Malgré l'efficacité des services anti-terroristes et policiers espagnols, les attentats de Catalogne n'étonnent pas le géopolitologue Alexandre Del Valle, tant les revendications djihadistes sur l'Espagne sont, selon lui, ancrées dans leur discours.
RT France : L'Espagne a une longue expérience de lutte antiterroriste et n'avait pas connu d'attentat depuis celui de Madrid en 2004. Comment expliquer la double attaque du 17 août à Barcelone et Cambrils ?
Alexandre Del Valle (A. D. V.) : Je reformulerais presque de manière inverse. Il est assez étonnant que depuis 2004 il n'y ait pas eu d'attentat de grande ampleur en Espagne. Ce pays est cité depuis des années, voire des décennies, dans d'innombrables vidéos, déclarations et textes de la mouvance djihadiste «takfiriste» en général, pas uniquement venant de Daesh ou d'Al-Qaïda. Dans les années 1980, en Afghanistan, le fondateur même de cette mouvance, l'ancien maître de Ben Laden, Abdallah Azzam, avait déjà théorisé la conquête de l'Espagne, qu'il appelle «al Andalus» et qui désigne un territoire dépassant largement l'Andalousie actuelle et comprenant la Catalogne, et donc Barcelone. Tous les mouvements djihadistes déclarent régulièrement que l'Espagne est, à l'instar de la Palestine, une terre islamique reconquise par les chrétiens croisés qui doit être récupérée à tout prix. Cette revendication avait déjà été entendue en 2004. Cet attentat n'était pas uniquement dû à la participation de l'Espagne à la guerre en Irak en 2003.
Il est très étonnant qu'il n'y ait pas eu plus d'attentats en Espagne
Ainsi, il est très étonnant qu'il n'y ait pas eu plus d'attentats. Je pense que ceci peut s'expliquer par deux phénomènes. Premièrement, les islamistes voient l'Espagne comme une sorte de base arrière, une zone de transit entre le Maghreb – notamment le Maroc – et le reste de l'Europe. Alors, un peu comme pour l'Italie, il valait mieux ne pas trop toucher à l'endroit où l'on arrive et où l'on exporte des réseaux clandestins et criminels par les passeurs. La deuxième raison est liée aux décennies de lutte contre le terrorisme basque et à l'attentat de la gare d'Atocha à Madrid en 2004. Il y a eu une extrême efficacité des réseaux anti-terroristes et policiers espagnols que l'on peut saluer. Ils ont été parmi les plus efficaces au niveau occidental et européen et bien moins laxistes que dans d'autres pays de l'Union européenne.
RT France : L'Espagne est une des zones de passage des flux migratoires depuis l'Afrique du Nord vers l'Europe. Cela influence-t-il la situation sécuritaire du pays ?
A. D. V. : L'Espagne contrôle bien mieux les flux migratoires tant légaux que clandestins qu'auparavant. Il y a quelques années, Lampedusa n'était pas la principale zone de transit pour les passeurs. Ils privilégiaient Gibraltar, le sud de l'Espagne, et toute l'Andalousie jusqu'à Alicante. Depuis quelques années, le passage est devenu beaucoup plus difficile, à l'inverse de ce que nous constatons en Italie, pays qui accueille désormais plus de 100 000 clandestins chaque année [les garde-côtes italiens ont recueilli quelque 180 000 migrants en 2016]. Ce passage par l'Italie est aujourd'hui encore considéré comme aisé, il n'y a donc aucun intérêt pour les terroristes à détruire un point de passage et de ravitaillement. Tandis que l'Espagne bloque bien plus les flux migratoires, coopère avec toutes les polices européennes et celle du Maroc, et se montre très vigilante.
L'Espagne a envoyé 300 conseillers techniques dans la coalition internationale contre Daesh
Il faut aussi rappeler que le pays est actuellement gouverné par la droite. Aujourd'hui, Mariano Rajoy est à la tête du pays. En 2004, au moment des attentats, c'était son mentor José Maria Aznar. Dans les deux cas, on note une certaine solidarité avec les Etats-Unis et une présence militaire en Irak. L'engagement espagnol aujourd'hui en Irak est certes symbolique mais le pays a tout de même envoyé 300 conseillers techniques dans la coalition internationale contre Daesh. Pour toutes ces raisons, les djihadistes veulent punir l'Espagne.
RT France : Après Nice, Londres ou Berlin, Barcelone et Cambrils ont connu des attaques à la voiture-bélier. Les responsables européens n'ont-ils, selon vous, pas tiré les leçons de ce type d'attaque ou de tels attentats sont-ils simplement impossible à prévoir ?
A. D. V. : On voit l'échec de notre justice et de nos polices pour assurer la sécurité des citoyens européens quand on observe le profil des terroristes. Ils sont quasiment tous fichés soit pour terrorisme soit pour délinquance. Pratiquement tous ceux qui ont commis des attentats en Europe ces dernières années – qu'il s'agisse de personnes issues de l'immigration, d'étrangers immigrés en Europe ou de convertis – étaient plus au moins connus des services de police.
Là où voit que le système ne fonctionne pas, c'est qu'il a permis de remettre en liberté des gens qui n'auraient pas dû l'être. Quand ils sont étrangers, ils auraient dû être reconduits dans leur pays d'origine depuis très longtemps. On aurait pu faire en sorte que toute personne identifiée soit mieux contrôlée ou renvoyée lorsqu'elle était expulsable. C'est à mon avis l'un des points les plus importants.
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