Les relations entre la France et le royaume wahhabite n'ont jamais été meilleures. Paris trouve dans le royaume un marché pour son industrie aéronautique tandis que Riyad voit en Paris un allié de choix dans sa lutte contre l'influence iranienne.
Le moins que l'on puisse dire est que le panier saoudien a été bien rempli. A l'occasion de la première réunion de la Commission conjointe franco-saoudienne, ce sont pour plus de 10 milliars de contrats qui ont été conclus entre la France et l'Arabie saoudite: 23 hélicoptères multifonctions Airbus H145, pour un montant de 500 millions de dollars, 30 Airbus A320 et 20 Airbus A330 par la compagnie Saudi Airlines, pour un montant de 8 milliards de dollars, l'étude de la faisabilité de la construction de deux réacteurs nucléaires EPR dans le royaume
L'ampleur des emplettes saoudiennes est importante et la «diplomatie économique» prônée par les autorités françaises semble porter ses fruits. Côté déclarations officielles, Laurent Fabius et le ministre saoudien de la Défense Mohamed Ben Salmane, également Prince héritier, ont tenu à réaffirmer l'entente plus que cordiale qui règne en ce moment entre Paris et Riyad, précisant que ces relations stratégiques s'inscrivent dans une longue histoire et sont parfaitement transparentes. Peu avant ce même Prince avait été reçu à l'Elysée par François Hollande, lequel avait déjà fait un déplacement à Riyad début mai.
Olivier Da Lage, spécialiste de la Péninsule arabique et auteur d'une Géopolitique de l'Arabie saoudite (Editions Complexe) décode pour RT France les tenants et aboutissants de cette relation .
RT France: Les relations franco-saoudiennes sont fructueuses pour Paris. Mais qu'a à y gagner Riyad?
Olivier Da Lage: l'Arabie saoudite est très dépendante des Etats-Unis pour sa sécurité. Mais on sait que pour le moment leurs relations sont plutôt fraîches. Parmi les autres partenaires possibles, il y a la France mais aussi le Royaume-Uni et l'Allemagne, le Chine, la Russie. La France offre l'avantage d'être encore assez influente au Proche et Moyen-Orient, d'être membre du Conseil de sécurité et de fabriquer et vendre des armes. C'est donc un partenaire intéressant pour le royaume wahhabite surtout à un moment où les relations avec les Etats-Unis traversent une turbulence. Déjà dans les années 70 et 80, ce pays a souvent été, pour Riyad, non pas un partenaire de substitution car il ne s'agit pas de remplacer les Etats-Unis, mais un second qu'on pouvait mettre en avant quand les liens avec le principal partenaire n'était pas au beau fixe.
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— Zeineb Turki (@ZeinebTurki) 24 Juin 2015
RT France: Ce rapprochement avec la France serait donc pour Riyad un investissement diplomatique et stratégique?
Olivier Da Lage: A l'époque de James Carter, les Etats-Unis avaient laissé tomber le Shah d'Iran et l'Arabie Saoudite avait alors eu un doute sur l'engagement des Etats-Unis et craignait pour sa sécurité. La France avait alors été mise en avant, Valéry Giscard d'Estaing avait fait une tournée dans les pays du Golfe et de nombreux contrats avaient été conclus. Plus récemment, l'engagement de François Mitterrand auprès du Liban ou de Yasser Arafat, son discours à la Knesset avaient amené les saoudiens à réviser leur jugement sur la France et a apporté des garanties financières au moment où le franc se portait mal. On est aujourd'hui en train de retrouver cette conjonction d'intérêt entre la France et l'Arabie saoudite après ces quelques années où la politique de Nicolas Sarkozy avait donné la priorité au Qatar, ce qui d'ailleurs avait fortement indisposé les saoudiens. Mais personne n'a de doute que le jour où les choses iront mieux avec les Etats-Unis, la France reprendra un rôle plus normal, plus en arrière-plan.
RT France: L'Arabie saoudite est-elle devenue à François Hollande ce que le Qatar était à Nicolas Sarkozy, un allié sûr, peut être un peu plus discret seulement?
