RT France : Le niveau record de l'abstention, à 51,29%, a marqué ce premier tour des élections législatives. Comment expliquer ce résultat historique ?
Charles Beigbeder (C. B.) : Tout le monde souligne en effet ce chiffre, mais il me semble important de rappeler que, d'ordinaire, la participation aux élections législatives tourne autour de 55%, l'abstention de 45%. Là on a une abstention de 51%, ce n'est pas non plus une augmentation gigantesque. Cette abstention élevée n'a évidemment rien de réjouissant, mais ce n'est pas un événement unique sous la Ve République. Il est assez classique que l'abstention soit importante lors de ce scrutin.
Les électeurs qui ne sont pas favorables à Emmanuel Macron se sont peu mobilisés, se disant que c'était perdu d'avance
D'autant que cela fait presque neuf mois que nous sommes en période d'élections en France. Cela a commencé fin août, avec la campagne de primaire de la droite. Est venue celle de la gauche, puis l'élection présidentielle. Il y a eu une sorte de lassitude. Les électeurs qui ne sont pas favorables à Emmanuel Macron se sont peu mobilisés, se disant que c'était perdu d'avance, que Macron allait obtenir une grande majorité, qu'il valait mieux rester chez soi.
Cette situation a évidemment favorisé La République en marche, puisque les adeptes d'Emmanuel Macron se sont bien plus mobilisés que les autres. Les résultats sont incroyables, notamment dans des territoires traditionnellement bien ancrés à droite : l'ouest de Paris, la Savoie, la Haute-Savoie, le Var... Dans certains de ces territoires, on n'avait jamais vu autre chose qu'un député appartenant à la droite traditionnelle de gouvernement. Et ils basculent aujourd'hui pour La République en marche. C'est complètement fou, car cela veut dire que les électeurs ont dit «ce n'est ni droite ni gauche, ou de droite et de gauche, peu importe : on va essayer. On a un jeune président qui réussit ses premiers jours. Donnons-lui carte blanche et on verra bien ce qu'il se passera.»
On constate une lassitude dans l'électorat frontiste, qui réalise que le Front national n'arrivera jamais à prendre le pouvoir et ne va plus voter
Il est intéressant aussi de regarder les territoires où le Front national est d'ordinaire fort : on observe un phénomène nouveau. On constate une lassitude dans cet électorat, qui réalise que le Front national n'arrivera jamais à prendre le pouvoir et ne va plus voter. C'est très surprenant. On le voit dans le Var, en Provence dans l'Est ou le Pas-de-Calais. A quelques exceptions près, à l'instar de Marine Le Pen, les scores sont décevants pour le Front national y compris dans ses bastions.
Il faut analyser plus en détails la carte électorale mais ce qui est certain est qu'il s'agit d'un vrai raz-de-marée que réalise là La République en marche.
Cette élection va permettre un formidable renouvellement et nettoyer tous ces députés qui, pour certains, s'accrochent à leur poste telle une moule à son rocher
RT France : La République en marche pourrait obtenir entre 390 et 445 sièges à l'Assemblée d'après les projections des instituts de sondages. L'ensemble des partis politiques – hors LREM – se sont inquiétés du blanc-seing qu'offrait une telle majorité à Emmanuel Macron. Partagez-vous ces inquiétudes ?
C. B. : Il y a quand même une bonne nouvelle dans tout cela : cette élection va permettre un formidable renouvellement. Cela va nettoyer tous ces députés qui, pour certains, s'accrochent à leur poste telle une moule à son rocher et qui font cinq ou six mandats de suite. Ils ont été balayés ou le seront dimanche prochain. Cela force la droite à s'interroger et à se refonder complètement. C’est la vertu de ce tsunami : une clarification idéologique est désormais nécessaire et viendra certainement dans les prochains mois.
Il est vrai que, désormais, La République en marche se retrouve avec tous les leviers. Quant à Emmanuel Macron, il devient le «big boss», il a tous les pouvoirs. Il pourrait même en septembre obtenir le Sénat... Face à une telle majorité, il est sage de se demander si elle sera favorable au bien commun. Je pense qu'au niveau économique il peut faire des choses et la confiance des investisseurs peut revenir à court-terme. Cela peut être favorable à la croissance et l'emploi.
Sur le long terme, néanmoins, je pense que rien ne sera réglé. Je crains que les questions de fond sur l'islamisation de notre territoire, sur l'insécurité, sur le sentiment de doute des Français sur leur identité et leurs dirigeants ne trouvent pas de réponse. J'ai aussi un certain nombre d’inquiétudes sur des réformes sociétales qui pourraient arriver. La coalition de La République en marche rassemble des gens très différents, dont des ultra-progressistes qui vont désormais demander à Macron des dividendes sur leurs soutiens avec des sujets comme l'euthanasie ou la GPA. Il y a, à mon sens, des raisons d'être inquiet sur le long terme. La France s'inscrit dans un mouvement de doute que l'on observe dans tout l'Occident. Même dans des pays qui ont fait les réformes économiques nécessaires comme les Pays-Bas, la Suède, l'Allemagne et l'Angleterre, on constate que de graves problèmes de sécurité ainsi que des défis culturels et identitaires se posent.
Il serait sans doute temps d'organiser des Etats généraux de toutes ces formations de droite pour faire un bilan et, surtout, pour dresser nos priorités pour les années qui viennent
RT France : Vous parlez de refondation de la droite et il est vrai que Les Républicains semblent les mieux placés pour être le deuxième parti au sein de la nouvelle Assemblée. Pourtant, un certain nombre de figures LR ne cachent pas leur volonté de travailler de concert avec la majorité présidentielle. L'opposition – et par extension la recomposition de la droite – pourra-t-elle vraiment venir des Républicains dans ce contexte ?
C. B. : Il faudra voir dimanche prochain quels députés LR seront élus. On parle d'une centaine de députés LR-UDI à venir selon les projections. Il faut évidemment retirer les élus UDI, qui s'aligneront certainement sur la majorité présidentielle. Les LR proprement dits ne seront peut-être que 80. De nombreuses questions se posent alors : qui seront ces députés LR élus ? Y aura-t-il de nouvelles têtes dans leurs rangs ? Parmi eux, qui rejoindra la coalition en Marche ? La question finale sera : qui restera-t-il pour participer à la refondation de la droite ? Je crains qu'au final ils ne soient pas très nombreux.
Il va falloir identifier parmi toutes ces personnes lesquelles pourront participer, en tant que leaders, à la refondation de la droite. Quoiqu'il arrivera cela passera par Les Républicains, qui restent la principale formation politique à droite. D'autres formations et initiatives de droite auront aussi un rôle important à jouer à l'instar du Parti chrétien-démocrate (PCD). Il serait sans doute temps d'organiser des Etats généraux de toutes ces formations de droite pour faire un bilan et, surtout, pour établir nos priorités pour les années qui viennent.
Lire aussi : Législatives en France : «C’est la crise profonde du régime que nous vivons»