Les propos virulents de Donald Trump contre la Corée du Nord ne font que compliquer la situation

En promettant «le feu et la colère» à Pyongyang, le président américain a commis, selon le géopolitologue Olivier Guillard, «une énorme maladresse malvenue» dans ce climat de tensions, qui décrédibilise sa gestion de l'épineux dossier coréen.

RT France : Après avoir promis «le feu et la colère» à la Corée du nord, Donald Trump a déclaré que sa mise en garde n'avait «peut-être pas été assez dure». Le secrétaire d'Etat américain à la Défense James Mattis a, quant à lui, promis «la fin du régime et du peuple nord-coréen» en cas d'action directe. La guerre entre ces deux pays est-elle, selon vous, envisageable ?

Olivier Guillard (O. G.) : Dans le contexte compliqué des relations entre Pyongyang et Washington, ces signaux sont mauvais. Ce haut niveau de tensions alimenté par la Corée du Nord, qui poursuit son programme balistique et nucléaire et qui lance en direction des Etats-Unis, du Japon et de la Corée du Sud des menaces régulières, mais alimenté également de l'autre côté par l’exécutif américain et notamment Donald Trump qui émet, lui aussi, des signaux inhabituellement forts vis-à-vis de la Corée du Nord en reprenant des expressions et images très sévères et choquantes qui sont d'ordinaire plutôt l'apanage de la Corée du Nord.

Il semble normal aujourd'hui que les observateurs internationaux et les opinions publiques bien au-delà des voisins de la Corée du Nord se posent la question de savoir si nous sommes entrés dans une situation de crise particulière. Les connaisseurs de la péninsule coréenne pensent qu'il y a aujourd'hui encore beaucoup de marge entre la réalité de la menace verbale et la potentialité d'une crise avec des développements militaires.

Néanmoins, nous sommes dans une configuration politique particulière. Nous avons au même moment à Pyongyang et à Washington deux leaders qui sont assez imprévisibles, provocateurs et avec des contraintes de politique intérieure assez fortes. Le niveau d'incertitude est important, ce qui me fait penser que le risque d'une escalade militaire est relativement bas, mais pas nul. En cas de développement militaire, même d'un niveau conventionnel et local entre la Corée du Nord et les Etats-Unis, l'effet d'emballement et les risques de conséquences immédiates seraient tellement élevés et terribles que, en théorie, on a tendance à penser que nous sommes encore loin de dépasser la menace verbale. Ce niveau d'incertitude amène tout de même à envisager potentiellement le pire. Si aujourd'hui je devais donner une probabilité statistique sur le fait que la Corée du Nord tire quatre missiles en direction de l'île de Guam et que les Etats-Unis y répondent, je dirais que nous sommes à deux sur une échelle de dix.

Donald Trump envoie à ses alliés et aux autres acteurs du dossier un signal préoccupant dans la mesure où il les pousse à se demander si l'administration américaine actuelle est capable de gérer avec sérénité ce dossier complexe

RT France : Etes-vous étonné de la virulence et de la violence des propos tenus par le président américain ?

O. G. : Sur des questions aussi sensibles, il s'agit, selon moi, d'une énorme maladresse, également très malvenue, de la part du président américain Donald Trump. Ces propos le décrédibilisent dans une grande mesure auprès de ses alliés comme la Corée du Sud et le Japon, mais aussi auprès des autres acteurs du dossier coréen comme la Russie ou la Chine. Donald Trump leur envoie un signal plutôt préoccupant dans la mesure où il les pousse à se demander si l'administration américaine actuelle est capable de gérer avec sérénité ce dossier complexe.

