La nouvelle méthode de repérage des fausses informations sur Facebook pourrait aller l'encontre de la liberté d'expression et se transformer en censure, estime l'avocat, écrivain Emmanuel Pierrat.
RT France : Pensez-vous que la nouvelle méthode de Facebook pour repérer les fausses informations, va se transformer en censure ?
Emmanuel Pierrat (E. P.) : Oui, ça y ressemble, parce c’est une méthode très subjective, par ailleurs. C’est contraire au principe d’internet et des réseaux sociaux – a priori, qui est de la liberté d’expression. Mais Facebook utilise déjà des méthodes de censure. Il y a déjà des sujets sur lesquels Facebook intervient et retire automatiquement – sur les questions de morale sexuelle, sur les tableaux anciens…
RT France : Comme L’origine du monde ?
E. P. : Exactement, c’est une grande absurdité. Un tableau, un chef d’œuvre qui est visible dans un musée parisien est interdit sur Facebook. Donc, Facebook est déjà un instrument qui va à l’encontre de la politique de liberté d’expression. Mais leur système, leur façon de mettre en place cette espèce de comité de vérification ou de dénonciation de ce qui serait faux ressemble à un comité de censure.
Il ne faut pas se tromper, Facebook, supposé transnational, est une société américaine avant tout
RT France : Plusieurs utilisateurs de Facebook se plaignent déjà de décisions «unilatérales» de suppression de certaines images et textes. Pensez-vous que l’introduction de nouvelles méthodes de repérage d’information va provoquer à son tour la création d’une certaine autorité judiciaire afin de régler les différends ?
E. P. : Oui, cela va être un tribunal privé. Au lieu de se remettre à la justice classique de nos pays, c’est une justice privée qui va se créer, soumise évidemment aux intérêts économiques de Facebook sans faire attention aux particularismes nationaux. Il ne faut pas se tromper, Facebook, supposé transnational, est une société américaine avant tout, même dans sa façon de regarder et analyser les problèmes juridiques qui peuvent se poser à eux. La censure des tableaux est une censure totalement anglo-saxonne, très américaine. Et on l’a avec Facebook qui laisse passer des discours de haine sans difficulté qu’en revanche on peut signaler si cela pose un problème. Donc ce ne sera pas une juridiction d’un point de vue international, mais quelque chose d’assez biaisé et qui ne prendra pas en compte les particularismes régionaux et locaux et la sensibilité d’un tel ou tel pays malheureusement.
Le moindre petit dérèglement sur Facebook a des répercussions immenses
RT France : Pourquoi les autorités de différents pays mettent autant de zèle à lutter contre les fausses informations maintenant ?
E. P. : Parce que Facebook a un pouvoir immense, plus d’un milliard de personnes connectées au monde. C’est plus d’un instrument de communication, c’est devenu presque un «service public», c’est de l’ordre du téléphone et de la poste. La difficulté c’est que ce «téléphone» et cette «poste» sont submergés d’information. Ce n’est pas qu’un outil, c’est un outil qui transmet l’information. Du moment que cet outil est devenu international, vital et important, cela pose une vraie difficulté. Et le moindre petit dérèglement sur Facebook a des répercussions immenses sur tel ou tel point de l’économie et de la planète. Donc les Etats s’en inquiètent légitimement. Se pose aussi le débat de la neutralité d’internet. Malheureusement c’est un peu illusoire parce que internet a été conçu à l’origine comme un système de recherche mais très vite a été pris par les sociétés commerciales. Donc on est dans une ambiguïté. A la fois c’est devenu un moyen de communication qui devrait relever du service public ou de l’Etat et un paradoxe que c’est tenu par les sociétés commerciales. Tout est biaisé et le seul fait qu’on puisse augmenter la publicité des informations en payant, c’est quelque chose de biaisé. Un média n’achète pas son audience alors que sur Facebook vous pouvez diffuser plus largement en payant.
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