RT France : Hier, Bernard Squarcini et Christian Flaesch, anciens hauts responsables de la police française et proches de Nicolas Sarkozy, ont été mis en garde à vue. Aujourd’hui, des documents concernant des liens possibles entre Sarkozy et Kadhafi ont été révélés. Le timing ne vous étonne-t-il pas ?
Régis de Castelnau (R. C.) : Non, il ne peut pas m’étonner. Vous oubliez une autre chose : aujourd’hui on annonce la publication par Patrick Buisson, qui était un des conseillers proches de Nicolas Sarkozy, d’un livre de 500 pages qui contient des transcriptions des conversations frauduleusement enregistrées par Patrick Buisson…
Sur le fond : Squarcini qui est mis en garde à vue avec un autre par le parquet à ce moment-là, évidemment c’est une manœuvre. C’est le parquet financier qui est au service du pouvoir en place d’aujourd’hui. Je ne connais pas le fond du dossier, mais je pense que ça n’a même pas un intérêt. La seule chose qu’on peut retenir c’est qu’il s’agit d’une tentative de déstabilisation de Nicolas Sarkozy.
Deuxièmement, Mediapart prétend que Nicolas Sarkozy aurait vu financer sa campagne de 2007 à des hauteurs vertigineuses par Kadhafi. Tous apprennent – il n’y a pas grand-chose d’après ce que j’ai compris jusqu’à présent – tout d’un coup, à deux mois de la primaire de la droite, on trouve un carnet écrit en arabe qui aurait été écrit par un monsieur qui est décédé d'une crise il y a quelques années. Je pense que Mediapart n’est qu’un épisode de plus dans cette tentative de le déstabiliser, et enfin il y a le livre de Buisson…
Jusqu’à la primaire de la droite ça va être la lutte à mort, ça c’est clair
RT France : Si tout cela est une campagne de déstabilisation, qui pourrait en tirer profit ?
R. C. : Ce que j’appelle le mainstream – la caste médiatique, politique, essentiellement parisienne, est totalement terrorisée à l’idée du retour de Nicolas Sarkozy. Il y a un premier facteur : Nicolas Sarkozy provoque une détestation assez invraisemblable. Moi personnellement, je n’ai jamais voté pour cette famille-là, mais je suis surpris de voir comment un homme politique qu’on peut ne pas apprécier, ne pas aimer, suscite une haine pareille, une hystérie. Cela me surprend. Deuxièmement, je crois qu’il y a la peur qu’il revienne parce que depuis son départ du pouvoir en 2012, Nicolas Sarkozy a subi des procédures judiciaires qui étaient injustifiées, avec des méthodes qui étaient inadmissibles. Il y a à peu près tous les gens qu’il avait aidés, qu’il avait promus, nommés ministres – qui l’ont trahi. Il y a ceux qui ont joué un rôle important dans les campagnes contre lui et je pense par exemple à Mediapart : Monsieur Plenel a peut-être du souci à se faire dans la mesure où il a commis des fraudes fiscales, et le pouvoir socialiste a été relativement bienveillant avec lui. Il n’est pas du tout sûr que revenu au pouvoir, Nicolas Sarkozy soit aussi tendre. Donc il y a ces deux facteurs : la détestation de Nicolas Sarkozy qui est à mon avis presque irrationnelle, et deuxièmement il y a cette peur de son retour, parce que peut-être il aura l’envie de revanche ou des envies de régler ses comptes…
Et jusqu’à la primaire de la droite ça va être la lutte à mort, ça c’est clair. A ce niveau-là c’est un symptôme d’une crise politique et institutionnelle assez grave pour la France.
En général c’est très compliqué d’impliquer Nicolas Sarkozy malgré les efforts et la partialité assez extraordinaires
RT France : Alors, estimez-vous que ce ne sont pas les derniers éléments de cette campagne présumée contre Nicolas Sarkozy ?
