Le Brexit est plus risqué politiquement pour les européistes qu'économiquement pour le Royaume-Uni

La remontée de la livre suite au discours de Theresa May n'a rien d'anormal pour l'économiste Olivier Delamarche tant la monnaie avait baissé ces derniers mois. Les négociations du Brexit ne devraient, selon lui, pas entamer l'économie du pays.

RT France : Suite au discours de Theresa May développant son plan pour le Brexit, la livre sterling s'est envolée à un niveau jamais atteint depuis la fin des années 1990. Est-ce une bonne nouvelle pour l'économie britannique ?

Olivier Delamarche (O. D.) : Je ne pense pas qu'il y ait de dépendance aussi importante que cela sur l'effet devise depuis que les pays sont mondialisés. On l'a vu par exemple avec l'euro lorsqu'on nous annonçait de résultats extraordinaires car l'euro avait baissé face au dollar. Or on s'est aperçu que ce n'était pas si extraordinaire que cela. Pourquoi ? Toutes les grosses entreprises sont allées s’installer là où elles vendaient, donc finalement l'impact de change n'est pas aussi important que ce que les gens pensent. De plus, une hausse d'une devise a toujours un effet positif et un effet négatif. Le négatif se fait sur quelques exportations et le positif sur les importations. A chaque fois, vous avez une compensation qui fait que l'impact du changement d'une devise est plus faible qu'il n'y parait.

Il faut arrêter de penser que les annonces de Theresa May ont plus d'effets que cela. Elle démarre une négociation, il est logique qu'elle joue les gros bras. Ceux qui s'en étonnent sont des gens qui ne sont jamais allés marchander un tapis sur un marché au Maroc

RT France : Comment expliquer cette remontée ?

O. D. : Tout simplement parce qu'elle avait beaucoup baissé avant sur une impression que le Brexit allait mal se passer. Finalement, on s'aperçoit au fil des chiffres qui tombent comme celui du PIB ou de l'activité que le Royaume-uni ne s'en tire pas plus mal. Sur le discours de Theresa May, la livre est remontée car elle avait plongé la veille de façon importante mais aussi parce qu'on est aux prémices des négociations. Theresa may annonce qu'elle va passer des accords commerciaux en dehors de l'Europe. Donald Trump s'y ajoute en déclarant vouloir passer un accord avec le Royaume-Uni. Des gens se sont rendus compte que, finalement, le Royaume-Uni n'était pas mort. Beaucoup de personnes ont exagéré avant le Brexit en prédisant la fin du monde pour les Anglais. Ce n'est pas vrai et on le voit bien. Je pense que le Brexit est plus dangereux politiquement pour les Européens. Les européistes n'ont pas du tout intérêt à ce que les Britanniques réussissent, sinon cela pourrait donner des idées aux autres. Le «hard Brexit», si on peut appeler ça comme ça car c'est tout de même rigolo de voir des gens s'exciter autour de cette notion, est logique. Quand vous commencez une négociation, vous n'avez pas intérêt à commencer en bas. Vous devez montrer vos muscles. C'est exactement ce que Theresa May a fait. Il faut arrêter de penser que ses annonces ont plus d'effets que cela. Elle démarre une négociation, il est logique qu'elle joue les gros bras. Ceux qui s'en étonnent sont des gens qui ne sont jamais allés marchander un tapis sur un marché au Maroc. 

Au fur et à mesure où l'on s'aperçoit que les nouvelles ne sont pas si catastrophiques, la livre sterling remonte et ça paraît plus que logique

Mais pour revenir sur la livre sterling, je pense que cela avait été largement intégré dans les cours. Au fur et à mesure où l'on s'aperçoit que les nouvelles ne sont pas si catastrophiques, la livre sterling remonte et ça paraît plus que logique. Elle avait déjà commencé à remonter par rapport à l'euro ces dernières semaines parce qu'on se rendait compte que toutes les entreprises n'étaient pas parties, qu'il y en avait même qui venaient s'y réimplanter. Elle a eu un à-coup juste avant le discours avant de repartir. Maintenant au regard de sa forte envolée, des aficionados des statistiques sont allés regarder depuis combien de temps elle n'avait pas été aussi haute. Très bien. Je ne pense pas que cela gène plus que cela le Royaume-Uni et je pense qu'en effet il y a de la place pour qu'elle remonte un peu dans les six prochains mois.

Je pense qu'on trouvera un «gentlemen agreement» avec le Royaume-Uni et cela se passera bien moins mal que certains peuvent le penser.

RT France : Comme vous le soulignez, l'économie britannique a plutôt profité du vote en faveur du Brexit. Si les négociations qui démarreront en mars se montrent âpres et difficiles, la situation peut-elle s'inverser ?

O. D. : Les négociations vont débuter et on va avoir un lot de déclarations de toute part. On n'est donc pas à l'abri d'avoir de nouveau une volatilité sur la devise. Mais économiquement, on a pas intérêt à ce que les Britanniques ne travaillent plus avec nous. Je rappelle tout de même qu'il y a des constructeurs automobiles qui ont des usines au Royaume-Uni. Il ne faut pas penser qu'on peut dire aux Anglais dès demain «Si vous n'êtes pas sages, on ferme le tunnel sous la Manche.» C'est un jeu de négociations qui s'enclenche et qui va se faire traité par traité. Ça va être long. Beaucoup plus qu'il n'y parait car cela ne peut pas se faire en quelques jours. Le Royaume-Uni a des problèmes : un déficit budgétaire important, un ralentissement tout de même notable de son économie hors déficit et quantitative easing. Le fait qu'il y ait des négociations un peu plus brutales que prévues je ne pense pas que cela change quoi que ce soit pour l'économie britannique. Il ne faut pas croire qu'il n'y a que la City qui compte dans ce pays. Le Brexit, et je le dis depuis le départ, est beaucoup plus risqué du point de vue politique pour ceux qui ne jurent que par l'euro et l'UE que d'un point de vue économique pour les uns comme pour les autres. On a tous intérêt à s'entendre. C'est pour cela que je pense qu'on trouvera un «gentlemen agreement» avec le Royaume-Uni et cela se passera bien moins mal que certains peuvent le penser.

Pour l'instant, il y a de nombreuses déclarations et beaucoup de bluff mais pas encore de faits

RT France : Theresa May a annoncé vouloir un retrait total du Royaume-Uni du marché unique. Si cela semble avoir rassuré les dirigeants européens, est-ce la décision qui vous paraît la plus censée pour l'économie du pays ?

O. D. : J'attend de voir réellement ce qu'il va se passer. Dans les négociations au départ, on cherche à taper fort et ensuite on ajuste. Il faut donc attendre. Les marchés ont tendance à sur-réagir alors que les choses ne sont pas faites. J'éviterai de jouer quoi que ce soit pour l'instant. Parler du réajustement de la livre sterling est possible car elle avait baissé dans des proportions quasi-ridicules mais c'est tout. J'aimerais bien voir ce qu'il va rester des grandes déclarations des uns et des autres. Un peu de la même façon que les marchés ont tous joué sur les premières déclarations de Donald Trump. Il faudra voir ce qu'il en reste. C'est facile quand vous êtes en campagne et pas encore aux manettes d'annoncer tout ce que vous allez faire. La réalité est souvent beaucoup plus compliquée. J'attends de voir et je pense qu'on va être surpris sur les possibilités pour chacun de réaliser ce qu'il dit dans les conditions qu'il annonce. Je réserve mon avis pour plus tard. Pour l'instant, il y a de nombreuses déclarations et beaucoup de bluff mais pas encore de faits.

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