Suspension de la coopération russo-américaine en Syrie : la politique US est devenue «illisible»

Les Etats-Unis ont interrompu tout contact avec la Russie sur la Syrie et mènent une politique qui s'avère incompréhensible, à cause de tiraillements en coulisses. Le chercheur Frédéric Pichon se penche sur le nouveau tour pris par ce conflit.

RT France : Comment la décision des Etats-Unis de suspendre la coopération sur le dossier syrien avec la Russie va-t-elle influencer la lutte contre le terrorisme dans la région ?

 Les Russes ne comptent plus sur les Etats-Unis

Frédéric Pichon (F. P.) : Je crois que la position des Etats-Unis, qu’on avait cru rejoindre celle de la Russie et qui consiste à dire qu’il n’y a pas de rébellion modérée, que le problème de la guerre en Syrie est un problème terroriste, n’était qu’une apparence. Le bombardement d’une unité de l’armée syrienne en septembre dernier l’a prouvé et il semble que les Etats-Unis ne veulent pas appliquer sincèrement cet accord. De fait, la Russie considère que, désormais, elle a les coudées franches, que personne ne pourra la faire sortir de Syrie, et que les Etats-Unis prennent un risque énorme à continuer de cacher la réalité. C’est-à-dire que la rébellion en Syrie est essentiellement djihadiste et soutenue par des parrains extrémistes depuis l’extérieur. Les Russes ne comptent plus sur les Etats-Unis. Ce qui est étonnant est qu’il y a eu une frappe de drones américaine contre un responsable du Fatah al-Sham [nouvelle appellation du Front Al-Nosra]. Cette politique américaine est assez illisible, je pense que c’est dû aux tiraillements énormes qui ont lieu en ce moment au cœur du pouvoir américain entre certains lobbyistes, la CIA et le Pentagone. 

Les Russes et un certain nombre de pays semblent prendre à cœur la lutte contre le terrorisme, beaucoup plus que les Etats-Unis ou les Occidentaux

RT France : Une attaque contre l’ambassade russe à Damas a eu lieu le 4 octobre, juste après l’annonce de Washington de suspendre la coopération. Pensez-vous que ces événements soient liés ?

F. P. : Bien entendu, rien n’arrive par hasard. Ce n’est pas la première fois que l’ambassade russe à Damas est bombardée. Il y a un an, j’avais vu et entendu parler d'une attaque. On va dire qu’il y a une concomitance qui est peut-être le fruit du hasard : le revirement américain sur le dossier syrien fait passer la Russie pour le diable, ce qui est une inversion des choses. Les Russes et un certain nombre de pays semblent prendre à cœur la lutte contre le terrorisme, beaucoup plus que les Etats-Unis ou les Occidentaux.

RT France :  L’ambassade a été attaqué depuis un territoire contrôlé par les rebelles, mais les Etats-Unis prétendent qu’il est difficile de séparer les «bons» des «mauvais» rebelles. Est-ce effectivement le cas ?

F. P. : A partir du moment où des groupes armés acceptent de coopérer sur le terrain avec des groupes qui sont considérés par l’ONU et même par les Etats-Unis comme des organisations terroristes, on ne voit pas trop où est la complication. Ces groupes dits «modérés» commettent une erreur et à ce titre ils cautionnent d’une certaine manière l’extrémisme et le djihadisme. On ne voit pas comment on pourrait essayer de les séparer. On a pourtant une réponse guerrière, qui est de les faire se séparer en les bombardant. 

A moins vraiment qu’ils soient totalement aveuglés, je ne crois pas que les Etats-Unis veuillent recommencer l’erreur qu’ils ont commise en Irak

RT France : Le ministère des Affaires étrangères russe estime que les Etats-Unis sont prêts à un «accord avec le diable» pour renverser Bachar el-Assad. Pensez-vous qu’ils soient désormais prêts à travailler davantage avec les rebelles pour y parvenir ?

F. P. : Je ne le crois pas du tout. A moins vraiment qu’ils soient totalement aveuglés, je ne crois pas que les Etats-Unis veuillent recommencer l’erreur qu’ils ont commise en Irak. C’est-à-dire de participer au démantèlement et ne pas être capable de gérer l'après. S’ils avaient voulu le faire, ils l'auraient fait depuis longtemps, bien avant 2015. Je pense que Barack Obama a bien conscience que conserver en l’état les structures du gouvernement syrien, c’est indispensable.

La politique de la Russie est de toujours s’appuyer sur le droit international et d’en arriver par les solutions légales

RT France : Le représentant russe auprès de l’ONU estime que les efforts conjoints des Etats-Unis et de la Russie sont le moyen le plus efficace pour aboutir à une paix en Syrie. Pensez-vous que cette coopération puisse être rétablie ?

F. P. : Ces dernières semaines ont été illustrées par de véritables trahisons des accords qui avaient été conclus entre les deux puissances. La confiance est quand même sérieusement minée. Maintenant la politique de la Russie est de toujours s’appuyer sur le droit international et d’en arriver par les solutions légales au niveau du droit international à faire converger des acteurs sur ces objectifs. Côté russe, je ne pense pas qu’on abandonnera cette solution, mais je ne sais pas si cela fonctionnera. 

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