Alors que les agriculteurs français ne décolèrent pas, un autre motif pourrait venir s'ajouter à leur ire: le TAFTA. Sous cet acronyme, un traité entre l'Europe et les USA de zone de libre échange. Peut-être là la fin d'un certain modèle agricole.
L'agriculture française est-elle en souffrance ou à l'agonie? Les manifestations de ces derniers jours montrent des agriculteurs en colère dénonçant pêle-mêle la grande distribution et leur marge prohibitive. Beaucoup s'insurgent également contre un système européen qui empêche les producteurs agricoles de vivre de leur travail.
C'est dans ce contexte déjà tendu que certains agriculteurs s'inquiètent des conséquences que fera peser sur leur métier le TAFTA, ce traité qui doit théoriquement créer une gigantesque zone de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis, un marché de 800 millions de consommateurs sur 14 millions de km2. Un territoire représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Alléchant sur le papier, mais beaucoup moins dans la réalité.
Emmanuel Aze, agriculteur, décrypte pour RT France les conséquences de ce traité sur le secteur agricole.
RT France: D'après ce qu'on sait, quel sera l'impact du TAFTA sur l'agriculture européenne et plus spécifiquement française?
Emmanuel Aze: Prenons le cas de la viande bovine qui agite les agriculteurs en ce moment. Cette filière est encore relativement protégée par les barrières tarifaires en Europe. Cela permet de produire et de consommer encore de la viande européenne et de se protéger d'importation de viande américaine à des prix extrêmement bas. Dans le cadre du TAFTA, une fois ces barrières douanières levées, on estime que le revenu des producteurs de viande bovine en France chuterait de 40 à 50%. Cela signifierait une arrivée massive sur le marché européen de viande canadienne et américaine. Ce serait tout simplement l'effondrement du secteur de la viande bovine.
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RT France: Par quels mécanismes précisément tout cela se fera?
Emmanuel Aze: Le TAFTA est composé de plusieurs volets. Il y a le volet classique des barrières tarifaires. La partie coopération réglementaire qui institue un organisme de coopération réglementaire où siègeraient un certain nombre de fonctionnaires, entourés de représentants de l'industrie. Cet organisme statuerait sur l'homogénéisation des systèmes de réglementation des deux côtés de l'Atlantique. Il courtcircuiterait les instances politiques démocratiques. Le troisième volet est le mécanisme de règlement des différents entre Etats. Ces trois mécanismes vont concerner évidemment l'agriculture et vont l'impacter.
RT France: Que pensez-vous des déclarations de Pierre Moscovici qui estime que le TAFTA va profiter plus à l'Europe qu'aux Etats-Unis puiqu'il ouvrira le marché américain?
Emmanuel Aze: C'est n'importe quoi. D'abord de quel produit parle-t-il? De toute façon, il faut regarder le projet politique que porte le Tafta. Il ne faut pas l'envisager à travers les différents secteurs concernés par ces négociations. Chaque secteur économique est hétérogène. Quelle est l'idée sous jacente au TAFTA? Que le mieux être collectif procède d'un accroissement de la compétition économique. C'est un projet de société qui considère les citoyens commes des consommateurs. Il vise à la baisse des prix et à l'accroissement du profit pour seulement quelques multinationales. Tous les petits agriculteurs seraient en danger. Dans le domaine agricole, ne survivraient que les grosses unités industrielles qui ont des moyens de production à bas prix, une mécanisation à outrance. Pourquoi la FNSEA défend-elle cet accord alors qu'on sait que le Tafta va nuire à l'agriculture européenne et française? Tout simplement parce que la FNSEA est dirigée par des multinationales agricoles et non plus par de petits agriculteurs.
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RT France: On parle de poulets javelisés, de viande aux hormones, d'OGM qui pourraient être importés. Est-ce des choses vérifiées?
Emmanuel Aze: Ce sont des craintes absolument vérifiées. Les industriels étatsuniens ont demandé à leurs négociateurs comme préalable que soit autorisées aussi en Europe la ractopamine [NDLR un médicament permettant d'obtenir une viande plus maigre], la désinfection des poulets à la javel et l'importation de boeufs à l'hormone de croissance. Ils ne l'ont pas obtenu encore. Mais cela reste sur le feu. A cela les institutions européennes et Stéphane le Foll répondent que ce sont des lignes rouges qui ne seront jamais franchies. Et ils ont raison. Il n'y aura jamais de telles propositions dans l'accord final tout simplement parce qu'il ne va pas traiter des détails. Mais ce genre de dispositions sera ailleurs. Le volet coopération réglementaire va en effet créer un organisme qui traitera a posteriori de la convergence réglementaire. Ce genre de décisions d'importer de tels produits se fera donc dans le cadre obscur de cet organisme. Ce ne sera même plus discuté.
RT France: Si le TAFTA va servir à faire du dumping agricole, à contrer les normes européennes, pourquoi l'Union européenne persiste-t-elle à le négocier?
Emmanuel Aze: On peut aussi se demander pourquoi c'est la Commission qui négocie, pourquoi le Parlement européen n'a pas fait grand-chose pour enrayer le processus? Comment des élus peuvent participer à un projet qui porte la fin de la démocratie en Europe? Les mécanismes que portent le TAFTA veulent contourner l'expression démocratique. La réponse tient à comment s'organise l'Union européenne et au nombre de lobbyistes qui oeuvrent à Bruxelles pour faire passer le Tafta. Ces lobbys s'adressent à des oreilles attentives avec des partis libéraux qui estiment que la libre concurrence est le seul horizon. L'union européenne démocratique travaille à sa propre désuétude.
RT France: La confédération paysanne demande-t-elle l'arrêt de ce projet ou à être associée aux négociations?
Emmanuel Aze: Nous ne demandons pas d'exception agricole. Nous considérons que la même logique de profit touche à travers le TAFTA le secteur agricole comme les autres secteurs. De façon générale, le TAFTA va exercer une pression sur le travail des gens, sur leurs revenus, et sur leur capacité à s'alimenter avec des produits sains. Nous défendons une agriculture solidaire d'un projet de société .
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