RT : En ce moment un second référendum sur l'indépendance écossaise est sérieusement envisagé. Comment prévoyez-vous d'agir cette fois-ci ?
Cette fois, il est clair que l'Ecosse va voter pour l'indépendance
Alex Salmond (A. S.) : Récemment le Premier ministre écossais Nicola Sturgeon a très clairement exposé la stratégie. De tous les politiciens britanniques, il n'y a qu'elle qui montre qu'elle sait ce qu'il faut faire. Elle a tracé une direction très claire. Sa position est que 62% des habitants de l'Ecosse veulent rester dans l'UE, et que, au nom de la protection des intérêts de l'Ecosse, il est nécessaire d'entrer dans les négociations directes avec les dirigeants européens. Négociations qui peuvent conduire à un autre référendum – et, cette fois, il est clair que l'Ecosse va voter pour l'indépendance.
RT : Les récents événements seraient-ils profitables pour vous ? Le Scottish National Party est opposé à la sortie de l'UE, mais, l’échec que constitue Brexit ne pourrait-il pas être finalement une aubaine pour le parti ?
A. S. : Nous étions pour rester dans l'UE. Nous avons agi avec succès, étant donné que l'Ecosse est le seul pays du Royaume-Uni dont le vote a été très clair, donnant une majorité absolue opposée à la sortie de l'Union européenne. Nous avons fait campagne pour que l'Ecosse, l'Angleterre, l'Irlande du Nord - qui, incidemment, a également voté contre la sortie - et le Pays de Galles restent dans l'UE. Les Anglais ont exprimé leur volonté : avec une marge d'environ 6% des votes les partisans du Brexit ont gagné le scrutin. Les Ecossais se sont également exprimés : ils ont appelé à rester membre, avec une majorité de 24% dans leur cas. Le Premier ministre écossais Nicola Sturgeon […] est en train d'élaborer un plan de négociations directes avec l'Europe. On ne peut pas dire qu'elle ait profité de la situation - les Britanniques ont exprimé leur volonté d'une manière démocratique, et elle l'a assumé. Mais elle est en même temps guidée par la volonté démocratique du peuple écossais.
59% sont en faveur de l'indépendance du pays, et chez les jeunes, cette part monte à 75%
RT : Vous avez dit que l'Ecosse ne pouvait quitter l'Union européenne contre sa volonté. Mais l'Ecosse fait encore partie du Royaume-Uni. Vous avez voté lors de ce référendum, sachant que le camp des opposants Brexit pouvait perdre. Cet événement n'est-il pas une véritable manifestation de la démocratie?
A. S. : Il faut comprendre que le Royaume-Uni ne représente pas une seule nation - il est composé de quatre nations : l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande du Nord. L'Angleterre et le Pays de Galles ont voté pour la sortie de l'UE. Cependant, l'Ecosse et l'Irlande du Nord ont voté contre. Par conséquent, il est normal que des politiciens essayent de faire respecter la volonté de leur peuple. Beaucoup de gens, dont moi-même, estiment qu'au final un référendum sur l'indépendance sera très probable et peut-être inévitable. Donc, comme l’a dit Nicola Sturgeon, la question est à l'ordre du jour.
RT : La nouvelle campagne en faveur de l'indépendance de l'Ecosse mettra-t-elle davantage l'accent sur la question de l'adhésion à l'UE, au dépends de celle du retrait du Royaume-Uni ? Dans un tel cas, les chances de succès ne pourraient-elles pas augmenter ?
