RT France : Depuis plusieurs semaines, Donald Trump menace de rétablir les droits de douane sur les produits chinois mais parle aussi de revenir sur le principe de la Chine unique. La peur d'une guerre commerciale plane chez de nombreux spécialistes et dans les médias chinois. Ce risque est-il réellement envisageable ?
David Gosset (D. G.) : Malheureusement, Donald Trump a une attitude très dure à l'égard de la Chine. Cela dépasse les paroles et la rhétorique : il y a aussi les personnalités qui l'entourent. Peter Navarro est un anti-chinois. Son conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn a écrit le livre The Field of fight dans lequel il décrit la Chine comme un ennemi des Etats-Unis. Son secrétaire d'Etat parle de refuser tout accès à la Chine en mer de Chine méridionale... Cela va bien plus loin qu'une rhétorique anti-chinoise. En ce sens, le risque est grand qu'on rentre dans une guerre commerciale entre les deux pays. C'est très malheureux car un tel conflit ne pourra pas faire de gagnants. Il n'y aura que des perdants des deux côtés.
Ce que Donald Trump ne veut pas voir, c'est que nous sommes rentrés dans un monde véritablement multipolaire. Dans le cas de tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis, les entreprises américaines seront durement touchées car la plupart des entreprises technologiques du pays produisent beaucoup en Chine. Il ne faut pas oublier non plus que Pékin a d'autres grandes régions du monde avec qui échanger. L'ASEAN fête ses 50 ans cette année. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que Xi-Jinping ait choisi la Suisse, l'Europe et le forum de Davos pour son premier voyage de 2017.
Enfin, la force de la Chine a été, reste et restera l'immensité de son marché intérieur. Je pense, et j'espère, que la Chine va rester patiente, elle l'a été jusque là. Il va falloir maintenant observer les prochaines semaines. Voir comment la situation évolue avec la prise de pouvoir réelle de l'administration Trump. Malheureusement, on risque de rentrer dans une période de tensions sino-américaines. Il faut espérer que la rationalité va l'emporter mais cela prendra du temps. Il y a un vrai changement d'attitude américaine vis-a-vis de la Chine qui se traduit par un véritable durcissement. Donald Trump le sait. Quand il prend le téléphone pour parler directement à Tsai Ing-wen la responsable de Taiwan - une première depuis 1979 - il sait très bien que c'est une provocation majeure. Il a continué après dans les médias comme la FOX ou le Wall Street Journal à déclarer que le principe de reconnaissance de la Chine unique était négociable. Sauf que pour les Chinois, ce n'est absolument pas le cas. C’est une position nouvelle et très dure. Cela ne peut pas ne pas provoquer des tensions. Jusqu'à présent la Chine a fait preuve de, ce que j'appelle, patience stratégique. La réponse à toutes ces provocations a été le discours de Xi-Jinping à Davos.
Donald Trump me donne l'impression qu'il veut agir comme si nous vivions toujours dans un monde unipolaire organisé autour de la puissance américaine
Donald Trump est en train de développer de nouvelles formes d'unilatéralisme. Une ambition qui a mon sens est fantaisiste dans un monde multipolaire. La Chine, quant à elle, est dans une attitude internationaliste et soucieuse de l'universel. Avec les Nations unies, elle réfléchit à améliorer la gouvernance mondiale, ce qui n'intéresse pas Donald Trump qui ne pense qu'aux Etats-Unis. Au regard des échanges commerciaux, l'unilatéralisme ne peut pas être envisagé comme le président américain le désire. Les Etats-Unis font partie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et ne peuvent pas aller contre ses règles. Selon les accords qu'ils ont signés avec l'OMC, les Etats-Unis ne peuvent pas imposer des taxes et instaurer des barrières douanières. Donald Trump me donne l'impression qu'il veut agir comme si nous vivions toujours dans un monde unipolaire organisé autour de la puissance américaine alors que la réalité est à la multipolarité. Nous vivons un moment important, peut-être même historique. Soit la Chine et les Etats-Unis arriveront à s'entendre et pourront alors régler tous les grands problèmes du monde d'aujourd'hui. Soit ils rentreront dans une sorte de bipolarité et d'opposition qui ressemblera à une nouvelle guerre froide. Dans ce cas, le monde entier en souffrira. Il est un peu tôt pour se prononcer sur la tournure que prendront ces relations mais on est en droit d'être inquiet.
