RT France : L’accord sur la réduction de production de pétrole devrait être finalisé en novembre. Pensez-vous qu’il puisse encore échouer ?
Alexandre Kaleb (A. K.) : La réunion informelle d’Alger a abouti à une base de négociations pour finaliser un accord dans le cadre de la réunion de novembre à Vienne, avec une marge de manœuvre qui permet d’essayer au cours des deux prochains mois d’aboutir à un partage au niveau des quotas. Je ne pense pas qu’on aboutira à un échec en novembre. Toute la question est de savoir à quel niveau portera l’effort, et jusqu’à quel point les différents pays, notamment les pays qui maîtrisent le levier de la négociation, pourront s’entendre pour aboutir au meilleur accord possible. Il y a une incertitude, une fourchette, et le résultat optimal serait d’aboutir au bas de la fourchette. Pour tout le monde. Et ce n’est pas encore garanti.
Ce n’est pas dans l’intérêt ni de l’Arabie saoudite, ni des autres pays de l’OPEP de voir arriver une production massive de pétrole de schiste américain
RT France : C’est le premier accord sur une baisse de production du pétrole depuis huit ans. Qu’est-ce qui a poussé l’OPEP à finalement se mettre d’accord ?
A. K. : Je pense qu’il y a une volonté commune aujourd’hui de stabiliser les prix, ce qui correspond aussi à des prévisions au niveau de l’ajustement de la demande qui est plus tardive que ce qu’on espérait : les prévisions qu’on avait auparavant montraient que le marché se stabiliserait lui-même vers la fin 2016/début 2017. Or, il se trouve qu’entre temps il y a eu un regain de production de la part de certains pays, et en même temps un certain fléchissement de l’offre qui fait que le volant d’ajustement est plus important que prévu, et l’ajustement des marchés est reporté à fin 2017/début 2018. Donc dans cette situation, les acteurs importants ont jugé qu’un signal fort devait être envoyé aux marchés sur la résolution des différents pays de l’OPEP, et hors de l’OPEP, à stabiliser les marchés et à relancer les investissements. Aujourd’hui on est à un cours qui n’est pas suffisant pour justifier des investissements massifs avec comme conséquence une possible pénurie de l’offre dans quelques années et passer d’une situation de prix bas à celle de prix trop élevés, qui finalement n’arrangent pas les affaires des différents acteurs, sachant qu’aujourd’hui il y a le pétrole de schiste américain qui joue la variable d’ajustement et qui pourrait bénéficier des prix élevés. Et ce n’est pas dans l’intérêt ni de l’Arabie saoudite, ni des autres pays de l’OPEP, de voir arriver une production massive de pétrole de schiste américain.
Tous les pays voient qu’il faut aboutir à un consensus
RT France : Pensez-vous que les pays membres peuvent persuader d’autres pays producteurs à se soumettre à leur initiative ?
A. K. : Oui, je pense qu’il y a des discussions constructives qui ont été engagées, avec la Russie notamment. Le ministre russe de l’Energie, Alexander Novak, a fait part de sa disponibilité pour des discussions. On attend d’abord que la décision soit prise par les pays de l’OPEP. Je pense que tous les pays voient qu’il faut aboutir à un consensus qui ménage l’intérêt de l’Iran et d’autres pays qui seraient prêts à augmenter leur production, comme la Libye et le Nigéria. Le problème principal est à ce niveau.
Les deux grands producteurs, ce sont l’Arabie saoudite pour l’OPEP et la Russie en dehors de l’OPEP, et la simple manifestation de volonté de travailler en commun permet d’adresser des signaux aux marchés.
RT France : Qui sera le grand perdant de cet accord ?
A. K. : Il n’y a pas vraiment de grand perdant, parce qu’au final même les compagnies américaines seront gagnantes d’une certaine manière, puisque cela permet de relancer leurs investissements. Je pense que tout le monde veut quelque part voir les prix du pétrole s’afficher à la hausse parce que c’est un signe de confiance aussi dans les perspectives de l’économie mondiale. Cela permet de soutenir les pays producteurs, cela permet de soutenir le secteur énergétique et finalement cela n’aura qu’un impact très limité sur les consommateurs. Donc c’est plutôt un signe positif qui peut être envoyé sur la capacité de réguler ce marché.
On va avoir une reconfiguration des formats de discussion sur ces questions pétrolières à l’avenir
RT France : Est-ce que à l’avenir le format OPEP restera le bon format ?
A. K. : C’est une véritable interrogation, parce que le fait d’inclure des pays comme la Russie ou la Norvège, puisque la Norvège était présente à Alger, est à l'ordre du jour. C’est un signe que probablement on va avoir une reconfiguration des formats de discussion sur ces questions pétrolières à l’avenir. Comme on l'observe aujourd’hui de manière informelle, mais probablement cela prépare une reconfiguration plus importante et radicale à l’avenir. Je pense que c’est dans ce sens que l’on va et ça s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique plus important de redistribution des cartes au niveau mondial.
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