LREM obtient aux législatives 10 points de moins que le Parti conservateur au Royaume-Uni. Une «gifle retentissante» dans le second cas et une «grande victoire» dans le premier, s'étonne Pierre Lévy, rédacteur en chef de Ruptures.
Le premier tour des élections législatives françaises s’est déroulé le 11 juin. Il a été marqué par une abstention record : plus d’un électeur sur deux (51,3%) a boudé l’isoloir.
Les questions européennes n’ont tenu aucune place dans la campagne (à la différence de ce qui fut – un peu – le cas lors des présidentielles). Dès lors, peut-être que de nombreux électeurs ont pris acte du fait que les décisions les plus essentielles étaient déterminées au niveau communautaire, ce qui relativise très largement le rôle des députés français. Là pourrait se trouver l'une des raisons du silence des urnes.
La très faible participation ne peut s’expliquer par un seul facteur. Parmi les raisons de celle-ci figure à l’évidence le mode de scrutin dans les circonstances actuelles. Car si tous les partis politiques pâtissent, en nombre absolu de voix, de la désaffection des citoyens, les forces qui en souffrent le plus sont celles qui, circonscription par circonscription, apparaissaient comme nullement en position de l’emporter.
Tant La France insoumise (LFI) que le Font national (FN) sont victimes de ce phénomène, qui a également percuté de plein fouet le Parti socialiste (PS) : dans une grande majorité de circonscriptions, beaucoup d’électeurs n’ont guère été motivés pour aller voter en faveur de candidats n’ayant aucune chance. D’autant qu’ils ont le sentiment de s’être exprimés quelques semaines seulement auparavant. Mais à l’élection présidentielle, chaque voix est comptabilisée au niveau national et semble donc compter. Dans le scrutin majoritaire, une large part des suffrages paraît «ne servir à rien».
Même les responsables de la République en Marche admettaient lucidement que leur succès annoncé dans l’hémicycle ne recouvrait aucune dynamique ou enthousiasme spectaculaire
«Vague»
L’autre fait marquant du scrutin est la perspective de voir élus, au second tour de scrutin, un nombre impressionnant de candidats «macronistes». Si cette «vague» ne peut pas être négligée, elle doit cependant être relativisée. Quand bien même les contextes sont fort différents, notons au passage que le Parti conservateur britannique a obtenu, le 8 juin, 42,4% des suffrages, ce qui a été analysé comme une «gifle retentissante» pour Theresa May. Avec 10 points de moins, le mouvement du président Macron se voit attribuer… une victoire historique.
Du reste, même les responsables de La République en Marche (LREM) admettaient lucidement que leur succès annoncé dans l’hémicycle ne recouvrait aucune dynamique ou enthousiasme spectaculaire. Au demeurant, qui serait capable, parmi les électeurs de ce mouvement, de citer deux ou trois points marquants de son programme qui auraient suscité l’adhésion ? L’argument de vente majeur du nouveau maître de l’Elysée était plutôt la promesse d’un… «renouveau», sans grand détail concret.
Certes, une autre motivation a joué auprès des électeurs «en marche» : il fallait «donner sa chance» au président.
Ce dernier a – au moins provisoirement – atteint un objectif que la classe dominante française vise depuis près d’un demi-siècle, et qui avait été formulé par Valéry Giscard d’Estaing : rassembler un «large bloc central» («deux Français sur trois», disait l'ancien président). A l’époque, il s’agissait de faire décliner communistes et gaullistes. Traduction dans le contexte actuel : marginaliser «les extrêmes». Et ce, afin d’assurer une stabilité quelles que soient les vicissitudes du moment.
Il s’agit bel et bien, sur le plan sociologique, d’évacuer les classes populaires
En réalité, il s’agit bel et bien, sur le plan sociologique, d’évacuer les classes populaires. Du reste, c’est clairement ces dernières qui se sont le plus abstenues. Et qui, quand elles votent, «succombent au populisme».
A cet égard, il n’est pas inutile de souligner les performances particulièrement impressionnantes des petits nouveaux et inconnus macronistes dans les villes et quartiers les plus huppés, comme le XVIe arrondissement de Paris ou Neuilly-sur-Seine. Ils y détrônent souvent des élus de la droite classique réputés indéboulonnables.
Les enjeux et contradictions demeurent
Ces premiers éléments d’analyse ne présument en rien des événements à venir, à court et moyen terme. Car aussi prometteuse que puisse apparaître la situation politique pour le maître de l’Elysée, elle n’efface pas les enjeux et contradictions de la réalité, notamment en matière économique et sociale. Celle-ci fixe de très prochains rendez-vous, à commencer par le projet de dynamitage du droit du travail.
Surtout, la Commission européenne n’a pas tardé à rappeler les exigences budgétaires, qui imposeront une austérité renforcée, tant en matière de coupes dans les dépenses publiques que de prélèvement fiscal sur le monde du travail, ou de pouvoir d’achat.
L’avenir, même à court terme, n’est pas écrit. En 2007, la «rupture» promise par Nicolas Sarkozy lui avait permis de bénéficier d’un enthousiasme (y compris parmi les couches populaires) bien plus tangible que ce qui s’est dessiné en faveur d’Emmanuel Macron. La dynamique sarkozienne n’avait pas attendu un an avant de s’effondrer.
Source : ruptures-presse.fr
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