Jamais un président américain n'a tenu des propos pareils

De toute évidence, les mots employés ont largement dépassé ce que le cadre diplomatique actuel et ce que le langage de la Maison Blanche préconisaient jusqu'à présent, alors même que nous ne sommes pas dans la première crise entre les Etats-Unis et la Corée du nord. Jamais un président américain n'a tenu des propos pareils. Une majorité des observateurs estime que ces propos sont malheureux, qu'ils renforcent certainement le niveau de provocation possible de la Corée du Nord et surtout qu'ils enlèvent de la crédibilité à l'administration américaine dans sa gestion difficile, complexe et balisée d'obstacles des relations avec la Corée du Nord. C'est une mauvaise inspiration qui divise d'ailleurs l'administration américaine. On sait que le président, le vice-président et le secrétaire d'Etat à la Défense sont sur une ligne dure alors que le secrétaire d'Etat Rex Tillerson et d'autres responsables de ce département sont en faveur d'une option moins sévère. De la même manière, nous observons une division sur l'opportunité de telles déclarations au sein des forces armées américaines et des centres de recherches universitaires. Cette initiative des Etats-Unis ne fait en réalité que compliquer une situation qui l'était déjà bien avant.

Ces sanctions ne font que déporter le problème et n'offrent que peu de chances de pousser les dirigeants nord-coréens à rejoindre la table des négociations

RT France : Le 5 août 2017, de nouvelles sanctions ont été adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU contre la Corée du Nord. Pensez-vous que cet outil puisse être efficace ?

O. G. : La résolution 2371 votée la semaine dernière était la huitième résolution du genre votée par le Conseil de sécurité de l'ONU concernant la Corée du Nord. Son but est de sanctionner le comportement que le pays poursuivait jusqu'à présent avec ses essais balistiques et son programme nucléaire ainsi que pour essayer de gêner le régime afin de le pousser vers la table des négociations. Jusqu'à présent, cela n'a quasiment pas fonctionné, comme dans beaucoup d'autres dossiers internationaux. De plus, la Corée du Nord a laissé entendre que même s'il y avait une nouvelle résolution votée toutes les semaines, le pays n'avait aucune intention de s'en laisser conter.

Je pense que ces sanctions n'ont pas montré leur efficacité. Ainsi, même si ce volet de sanctions semble plus sévère que le précédent, le résultat voulu ne sera pas acquis. La Corée du Nord, si elle doit revoir le volume de ses exportations à cause de ces sanctions, traitera avec d'autres partenaires sous d'autres formes. Quant aux ressources destinées à son commerce extérieur qui pourraient être perdues avec ces nouvelles sanctions, Pyongyang trouvera certainement via des filières clandestines et illégales des moyens de les compenser. En définitif, ces sanctions ne font que déporter le problème et n'offrent que peu de chance de pousser les dirigeants nord-coréens à rejoindre la table des négociations. Je ne suis pas du tout convaincu par l'opportunité de ces nouvelles sanctions.

De toute évidence, la Corée du Nord possède l'arme nucléaire et a des moyens étendus et divers plus ou moins fiables pour utiliser cet arsenal

RT France : Selon Moscou, la Corée du Nord mettra encore des années avant de posséder une véritable arme nucléaire. Pensez-vous que l'existence et la menace immédiate de cette arme nord-coréenne soient réelles ?

O. G. : Je ne suis pas du tout d'accord avec l'analyse qui est faite à Moscou sur ce sujet. Il y a une quasi unanimité des experts internationaux pour reconnaître aujourd'hui que la Corée du Nord a la capacité de maîtriser l'atome nucléaire à des fins militaires et civiles. La Corée du Nord a déjà procédé à cinq essais nucléaires réussis depuis 2006. On sait que des efforts considérables sont menés depuis des années pour essayer de consolider et sophistiquer une filière atomique à l'uranium enrichi et une autre autour du plutonium. De toute évidence, la Corée du Nord possède l'arme nucléaire et a des moyens étendus et divers plus ou moins fiables pour utiliser cet arsenal. On le voit d'ailleurs avec les tirs de missiles balistiques que la Corée du Nord multiplie depuis le début de l'année dernière.

La réalité de la menace nucléaire d'un point de vue purement théorique et technique existe. Quasiment tous les experts en conviennent, tant les Américains que les Japonais, les Sud-coréens et les Chinois. Je crois qu'il n'y a bien aujourd'hui que Moscou pour nier cette réalité. 

Lire aussi : Trump ou Kim Jong-un, qui a dit quoi ? Le quiz spécial guerre nucléaire de RT France