Le cauchemar d'une partie des stratèges américains serait la réussite du projet de la nouvelle Route de la Soie
RT France : Dans ce bras de fer qui s'annonce entre les deux puissances, quelle place pourra avoir l'Europe, elle qui est un partenaire privilégié de la Chine et des Etats-Unis ?
D. G. : C'est un point important. Une guerre commerciale entre les deux pays affecterait évidemment aussi l'Europe. Je pense que s'il devait y avoir une dégradation des rapports sino-américains, la Chine cherchera à intensifier ses relations économiques et politiques avec l'Europe. Dans un premier temps, l'Europe ne souffrira pas de la détérioration des liens entre Pékin et Washington. Mais si ce conflit était amené à durer, nous serions tous perdants.
Je suis convaincu que Donald Trump n'aime pas vraiment l'idée d'une Union européenne. J'ai l'impression que lui et ses conseillers sont en train d'essayer de diviser l'Eurasie, ou du moins les groupements qui fonctionnent au sein de l'Eurasie. Le cauchemar d'une partie des stratèges américains serait la réussite du projet de la nouvelle Route de la Soie. Ce projet signifierait une coopération plus grande entre l'Europe et la Chine en incluant l'Afrique. Si ce projet d'axe Afrique-Eurasie devait véritablement marcher, les Etats-Unis se retrouveraient de facto marginalisés. On en revient à la théorie de Brzezinski et du grand échiquier. Or, qu'est-ce que Donald Trump est en train de faire ? Il essaie de créer des problèmes en Extrême-Orient. Il a soutenu des gens comme Nigel Farage en faveur du Brexit. La désunion au cœur de l'Europe ne peut que servir aux Etats-Unis pour garder un poids en Europe. Donald Trump est l'anti-nouvelle Route de la Soie : pas de coopération internationale, tout doit tourner autour des intérêts américains et surtout pas de cohésion au sein du grand continent eurasiatique.
L'idée que Donald Trump va réussir à utiliser Poutine pour qu'il contienne Xi-Jinping ne peut pas être suivie d'effets. La Chine est devenue absolument vitale pour la Russie
RT France : Le rapprochement que veut mettre en place Donald Trump avec Moscou pourrait-il remettre en cause le partenariat entre la Russie et la Chine ?
D. G. : Je ne crois pas que son rapprochement avec la Russie contredise cette idée d'un Donald Trump «anti nouvelle Route de la Soie». Le président américain sait que la Russie est plus faible économiquement que ce que Vladimir Poutine veut le montrer. Certains analystes pensent que Donald Trump veut utiliser la Russie pour contenir la Chine, comme Kissinger a utilisé Pékin pour contenir l'URSS au moment de la guerre froide. Mais là aussi, c'est irréaliste ! La grande différence c'est que l'Union soviétique et la Chine au moment de la guerre froide n'avaient pas d'interdépendances économiques. Ils échangeaient très peu. Or aujourd'hui, le premier partenaire commercial de la Russie, c'est la Chine. L'idée que Donald Trump va réussir à utiliser Poutine pour qu'il contienne Xi-Jinping ne peut pas être suivie d'effets. La Chine est devenue absolument vitale pour la Russie. Donald Trump va essayer mais il n'y arrivera pas.
Je pense que son projet un peu fou d'anti-nouvelle Route de la Soie, va se traduire par l'imposition par la Chine de son modèle de sagesse d'une route de coopération, de développement et de paix. Un modèle, je pense, que nous Européens, Russes et Africains devons co-construire. Idéalement, cette Route de la Soie est ouverte aux Américains. Mais l'Amérique de Donald Trump ne semble pas vouloir la co-construire. Ce qui m'étonne, c'est que la presse francophone ne semble pas prendre la mesure de la gravité de ce sujet et des conséquences de la détérioration des relations sino-américaines. L'année 2017 pourrait être décrite comme une année à très grand risque politique du fait de ce durcissement. C'est une situation assez unique depuis la fin de la guerre du Vietnam. La grande question de ces prochaines semaines sera de voir si Donald Trump sera finalement prêt à revenir à la raison et à travailler avec la Chine pour un monde plus inclusif et juste.
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