RT : Les récentes disputes entre le FBI et Apple sur la possibilité de déverouiller l'iPhone crypté du tireur de San-Bernardino ont pris fin lorsque le FBI a annoncé pouvoir accéder à ces informations sans l'aide d’une tierce partie. Le FBI avait-il le droit d'avoir accès aux informations stockées sur le portable du terroriste ?
John McAfee (J. M.) : La question n'est pas de savoir s'ils ont le droit ou pas. Comme il est soupçonné d'avoir commis un crime, la question n’est pas le droit du FBI à y avoir accès mais plutôt de savoir s'ils ont besoin de demander à Apple de leur donner accès, de façon à ce qu'ils puissent accéder à tous les téléphones.
Peu importe le niveau de sécurité que vous essayez de donner à votre système, quelqu'un trouvera toujours un moyen de le forcer
RT : Comment une entrerpise comme Apple peut-elle s'y opposer ? Est-elle en mesure de lutter contre les nouvelles formes de piratage ?
J. M. : Voilà la vérité du piratage et de la sécurité : peu importe le niveau de sécurité que vous essayez de donner à votre système, quelqu'un trouvera toujours un moyen de le forcer. Cela a toujours été ainsi avec les coffre-forts, avec les serrures, avec les coffres des banques. On trouvera toujours un moyen. Rien dans la vie n'est jamais parfaitement sécurisé.
RT : Le directeur du FBI a admis bloquer la caméra de son ordinateur portable avec un ruban adhésif pour protéger sa vie privée. Faudrait-il que tout le monde fasse cela ?
J. M. : Pas du tout. Cela ne montre juste à quel point le FBI est peu sophistiqué, car il existe de nombreux produits pour cela... On peut les télécharger et la fermer en cliquant sur le bouton : si vous souhaitez verrouiller le caméra, faites-le, bloquez le micro, bloquez ce que vous voulez. Tout cela est disponible. Le fait que le directeur du FBI utilise du ruban adhésif – du scotch (!) – au lieu de profiter de logiciels plus sophistiqués que ce que nous utilisons me fait peur.
Si j'ai envie d'aller dans le bois et chuchoter quelque chose à ma femme, je devrais avoir le droit de le faire.
RT : Oui, mais certains diront que ces techniques classiques sont le moyen le plus sûr de ne pas être piraté. On ne peut pas hacker un ruban adhésif.
J. M. : Pas du tout. Le ruban ne fait que couvrir le caméra, ce qui veut dire que la caméra ne peut pas prendre une photo de vous. Mais il ne couvre pas le micro... et vous êtes toujours sur internet. Bien sûr, vous êtes protégé et on ne peut pas vous voir, mais on peut vous écouter, vous ne pouvez pas empêcher aux logiciels de se mettre dans votre système et de voler vos données. C’est une approche très rudimentaire.
RT : On critique la messagerie Telegram car les terroristes l'utiliseraient. Là nous sommes confrontés à un dilemme moral. Vous attendez-vous à une répression des forces de l'ordre par rapport à ces messageries cryptées, au regard des préoccupations sécuritaires ?
J. M. : Certainement. [Mais] pourquoi les forces de l'ordre auraient-elles le droit d'écouter mes conversations privées. Si j'ai envie d'aller dans le bois et chuchoter quelque chose à ma femme, je devrais avoir le droit de le faire. J'ai le droit à la vie privée.
RT : Un terroriste a-t-il le droit à la vie privée ?
J. M. : Comment savez-vous que quelqu'un est un terroriste ? Une personne «suspecte» n’est pas une personne coupable. Tant qu'on ne vous a pas reconnu coupable, vous jouissez des mêmes droits que les autres. Ce sont les Etats-Unis. Nous avons une Constitution. Je suis désolé, je ne suis pas un terroriste et vous ne l'êtes pas non plus à ce que je sache, devriez vous renoncez à votre droit à la vie privée seulement parce qu’il y a des terroristes ? Absolument pas ! Vous rendez-vous compte du chaos et de la folie dans laquelle cela nous pousserait ? Notre société serait scindée en deux. On ne peut faire ça.
Nous sommes restés dans les années 1930, quand on luttait contre la criminalité organisée provoquée par la prohibition en ayant recours aux écoutes – et ça marchait très bien
RT : En ce qui concerne la cyber guerre contre le terrorisme, vous avez pu dire que l’Amérique était bloquée dans cette idée que les écoutes seraient un moyen efficace pour lutter contre le terrorisme. Pourquoi utilise-t-on toujours ce monstrueux système de surveillance ?
J. M. : Les écoutes n'aident manifestement pas. Nous avons eu l'un des meilleurs système d'écoutes au monde. Nous avons à notre disposition toutes sortes d’appareils pour écouter les conversations privées. Avons-nous réussi à prévenir un seul attentat terroriste ? Non, pas à ce que je sache. Il faut un autre paradigme, des techniques absolument différentes. Nous sommes restés dans les années 1930, quand on luttait contre la criminalité organisée provoquée par la prohibition en ayant recours aux écoutes – et ça marchait très bien. Mais, s’il vous plaît, c'était il y a 70 ans ! Le monde a changé.
Une guerre nucléaire ne peut probablement pas être aussi dévastatrice qu'une cyberguerre
RT : Vous avez prédit qu'il y aurait une cyberguerre plus dévastatrice qu’une guerre nucléaire. Quel genre d’attaque d’envergure sur internet est vraiment possible ?
J. M. : Qu'est-ce qu'on peut hacker, demandez-vous ? N’importe quel ordinateur peut être hacké. Plus vieux il est, plus il est facile de le hacker. Que fait-on avec les ordinateurs ? Non seulement ils ont accès à l'internet et à nos impôts, mais ils contrôlent les aciéries et les usines de transformation des aliments, et pratiquement tout dans la vie, y compris nos voitures. L'année dernière une voiture a été piratée par deux hackers, basés à quelques centaines de kilomètres, le chauffeur a perdu tout contrôle du véhicule. Même les avions peuvent être piratés. Et les centrales électriques ? Le réseau électrique américain est déjà proche de la cinquantaine, la cinquantaine ! Alors que nos ordinateurs ont entre 20 à 25 ans, ils ont été crée bien avant que le problème de cybersécurité ne survienne. Et si quelqu'un se demandait : puis-je pirater une centrale électricique au lieu de hacker votre téléphone portable et voler une carte de crédit, et tout perturber jusqu'à ce que toutes les centrales explosent ? Je pense que c’est un grave problème. Que se passera-t-il, si tout explose ? On n'aura plus d’électricité. Sans électricité nous ne pouvons rien réparer – nous avons des outils électriques. Sans électricité on ne peut pas transformer la nourriture – la transformation des aliments est automatisé et contrôlé par des ordinateurs. Sans nourriture, nous mourrons. L'année dernière, le chef de la commission du Congrès sur les impulsions électromagnétiques a présenté au Congrès un rapport, indiquant que si nous avions perdu notre réseau électrique, 90 % des Américains seraient morts en 24 mois. Je pense que c’est optimiste. Comment ces 10 % peuvent survivre en l'absence de nourriture et d'eau douce ? Nous ne sommes pas habitués à chasser et pêcher pour manger. Ces 10 % ont peut-être plus de chances de survivre, mais ils seront obligés de rivaliser avec un grand nombre de personnes affamées, beaucoup d'entre eux seront armés. Alors, sérieusement, qu'est-ce qui pourrait être pire ? Une guerre nucléaire ne peut probablement pas être aussi dévastatrice, quelle que soit son importance.