RT : Le président colombien Juan Manuel Santos s'est vu attribuer le prix Nobel de la Paix. Croyez-vous que cet événement puisse donner une nouvelle impulsion au processus de paix après le référendum du 2 octobre ? Peut-on dire que ce prix devrait revenir à plusieurs personnes, et non à une seule ?
Le prix Nobel de la Paix devrait pousser le président Santos à mener à son terme le processus de ratification de l’accord de paix
Ivan Marquez (I. M.) : En principe, c'est ça. Selon nous, le prix Nobel de la Paix devrait pousser le président Santos à mener à son terme le processus de ratification de l’accord de paix signé à la Havane, qui, comme tout le monde sait, ne peut pas l'être à l’heure actuelle. Mais le plus important est qu'il aura la possibilité de trouver un moyen pour réaliser le rêve de tous les Colombiens d'avoir une vie décente. C'est vrai que le prix Nobel de la Paix n'est pas l'affaire d'une seule personne. Nous sommes heureux que le Président se soit vu décerner une si haute distinction. Nous y avons un peu de mérite aussi. Ce serait injuste d'oublier la lutte du peuple colombien, les victimes de cette lutte, le rôle des pays garants - Cuba et la Norvège, ou celui du Venezuela et du Chili, qui ont été des médiateurs dans le processus de négociation. Ils ont été avec nous dans les moments les plus difficiles et font maintenant des efforts incroyables pour faire aboutir le processus de paix.
RT : D'aucuns se demandent ce qui pourrait arriver à l’accord de paix, quel est son avenir ?
I. M. : Nous allons organiser un certain nombre d’événements pour connaître l’opinion publique. Mais ce n'est pas seulement avec des gens qui ont voté contre l'accord de paix que nous allons communiquer. C'est qu'outre les partisans d'Alvaro Uribe, des personnes raisonnables ont également voté en Columbie pour le «non». Beaucoup de ces personnes-là ont été trompées par l'intérmédiaire d'une campagne organisée par l'ex-président Alvaro Uribe. Il faut écouter ceux qui ont voté pour, et nous allons le faire. Il faut écouter les victimes du conflit. Il faut absolument écouter ces 62% qui n'ont pas participé au référendum du 2 octobre - ce qui représente plus de 20 millions de Colombiens. Nous allons comprendre ce qui les préoccupe et en tenir compte, en travaillant sur la rédaction de l’annexe à l’accord que nous avons signé à la Havane.
Certains d'entre ceux qui ont voté contre le regrettent maintenant et voudraient reconsidérer leur point de vue
RT : Pourquoi, selon vous, le référendum a-t-il abouti à un «non» ?
I. M. : Il y a beaucoup de raisons. D'abord, certains ont été trompés. Ensuite, c'était dû à l'ignorance, à la crédulité et à la naïveté de beaucoup de personnes. Je pense qu'ils vont certainement réagir. Mais, en effet, certains d'entre ceux qui ont voté contre le regrettent maintenant et voudraient reconsidérer leur point de vue. Certains militants de l'accord de paix ont traité ce référendum de façon trop légère. Ils pensaient qu'ils allaient l'emporter, car les sondages montraient 70% pour et 30% contre. Du coup ils se sont calmés. Et là, il y a eu une surprise. En tant que FARC, nous n'avons pas mené de campagne ouverte pour l'accord de paix, car on nous qualifie toujours d'«organisation avec des armes dans les mains». Si on participait à des campagnes de ce genre, en Colombie on appellerait cela de la «politique avec des armements», ce qui est inacceptable dans notre pays aujourd'hui.
Il nous faut apprendre à coexister, créer des conditions pour la réconciliation, mettre en œuvre le principe de non-violence de Gandhi
RT : Comment évaluez-vous les revendications que l'ex-président et sénateur actuel Alvaro Uribe après l’annonce des résultats le 2 octobre ?
I. M. : Alvaro Uribe sème la discorde en Colombie. Nous sommes convaincus que, si le contrôle du processus de paix lui est confié, la Colombie deviendra un véritable enfer. On peut l'affirmer avec précision, sa personne est bien connue en Colombie. En ce qui concerne ses revendications, la seule chose qu'il veut, c'est saboter les accords de paix. Il veut les détruire. Nous avons dit aux responsables qu'il veut non seulement saboter ces accords conclus à la Havane, mais il cherche aussi à avoir la tête du président. C'est dommage qu'il y ait encore des gens qui, comme lui, incitent à la haine et à la violence. Il nous faut apprendre à coexister, créer des conditions pour la réconciliation, mettre en œuvre le principe de non-violence de Gandhi. Ce qu'il nous faut ce sont des changements politiques, économiques et sociaux. Sans ces changements, nous ne pourrons pas créer les conditions nécessaires à une paix durable et stable.
Les voix qui appartiennent à Alvaro Uribe, ce sont les voix de ceux qui pensent que les problèmes de la Colombie peuvent être résolus par la guerre
RT : Certains analystes des médias prétendent que l'ancien président Alvaro Uribe a profité le plus de ces résultats, ce qui prouve son influence dans certains secteurs de la Colombie. Est-ce vrai ?
I. M. : Non, pas du tout. Ces six millions de voix ne sont pas celles d'Alvaro Uribe, on ne peut pas dire que le non c'était à cause de lui. Il y a eu des voix de chrétiens que l'on a trompés avec cette idée de la soi-disant «philosophie du sexe» qui, en effet, n'est que la volonté des parties aux négociations qui se sont réunies à la Havane de violer les droits de femme. On leur a dit autre chose, c'est pourquoi ils ont voté contre. Il existe également des secteurs du parti conservateur, et certainement des personnes parmi la population africaine indigène qui ont également voté contre. C'est pourquoi nous ne pouvons pas offrir à Alvaro Uribe les voix qui ne lui appartiennent pas. Les voix qui lui appartiennent, ce sont les voix de ceux qui pensent que les problèmes de la Colombie peuvent être résolus par la guerre. Il essaie d'y parvenir depuis de longues années, mais il n'y arrive pas, il n'a pas réussi à gagner la guerre, et maintenant il essaie d'empêcher la paix. Je pense qu'ensemble nous, les Colombiens, nous pourrons remettre celui qui a endeuillé notre peuple à sa place.
RT : Nous avons récemment entendu que beaucoup d'officiers supérieurs des forces révolutionnaires de Colombie - de l'Armée populaire - retournent dans leurs anciens camps. Qu'est-ce que FARC-EP entreprend au regard de la situation actuelle, alors qu'il y a une vraie menace sur les accords ?
I. M. : Il y a deux points importants. Premièrement, il est vrai que les représentants de FARC-EP qui participaient à la conférence de Yari retournent à leurs fronts de la guérilla et dans les camps un peu partout dans le pays. C'est vrai. C'est ainsi. Deuxièmement, en ce qui concerne les déclarations du gouvernement selon lesquelles le régime du cessez-le-feu bilatéral sera en force jusqu'au 31 octobre, nous prenons des mesures de sûreté nécessaires dans les zones de nos opérations. Ce n'est pas en vue de la confrontation, mais pour éviter les situations susceptibles d’endommager l'ambiance saine qui s'est installée lors de ce processus, surtout pour ce qui est de la confiance, car c'est la confiance entre les parties qui nous a rendus plus forts. Maintenant nous voyons des forces armées de Colombie renouvelées.
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