Olivier Da Lage: Le Qatar n'a pas une très bonne image en France car il a sérieusement surestimé son pouvoir de séduction. Mais l'Arabie saoudite a une image pire encore avec ses exécutions et son rigorisme religieux. Ce pays a un système judiciaire qui a la même inspiration que l'Etat islamique puisque Daesh dit s'inspirer du wahhabisme. En revanche comme c'est pays stratégique, cela semble plus logique pour la France d'être proche de ce pays que de l'être du Qatar qui a clairement joué au-dessus de sa catégorie en raison d'une certaine conjoncture et de l'habilité de l'ancien émir. Mais le balancier est revenu du côté saoudien car la lune de miel franco-qatarie ne pouvait pas être éternelle.
Mohamed Bin Salman, vice-prince héritier du Royaume d'Arabie saoudite, a été reçu par @fhollande#InstaPR
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— Élysée (@Elysee) 24 Juin 2015
RT France: Est-ce la position de la France vis-à-vis de l'Iran qui a favorisé ce rapprochement avec l'Arabie saoudite?
Olivier Da Lage: La position de la France est une des raison, mais pas seulement. Le fait que la France manifeste un soutien assez hardi aux pays sunnites de la région, le fait qu'elle a montré une très grande fermeté, pour ne pas dire davantage, sur la question iranienne sont, pour les saoudiens, des facteurs positifs. Mais la France n'est pas qu'un choix par défaut. Il y a aussi des raisons qui justifient ce rapprochement, notamment les positions françaises au Moyen-Orient qui satisfont le royaume. Du côté français, il y a aussi par les dirigeants français une analyse d'opportunité: ils se disent qu'il y une place à prendre auprès des pays du Golfe. Je suis certain par exemple que l'invitation en mai de François Hollande au sommet de coopération du Golfe n'est pas venue d'une demande française mais parce que ces pays ont voulu ainsi récompenser un pays dont la politique étrangère leur convenait et marquer par contraste la méfiance vis-à-vis de la Washington.
RT France: Comment concilier cette «diplomatie du portefeuille» avec la diplomatie des droits de l'homme alors que début mai, Amnesty International évoquait le «bilan épouvantable» de l'Arabie saoudite en matière de droits de l'homme avec le cas emblématique de Raif Badaoui et que le pays en est à sa centième décapitation?
Olivier Da Lage: La politique de Fabius et de Hollande n'est pas idéaliste mais très réaliste. On peut imaginer que des choses se disent discrètement sur le cas de Raif Badawi par exemple. Peu de temps après l'élection de François Hollande il y avait eu un communiqué du Quai d'Orsay condamnant de façon très claire les exécutions en Arabie saoudite, mais cela avait été le premier et le dernier.
En savoir plus: Arabie Saoudite: aucune clémence pour Raif Badawi
RT France: Depuis l'arrivée au pouvoir du Roi Salman, y-a-t-il une inflexion de la poltique étrangère saoudienne qui semble plus volontaire, notamment vis-à-vis des Etats-Unis?
Olivier Da Lage: Il y a effectivement un changement même si le Roi Abdallah a pu aussi s'opposer aux Etats-Unis. Le Roi Salman, poussé par son fils le Prince héritier, a pris des mesures fortes et emblématiques d'un tournant. Il s'est rapproché de la Turquie et du Qatar pour consolider un axe sunnite contre l'Iran. Téhéran devient le seul point focal de l'inquiétude des saoudiens. La guerre déclenchée au Yemen, en raison d'une supposée ingérence de l'Iran à ses frontières, a été un pallier supplémentaire. Dans tous ces cas, le royaume n'a pas demandé l'avis des Etats unis et s'est contenté de les informer. Mais cela a une limite, car les Etats-Unis et l'Arabie saoudite sont condamnés à s'entendre. Pour assurer sa sécurité le royaume ne va pas se tourner vers la Chine ou la Russie. Du côté américain, si le pays n'a plus besoin du pétrole saoudien, en revanche ses alliés en ont toujours besoin. Ils ne peuvent pas non plus abandonner une région qui a horreur du vide pour laisser la place aux Russes ou aux Chinois. Il y a aussi la menace que constitue Daesh qui a clairement indiqué que la famille Saoud était illégitime.
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