L'«OTAN musulmane» menée par l'Arabie saoudite fait équipe avec une grande entreprise en RP

L'Arabie saoudite cherche à rassembler une coalition des pays sunnites sous prétexte de lutter contre les «terroristes» mais veut en réalité renforcer son influence dans la région, selon le journaliste Martin Jay.

Le plan de Riyad consistant à rassembler une coalition composée des pays arabes majoritairement sunnites – sous prétexte de la lutte contre les «terroristes» – semble être un stratagème pour renforcer l'influence de l'Arabie saoudite dans la région après la chute du prix du pétrole qui a durement frappé le Royaume.

La soi-disant «alliance musulmane» pourrait aller plus loin que la simple lutte contre Daesh et Al-Qaïda

Le projet semble avoir récemment progressé, l'un des leaders mondiaux en relations publiques ayant décroché, selon certaines informations, un contrat pour promouvoir le grandiose programme. Ce dernier devrait impliquer 41 pays des coins les plus éloignés du monde musulman afin de combattre Daesh au Moyen-Orient et en Afrique de l'Ouest.

La soi-disant «alliance musulmane» pourrait aller plus loin que la simple lutte contre Daesh et Al-Qaïda. Certains craignent en effet qu'elle puisse être utilisée pour combattre les rebelles houthis au Yémen. En outre, le choix de confier la gestion des relations publiques à Burson-Marsteller a été l'objet d'une critique acharnée venant de militants des droits de l'homme. Ils soupçonnent que l'entreprise, formidablement présente au Moyen-Orient, sera supposée «blanchir» les violations des droits de l'homme au Yémen commises par l'Arabie saoudite et ses alliés, selon le site Middle East Eye, basé à Londres.

En décembre 2015, il a été dit que la soi-disant «coalition» était constitué de 41 pays à majorité musulmane qui s'étendent au-delà du Moyen-Orient, dont le Pakistan et le Soudan. La coalition a pour mission de lutter contre l'Etat islamique (Daesh) en Irak et en Syrie, ainsi que de frapper les extrémistes islamiques en général en Afrique du Nord et de l'Ouest.

Le groupe, constitué en grande partie des ministres de la Défense et doté de l'OTAN comme modèle, se prépare à se réunir bientôt. Il est donc important de préparer ses messages destinés aux journalistes. Et un controversé général saoudien semble avoir justifié pourquoi les Saoudiens ont besoin d'une entreprise en relations publiques pour gérer la polémique intervention saoudienne dans la région.

Le général de division saoudien Ahmed Asiri, l'un des créateurs de l'alliance qui fait l'objet d'une enquête préliminaire au Royaume-Uni sur des crimes de guerre, a déclaré récemment au Wall Street Journal que l'alliance pourrait cibler les Houthis au Yémen.

«Tous les pays feront des efforts pour combattre le terrorisme sur les territoires des pays membres [de l'alliance], indépendamment de la nature des groupes terroristes. «C'est l'objectif principal», a expliqué Ahmed Asiri, affirmant : «Chaque pays a sa propre expertise pour contribuer à la coalition.»

Une organisation dirigée par les sunnites ne ciblera pas facilement des groupes extrémistes sunnites

Tout le monde, cependant, ne partage pas cet optimisme.

Tannous Mouawad, général de l'armée libanaise à la retraite, est sceptique quant à ses objectifs et souligne quelque chose que beaucoup évoquent dans la région : une organisation dirigée par les sunnites ne ciblera pas facilement des groupes extrémistes sunnites.

«C'est plutôt l'Iran, l'ennemi de l'Arabie saoudite, et beaucoup de membres [de l'alliance] estimeront que frapper Daesh ou Al-Qaïda ne ferait que renforcer l'Iran», a-t-il déclaré dans une interview téléphonique. «Cette organisation est inutile depuis 2015... et ce en grande partie parce que toute organisation sunnite doit avoir l'Egypte comme membre, car l'Egypte est l'épine dorsale du monde arabe, mais l'Egypte ne veut pas en faire partie, voulant de meilleures relations avec la Russie.»

Des journalistes endoctrinés à Dubaï

Burson-Marsteller a travaillé pour l'Arabie saoudite après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et a des bureaux à la fois en Arabie saoudite et à Dubaï. Beaucoup diront que ce n'est pas au Moyen-Orient que l'Arabie saoudite a besoin de relations publiques, la plupart des médias du Golfe sont à tel point aveuglés par leurs propres dogmes, qu'en parlant du Royaume ils voient à peine plus loin que la version de Riyad à n'importe quel sujet. Certains médias basés à Dubaï atteignent même un autre niveau, diffusant de fausses informations reçues des loyaux sujets travaillant pour les points presse saoudiens. Un exemple en est la franchise de Newsweek’s à Dubaï qui déclarait en 2015 que le Royaume étendait son influence dans la région et, contrairement à ce qu'affirmaient tous les analystes (notamment que le Royaume était fauché), prétendait que Riyad était en effet dans une bonne passe.