R. C. : Oui, on va apprendre que Nicolas Sarkozy mange les petits enfants. Il y a déjà une tentative pour essayer de l’impliquer dans une affaire de trafic de cocaïne dans des avions privés avec les Caraïbes… Oui, je pense que c’est tous les jours maintenant.
RT France : Vous avez mentionné les défauts de l’enquête, par exemple, le fait qu’elle s’est étalée sur cinq ans. Est-ce normal une telle durée pour une enquête ?
R. C. : Oh, s’il n’y en avait qu’une… Déjà il y a une affaire qui essaie de l’accrocher qui date de 1993. C’est «l’affaire Karachi» - des rétro-commissions sur les grands marchés internationaux etc. Il n’a toujours pas été possible de l’impliquer, mais l’enquête n’est pas clôturée. Cela fait 23 ans. Sur la campagne de 2007, cela fait une dizaine d’années, mais bien sûr que cela aurait dû être clôturé depuis longtemps. On a rien trouvé, mais on garde cette affaire sous le coude, parce que cela a permis des relances médiatiques comme vient de le faire Mediapart.
Ensuite, vous avez l’affaire Bétancourt, cela a été un non-lieu, il y a eu l’affaire de la fameuse amende payée par le parti, cela a été, là aussi, clôturé. Il y a eu des voyages payés par un homme d’affaires en avion privé – ça aussi, un non-lieu vient d’être rendu.
Les durées sont assez longues parce que en général c’est très compliqué d’impliquer Nicolas Sarkozy malgré les efforts et la partialité assez extraordinaires que personnellement j’ai rarement vues dans ma longue carrière. Je pense à la grande déception de tous ces gens qui le détestent ou qui ont peur de son retour.
Il a pris la posture de candidat antisystème – peut-être est-ce pour imiter Trump ?
RT France : Alors a-t-il une chance de revenir si on mène une campagne contre lui et le perçoit comme une telle menace ?
R. C. : Le problème c’est que c’est en train de produire l’effet rigoureusement inverse : je crois que l’opinion publique est tout à fait convaincue de l’acharnement désormais. Je pense que c’est quelqu’un qui a toujours été très clivant – du côté de ses partisans, du côté de ces couches populaires qui sont un peu muettes et invisibles, il y a aujourd’hui une exaspération vis-à-vis des couches dominantes et ce n’est pas du tout impossible que ça le serve. Il a pris la posture de candidat anti-système – je ne sais pas, [peut-être] est-ce pour imiter Trump – qui fait que ces campagnes peuvent le servir. Comme vous voyez aux Etats-Unis, malgré la violence des campagnes anti-Trump de tout l’establishment, Donald Trump est quand même toujours largement debout. Donc je me demande si effectivement pour Nicolas Sarkozy cela ne constitue-t-il pas une chance.
RT France : Dans ce cas, ceux qu’on peut accuser de cet acharnement, comme vous l’appelez, contre Nicolas Sarkozy, font-ils suffisamment pour que la pression des faits consécutifs contre Nicolas Sarkozy n’apparaisse pas comme une pression politique ?
R. C. : Je pense que le pouvoir actuel a beaucoup manipulé de ces choses-là, je pense qu’aujourd’hui ils sont confrontés à cette problématique : si on en fait trop, cela ne va-t-il pas le servir ? Mais la mécanique est tellement bien faite et la détestation de Nicolas Sarkozy est tellement répandue dans ces couches supérieures, que ça part tout seul. Je pense que le pouvoir en place a instrumentalisé la justice pour essayer de se débarrasser de Nicolas Sarkozy, c’est difficilement niable, mais la machine fonctionne également toute seule. Vous allez sur les réseaux, parfois je suis surpris. Il y a des hommes politiques qui l’aiment, d’autres qui le détestent, mais là, les cris prennent des proportions assez ahurissantes. Et donc aujourd’hui la machine fonctionne toute seule.