aurait volontiers conseillé aux sceptiques de la «modernité», voire pour certains de la science, aux amoureux de la biodiversité, aux ennemis du «productivisme», des OGM et des pesticides, de se transporter par exemple au Moyen-âge, quand les épidémies de peste noire étaient – ô temps béni – parfaitement naturelles, tout comme l’étaient les moyens de les combattre, avec l’efficacité incontestable des médecines douces. A défaut, on peut relire Camus. L’écrivain, situant son roman La Peste au vingtième siècle, évoquait les cadavres que l’on ramassait chaque matin gisant dans les rues.
Aussi dramatique que soit l’épisode actuel, on n’en est pas tout à fait là aujourd’hui. Surtout, le chaos tragique que connaissent les hôpitaux français s’explique non par la virulence du virus, mais par la démolition qui a été progressivement imposée au service public de santé. Ainsi, la panique aurait-elle fait irruption si l’on n’était pas passé, en quatre décennies, de 11 lits d’hospitalisation pour mille habitants à 6,5 ? Si l’on avait disposé d’assez de masques, d’assez de tests, d’assez de respirateurs ? La gravité de la situation ne s’explique pas par trop de «modernité», mais au contraire par la manière dont celle-ci a été minée par des choix politiques.
Déjà, en 2010, l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll, qui avait paralysé une large partie du trafic aérien planétaire, avait suscité des commentaires pénitents – y compris un éditorial du quotidien du soir – sur le thème : la nature nous prouve sa supériorité indépassable, cet événement nous rappelle opportunément la nécessaire humilité. Dominique Eddé livre la version 2020 : «l’ignorance et l’impuissance, qui sont en définitive les deux données fondamentales de la condition humaine, sont brusquement de retour au sein de l’humanité».
Comme si l’aventure de l’humanité ne consistait pas précisément à faire reculer, toujours et encore, et sans limite, «l’ignorance et l’impuissance».
Pour sa part, l’inévitable Noël Mamère voit dans la crise actuelle «une sorte de répétition générale avant l’effondrement majeur». L’ancien maire de Bègles fait cependant preuve, allez savoir pourquoi, d’une certaine prudence : nous n’en sommes qu’à la répétition, pour le véritable effondrement, il faudra sans doute patienter encore un peu.
Le second axe d’attaque des Philippulus de l’apocalypse s’intéresse à la méthode employée, en France et dans plusieurs autres pays, pour combattre la crise sanitaire. C’est sans doute le chroniqueur Stéphane Foucart (qu’on a connu plus rationnel précédemment) qui a donné le signal. En substance : si l’on peut imposer autoritairement des mesures drastiques contre l’épidémie, pourquoi ne procéderait-on pas de la même manière pour endiguer la production de CO2 ? Car, pour le journaliste, la méthode douce vantant une transition «verte» progressive (à défaut d’être progressiste) a prouvé son inefficacité. Qui plus est, précise-t-il avec honnêteté, à la différence du confinement temporaire aujourd’hui mis en œuvre, la sauvegarde de la planète devra imposer des contraintes aussi drastiques, mais «durables». Disons jusqu’à 2050 et n’en parlons plus.
Un groupe de militants et d’associatifs n’a pas tardé à embrayer, appelant dans un texte collectif à «entrer en résistance climatique», affirmant «viser une victoire climatique à travers une profonde transformation de nos vies et de nos sociétés». C’est le moment où jamais, affirment-ils, car «la crise du coronavirus vient démontrer à tous qu’une bascule rapide est possible». Pour «sortir du productivisme et du consumérisme», les signataires entendent devenir une «minorité motrice, catalyseur enthousiaste d’une transition désirable capable d’initier le changement nécessaire dans toute la société».
En «phase 1» (cinq sont proposées), ils «invitent» notamment à adopter de sympathiques recettes : «repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2 000 kilomètres par an en voiture ; développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande au maximum deux fois par mois». La «phase 2» devrait déboucher sur «un nouvel imaginaire donnant à voir ce futur frugal et désirable». On notera la référence à la «frugalité», emballage (recyclable) de l’austérité. Quant à la phase 3, elle verrait l’abolition de «l’aviation de masse» ; ce qui, si les mots ont un sens, signifie le retour à l’aviation d’élite. Enfin, une fois le bon exemple donné, la «phase 5» verrait la mise en œuvre de «l’ensemble des outils de la diplomatie politique et économique (…) pour convaincre les gouvernements réfractaires». Lesdits réfractaires n’ont qu’à bien se tenir. Car dans la géopolitique actuelle, les outils évoqués portent un nom : «sanctions».
Encore s’agit-il là de la version douce. Quelques jours plus tard, deux chercheurs proposent leur contribution visant à «tirer les leçons de la crise du coronavirus pour lutter contre le changement climatique». Le refrain est le même, mais en mode comminatoire. François Gemenne et Anneliese Depoux commencent par se réjouir que, vraisemblablement, «beaucoup de ces mesures de ralentissement forcé de l’économie (aient) induit une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre». Prenant l’exemple de la Chine, ils notent que «la période de confinement (…) a vraisemblablement épargné, dans ce pays, un nombre de vies plus important que le coronavirus n’en a coûté» du fait de la baisse de la pollution atmosphérique. Message transmis aux Chinois, qui ne manqueront pas d’appeler de leurs vœux l’arrivée de nouveaux virus, tant le bilan global paraît si positif.
Ce qui semble avoir échappé aux auteurs, c’est que la production de l’ex-Empire du Milieu a certes brutalement chuté, conduisant ainsi le pays à vivre sur ses réserves. Mais pourrait-il tenir longtemps sans produire ? Et donc sans, le moment venu, être en proie à la disette – dans un air cependant de plus en plus pur, appréciable consolation.
Les auteurs du texte se réjouissent : «il est (donc) possible que des gouvernements prennent des mesures urgentes et radicales face à un danger imminent (et…) que ces mesures soient acceptées par la population». Mais pour se désoler aussitôt : «nous sommes à l’évidence incapables de faire de même pour le changement climatique». Ils s’interrogent sur les raisons d’un tel hiatus.
La conclusion est sans appel, et mérite d’être intégralement citée : «la lutte contre le changement climatique aura également besoin de mesures décidées verticalement : si nous attendons que chacun prenne les mesures qui s’imposent, nous risquons d’attendre longtemps».
On soulignera au passage le terme «verticalement», qui renvoie évidemment à la «verticale du pouvoir», expression consacrée pour stigmatiser l’autoritarisme attribué au président russe. Le message est sans ambiguïté : face à l’urgence climatique, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de ce qui s’appelait naguère la démocratie ; des mesures autoritaires vont s’imposer.
Le sacrifice de la souveraineté populaire au nom de l’urgence climatique – l’injonction n’est certes pas nouvelle. Le petit plus consiste ici à se saisir d’une occasion jugée opportune, précisément du fait de la situation dramatique, pour tenter de marquer des points.
Chacun jugera.
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