L'Arabie saoudite n'a pas le poids géopolitique qu'elle avait il y a encore quelques années. Elle n'a même pas l'argent pour payer les salaires des travailleurs migrants qu'elle chasse honteusement hors du pays

Il semble que les informations des meilleurs économistes du monde, selon lesquels le pays entrerait dans une crise financière et serait obligé de se tourner vers ses réserves de trésorerie, induisant ainsi des réductions énormes dans les domaines public comme privé, ne sont pas parvenues aux oreilles des rédacteurs de ce respectable journal.

En réalité, l'Arabie saoudite n'a pas le poids géopolitique qu'elle avait il y a encore quelques années. Elle n'a même pas l'argent pour payer les salaires des travailleurs migrants qu'elle chasse honteusement hors du pays. Comment Newsweek arrive-t-il donc à cette conclusion absurde que Riyad élargirait son emprise sur la région ? En effet, la création même de l'«alliance musulmane» qui externalise – tant financièrement que militairement – ce que le Royaume aurait fait autrefois lui-même, montre de façon surprenante que l'Arabie saoudite est devenue l'ombre d'elle-même.

Face à cet étonnant journalisme qui fait penser à une centrale d'appels, alors qu'aux Emirats Arabes Unis, la plupart des médias sont tellement endoctrinés par les idées et les fausses informations en provenance d'Arabie saoudite que les journalistes publient comme s'il s'agissait de faits, pourquoi donc employer l'un des meilleurs agents en relations publiques au monde ? Simplement parce que les véritables cibles de cette campagne – les journalistes occidentaux à Londres, à Washington et Bruxelles – sont ceux qui doivent être «convertis».

Bruxelles sera prêt pour nourrir les journalistes avec des tomes de «faits alternatifs» au sujet du Yémen. Et qui pourrait accuser Burson-Marsteller, si ces mêmes journalistes ont besoin d'informations sur la Syrie ?

L'entreprise a un CV remarquable en tant qu'agent de relations publiques et de la communication de Bruxelles, épicentre palpitant de fausses nouvelles où des centaines des journalistes internationaux font circuler des communiqués de presse de l'UE sans vérifier les revendications qu'ils contiennent.

Burson-Marsteller agit sur deux fronts : en tant que défenseur du projet de l'UE et de son importance et en tant que lobbyiste rémunéré par les multinationales qui manipulent les députés au Parlement européen en écrivant leurs propres amendements au projets des lois – des règles qui favorisent invariablement les grandes entreprises au détriment des petites entreprises.

L'alliance musulmane elle-même regroupe un nombre surprenant de pays que les groupes de défense des droits de l'homme accusent régulièrement de commettre les crimes contre l'humanité

Burson-Marsteller est connu pour avoir travaillé pour de puissantes organisations géopolitiques. Ayant travaillé pour distancier l'Arabie saoudite des attentat du 11 septembre, elle est prête à coopérer avec certains des pires pourfendeurs des droits de l'homme. En effet, l'alliance musulmane elle-même regroupe un nombre surprenant des pays que les groupes de défense des droits de l'homme accusent régulièrement de commettre les crimes contre l'humanité. Elle est dirigée par un ancien chef de l'armée pakistanaise, Gen Raheel Sharif, et comprend des pays comme le Nigéria, la Turquie, l'Egypte, le Bahreïn Mali, le Tchad et même la Somalie.

L'alliance musulmane ou «l'OTAN musulmane» est en grande partie une tentative de perpétrer une grande illusion renforcée par les médias dans les pays arabes du Golfe aidant à Riyad pendant des années :  que l'Arabie saoudite est encore très puissante et a la capacité d'être un véritable challenger face à de nombreux pays qui sont influencés et soutenus par l'Iran. Personne ne sait si cette histoire de succès dans le Golfe peut être exportée à travers le monde, mais si le New York Times peut publier les théories du complot d'un ancien député britannique, Burson-Marsteller trouvera une porte ouverte quand elle offrira aux journalistes à Washington, à Bruxelles, et à Londres les fausses nouvelles de Riyad. Sinon, ces mêmes journalistes pourraient tout aussi bien s'acheter une copie de Newsweek Middle East.

Du même auteur : Frappes turques contre les Kurdes : les Etats-Unis ne contrôlent pas leurs alliés au Moyen-Orient