Budget des armées : Macron dans la ligne droite de Sarkozy

Le président, comme son prédécesseur, considère le budget de la Défense comme une variable d’ajustement, et les militaires comme des types admirables, mais taillables et corvéables à merci, analyse Philippe Migault, spécialiste en matière de défense.

La réduction annoncée du budget des armées suscite, à juste titre, l’indignation. Elle n’a pourtant rien de surprenante.

En premier lieu parce qu’aucune loi de programmation militaire n’a été mise en application dans son intégralité depuis les années 1960.

En second lieu parce qu’Emmanuel Macron se situe dans la droite ligne d’un Nicolas Sarkozy.

Le chef de l’Etat, qui a récemment dîné avec son prédécesseur à l’Elysée, a, comme ce dernier, une totale méconnaissance des armées. Le deuxième classe Nicolas Sarkozy a effectué son service national dans les locaux de l’armée de l’air à Balard, «planque» renommée des fils de famille et des pistonnés. Emmanuel Macron n’a jamais porté un uniforme. Ni l’un ni l’autre ne savent ce qu’est une guerre. Mais tous deux savent à merveille instrumentaliser l’armée française.

Macron, comme Sarkozy, considère l’armée comme une institution porteuse de valeurs – honneur, fidélité, patrie - qu’il ne partage pas.

Emmanuel Macron a remonté les Champs-Elysées dans un command-car, joué les Sean Connery à bord d’un sous-marin, façon Octobre rouge, avant de s’en faire héliporter, façon James Bond, suscitant l’enthousiasme de tous ses thuriféraires médiatiques, aussi ignorants que lui de la chose militaire. A un an de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a endossé en Libye le costume de chef de guerre pour persuader les Français qu’il avait l’étoffe d’un chef d’Etat. Avec le même enthousiasme de la presse.

Macron, comme Sarkozy, considère l’armée comme une institution porteuse de valeurs – honneur, fidélité, patrie – qu’il ne partage pas. Macron, comme Sarkozy, considère le budget de la défense comme une variable d’ajustement et les militaires, comme de braves types admirables, mais taillables et corvéables à merci. Le petit coup de rabot sur le budget, censé être corrigé sur l’exercice suivant, était donc prévisible, tout comme l’annonce de l’hypothétique correction à venir qui, elle aussi, sera dans le viseur de Bercy.

Adoptant les pratiques irresponsables de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron n’entend pas, pour autant, cesser de jouer les dieux de l’Olympe. Il a vertement rabroué le général de Villiers, chef d’Etat-major des armées françaises, pour avoir protesté contre cette restriction budgétaire en mettant – pour la énième fois – sa démission dans la balance. Rappelant qu’il était son «chef», le Président de la République a estimé qu’il n’était «pas digne d’étaler certains débats sur la place publique», affectant de se placer, une fois de plus, à un niveau plus élevé que celui de la piétaille. A tort d’un point de vue politique.

Fabius voulait «encaisser les dividendes de la paix». Macron souhaite faire de même, un an seulement après la tragédie de Nice, alors que la menace demeure

Emmanuel Macron a fait campagne sur le principe d’une politique renouvelée, ouverte à la société civile, privilégiant le débat et refusant les tabous. Il vient de démontrer qu’à l’instar de ses prédécesseurs, il considère la diplomatie et la défense de la France comme des sujets réservés au chef de l’Etat, dont on ne doit jamais réellement débattre. L’Elysée a la main. Citoyens et militaires sont priés de conserver le garde-à-vous. Ce qui n’est plus admissible. En premier lieu parce que le chef de l’Etat est comptable devant les citoyens de leur sécurité. Il ne peut pas unilatéralement décider de pratiquer une nouvelle coupe claire dans le budget des forces alors que l’on ne cesse de nous répéter, à juste titre, que nous sommes en guerre. Fabius voulait «encaisser les dividendes de la paix». Macron souhaite faire de même, un an seulement après la tragédie de Nice, alors que la menace demeure. Ce n’est pas seulement irresponsable. C’est précisément indigne.

Mettons fin à Sentinelle, qui n’apporte aucune garantie contre le terrorisme, épuise et démoralise les hommes

Déployés quasiment en permanence loin de chez eux, nos soldats paient le manque de moyens de leur vie. Ils n’ont quasiment plus le temps de s’entraîner entre deux missions. Leurs matériels ont un taux de disponibilité opérationnelle ridicule. Faute d’effectifs, contraints d’être partout à la fois, y compris pour des missions qu’ils n’ont pas vocation à remplir, leur vie de famille est sacrifiée. Qui parle du taux de suicide dans les armées ? Du taux de divorce ? Des familles brisées ? Au point de rupture, les armées se sentent délaissées, méprisées. Elles acceptent de moins en moins de s’entendre répéter l’éternel refrain des décideurs «vous avez signé, c’est pour en chier». La difficulté à fidéliser les meilleurs éléments le démontre. 

Il faut faire des économies ? Soit.

Mettons fin à Sentinelle, qui n’apporte aucune garantie contre le terrorisme, épuise et démoralise les hommes.

Menons une revue de programmes pour sanctuariser ceux qui sont prioritaires et retarder ou minorer ceux qui le sont moins.

Prenons l’exemple de l’avion de transport tactique A400M Atlas. Avons-nous réellement besoin de 50 appareils de ce type ? Non, sans doute. En 2015, l’ensemble des appareils de la Force Aérienne de Projection (FAP) avait une capacité d’emport cumulée de 625 tonnes. Avec l’entrée en service des A330MRTT et des Atlas, elle devrait être de 2 400 tonnes en 2025. Or, sauf bouleversement du paradigme stratégique, les besoins des armées françaises ne vont sûrement pas être multipliés par quatre d’ici 2025, alors qu’une opération extérieure typique de l’armée française, n’exige pas un tel accroissement capacitaire. Pour transporter 10 000 tonnes de matériel en 40 jours à Bamako, ce qui a été le cas pour Serval, dix A400M suffisent par jour. Airbus est incapable de tenir ses engagements, multipliant les surcoûts à la charge des contribuables. Tirons-en la conclusion et profitons-en pour réduire la cible. Au demeurant la proposition est régulièrement évoquée.

Entre le malaise des armées et la sanctuarisation des 165 000 emplois directs et non délocalisables de l’industrie de défense française, Emmanuel Macron sait ce qu’il convient de choisir politiquement

La modernisation de notre outil de dissuasion nucléaire est indispensable pour le maintenir au juste niveau de suffisance et de crédibilité. Mais doit-elle être menée au rythme prévu alors que les technologies évoluent, condamnant, peut-être, des projets estimés aujourd’hui aussi novateurs qu’indispensables ? La montée en puissance des outils de défense antimissiles impose le remplacement des missiles ASMP-A par de nouveaux engins hypersoniques. Russes, Chinois, Américains, Indiens…Toutes les grandes nations nucléaires sont engagées dans la course aux armements hypersoniques. Mais ceux-ci apporteront-ils réellement une garantie d’efficacité à l’horizon 2030-2040, alors que la technologie des armes à énergie dirigée progresse, elle aussi, rapidement ?

Ces questions peuvent légitimement être posées. Mais elles susciteraient sans doute une levée de boucliers des industriels concernés, qui bénéficient de moyens de pression sur l’Elysée nettement plus efficaces que ceux dont dispose Pierre de Villiers. Entre le malaise des armées et la sanctuarisation des 165 000 emplois directs et non délocalisables de l’industrie de défense française, Emmanuel Macron sait ce qu’il convient de choisir politiquement. Le chômage, les carnets de commande et la réduction du déficit passent avant la vie de nos soldats.