De la politique d'Anne Hidalgo à Paris aux élections européennes, le rédacteur en chef du mensuel Ruptures Pierre Levy analyse la «vague» écologiste qui semble saisir l'Europe, rappelant qu'une vague est «toujours condamnée à retomber».
On n’arrête pas le progrès.
Quoique. Quelques députés semblent vouloir faire mentir le proverbe à travers une proposition aussi géniale qu’audacieuse. Dans le cadre du débat sur le projet de loi «mobilités» (on ne dit plus «transports», ça fait ancien monde), les valeureux parlementaires ont déposé un amendement visant à interdire les vols courts courriers sur le territoire national si ces derniers peuvent être concurrencés par le train.
Faut-il préciser qu’il s’agit de sauver la planète ?
A bien y réfléchir cependant, on regrette que les dignes représentants du peuple se soient arrêtés à mi-chemin. Car – y ont-ils songé, les malheureux ? – les TGV ne sont pas encore équipés d’éoliennes, et sont mus par l’énergie électrique, qu’il faut bien produire. Qui plus est, en France, circule dans les caténaires une bonne dose d’électrons d’origine nucléaire. Horreur !
Bien sûr, on pourrait alors penser au vélo pour faire Paris-Bordeaux ou Toulouse-Marseille. Mais, hélas, trois fois hélas, il faut bien les fabriquer, les bicyclettes. Cela pourrait relancer l’industrie, et la terrifique pollution qui va avec.
Non, la véritable audace, et la solution miracle, il faut plutôt la chercher du côté des diligences. Bien sûr, ce serait un peu plus long. Mais, après tout, ne faut-il pas à nouveau prendre le temps de vivre ? Surtout, c’est garanti 100% recyclable, la tête sur le bio. Cela pourrait même enrichir l’économie circulaire : le crottin généreusement répandu sur les chaussées ne manquerait pas de remplacer avantageusement le glyphosate.
On exagère, on caricature ? Voire. Car qui aurait pu imaginer, il y a quelques années à peine, qu’un maire de Paris projette de limiter la vitesse à 50 km/h sur le périphérique, avant d’envisager tout bonnement la suppression de celui-ci ? Qui aurait pu penser qu’un gouvernement, qui plus est autoproclamé «progressiste» (on ne rit pas), interdirait purement et simplement les véhicules à moteur thermique d’ici 2040 ? (2030 à ma gauche, 2020 à ma droite – qui dit mieux ?).
Et chaque jour apporte son lot d’innovations aussi brillantes, qui nous permettront, à n’en pas douter, de pouvoir «regarder nos petits enfants dans les yeux» (on n’ose imaginer comment ces derniers poufferont au souvenir de si formidables aïeux).
Par indulgence, on ne révélera pas les noms des parlementaires à l’origine de l’amendement. Sans surprise, certains sont issus du parti EELV, gonflé à bloc par la «vague verte européenne» si complaisamment révérée par les grands médias. A ce propos, notons que les partis écologistes, dans l’UE, ne progressent que dans sept pays sur vingt-huit ; stagnent, voire régressent dans plusieurs autres ; et sont même inexistants ou marginaux dans une majorité d’entre eux. Si les Verts progressent en France à 13,5% (8,9% en 2014, mais 16,2% en 2009), ils ne recueillent tout de même que 3 millions de voix sur 52 millions de Français en âge de voter. La «vague» est vague. Surtout, cet électorat est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires.
Avec l’amendement évoqué, les Verts sont donc certainement dans leur rôle et alimentent ainsi les fantaisies et angoisses de leur clientèle. La question se pose en revanche pour leurs collègues issus de La France Insoumise. Au fond, la stratégie de ce mouvement, caricaturale lors des européennes, a été de courir après les thèmes des écolos, bref, laver plus vert que vert. Avec les résultats que l’on sait. Et ce, pour une raison que la droite «classique» connaît bien au profit du Front national, désormais Rassemblement national : les électeurs finissent toujours par préférer l’original à la copie.
Surtout, en l’occurrence, quand la copie tourne le dos aux gros bataillons des ouvriers, des privés d’emplois, des classes populaires. Car il ne suffit pas de chanter sur tous les tons que «les revendications sociales sont inséparables des revendications écologiques» pour que cette absurdité devienne réalité.
Personne ne devrait oublier que le mouvement des Gilets jaunes a été déclenché par une étincelle : la hausse de la taxe sur le carburant visant à «changer les comportements» en vue de satisfaire à l’accord de Paris sur le climat (et à ses déclinaisons bruxelloises). Il va donc bien falloir que ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités s’y fassent : les préoccupations quant à la fin du monde (sic !) sont bel et bien antagoniques avec celles touchant à «la fin du mois».
S’il fallait un exemple, l’avenir menacé de toute la filière diesel française l’illustre dramatiquement, puisque le gasoil est l’objet de toutes les fatwas (et ce, alors que la recherche récente a considérablement amélioré les performances technologiques en matière de rejets) : des centaines de milliers de postes de travail sont menacés.
Par ailleurs, les syndicats ont immédiatement été alarmés – à juste titre – par la perspective de l’interdiction pure et simple de voitures à essence ou gasoil, au profit des seuls véhicules électriques (une des dispositions phares du projet de loi en discussion), tant la production des seconds «économisera» des emplois comparativement à celle des premières.
Et que dire des plans de casse industrielle pesant sur General Electric France, en particulier à Belfort ? Il suffit de tendre un peu l’oreille pour comprendre. Que voulez-vous, avouent certains députés macronistes, c’est bien triste, mais les turbines à gaz sont liées, forcément, à cette énergie «fossile» condamnée par les impératifs climatiques.
On pourrait aussi citer le démantèlement de la filière charbon en Allemagne (près de trois décennies après cette même tragédie en France), où vont être liquidés non seulement les puits et les mineurs, mais aussi la culture ouvrière et la solidarité qui faisait la cohésion de régions entières.
Le recul anthropologique qui s’esquisse (il faudrait désormais «préserver» la nature) a pour fondement l’aspiration de la classe dominante à se débarrasser, sous couvert de préoccupations environnementales martelées chaque minute, de la classe et de la culture ouvrières (notamment dans ses bastions les plus emblématiques : charbon, sidérurgie, automobile, chimie, énergie…).
Les dirigeants politiques et oligarques européens ont en outre cette extraordinaire habileté : le système est désormais historiquement incapable d’assurer le développement économique ; mais ses maîtres font légitimer cette incapacité par l’idéologie de la «décroissance», portée et déclamée par ceux qui se croient leurs adversaires…
Il se dit que «la honte de prendre l’avion» se développe en Suède, au point que des citoyens se rabattent sur le train (y compris pour leurs vacances en Italie…). Grand bien leur fasse. Au même moment, la Chine prévoit de quadrupler le nombre de ses aéroports pour répondre à la croissance exponentielle des besoins de déplacement.
On ne voudrait vexer personne, mais le fait est qu’il y a 1 400 millions de Chinois. Et 10 millions de Suédois. Bref, ceux-ci pourraient bien se rendre en jogging de Stockholm à Florence, ça n’aura strictement aucun effet sur le climat. Pas plus que la transformation des aéroports français de province en parcelles où poussent les salades bio.
Aucun effet sur le climat. Mais sans doute, un jour ou l’autre, un effet boomerang politique. Car c’est un détail physique qui semble avoir échappé à nos amoureux de la nature : une vague, c’est forcément condamné à retomber.
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