Le pétrole n'est pas la seule force de l'économie écossaise
A. S. : En 2014, l'un des arguments de la campagne contre l'indépendance était le suivant: «Si vous votez pour l'indépendance, vous compromettez la position de l'Ecosse au sein de l'UE». En conséquence, la plupart des gens n'ont pas voté pour l'indépendance. Maintenant, Westminster veut retirer l'Ecosse de l'Union européenne. Ce n'est donc pas surprenant que les Ecossais, qu'on a si cyniquement trompés il y a deux ans, soient en train de reconsidérer leur position. Il y a un changement d'humeur notable selon les résultats des sondages. 59% sont en faveur de l'indépendance du pays, et chez les jeunes, cette part monte à 75% - ce qui signifie que c’est cette partie de la population qui soutient le plus et l'indépendance et l'adhésion à l'UE. Maintenant, la situation a changé de manière significative par rapport à l'an 2014, et j'espère que cela aidera l'Ecosse à devenir indépendante et à rester membre l'Union européenne.
RT : Il faut prendre en compte la difficile situation économique : l'économie écossaise est au bord de la récession. Les prix du pétrole ont chuté et ce dernier ne rapporte plus de profit significatif. Les Ecossais, n'auront-ils pas peur de l'indépendance dans de telles conditions ?
L'Ecosse est tout à fait capable de prendre soin d'elle-même, dans de bons moments comme dans les situations difficiles
A. S. : Je crois que la baisse des prix du pétrole n'affecte pas que nous en ce moment. Actuellement, tous les pays-exportateurs de pétrole – l'Ecosse, la Russie, les pays du Moyen-Orient, le Canada, les États-Unis – ressentent les conséquences de la crise du pétrole. Malheureusement, cela fait partie de la réalité pour les grands exportateurs du pétrole. Cependant, dans le monde il y a 50 grands pays producteurs du pétrole et du gaz – dont l'Ecosse – et, quoi qu'il n'en soit, je ne pense pas qu'au moins un d'entre eux ne regrette de disposer de ces ressources. Ceci est certainement un atout pour l'économie, même si les bénéfices tirés de ces ressources ont diminué de manière significative. Et il ne faut pas oublier que ce n'est pas la seule force de l'économie écossaise. Prenez, par exemple, nos universités - cinq d'entre elles font partie des cent meilleures universités du monde. La réputation de l'Ecosse est parmi les meilleures de la planète - y compris, et tout à fait à juste titre, dans le domaine de l'innovation. Nous avons des ingénieurs qualifiés. L'industrie du tourisme en Ecosse est maintenant en plein essor - en fait, c'est l'un des plus beaux endroits de la planète. L'Ecosse est un pays pittoresque et ingénieux, habité par cinq millions et demi de personnes, dont la part des exportations (dans le PIB) est plus élevée que celle du Royaume-Uni dans son ensemble, et, même en omettant le pétrole, dont le PIB n'est que légèrement inférieur [au PIB britannique]. L'Ecosse est tout à fait capable de prendre soin d'elle-même, dans de bons moments comme dans les situations difficiles.
Si vous faites un référendum, vous devez assumer son résultat
RT : Le lendemain de l'annonce de la sortie du Royaume-Uni de l'UE, plus d'un million de Britanniques ont signé une pétition appelant à organiser un second référendum. Le parlement britannique va devoir maintenant l'examiner. Westminster va-t-il prendre cette pétition au sérieux ? Est-il probable que le vote soit annulé ?
A. S. : Je crois que cette pétition mérite un examen sérieux, mais je ne pense pas que les résultats du vote seront annulés. Le parlement avait décidé de tenir un référendum qui était en contradiction avec mon opinion et l'avis du Parti national écossais, et l'a tenu. Maintenant, ils sont obligés de se conformer à la décision prise à l’issue de ce référendum. Les politiciens anglais sont tenus de respecter les résultats du vote en Angleterre, comme Nicola Sturgeon se considère obligée de respecter les résultats du vote en Ecosse. Si vous faites un référendum, vous devez assumer son résultat. Une exception peut être faite uniquement si la situation, dans les années qui suivent, change de façon majeure, comme cela a été le cas en Ecosse. Le mois dernier, Nicola Sturgeon a été réélue en tant que Premier ministre écossais grâce à cette position. Elle a dit: «Si les circonstances changent considérablement — par exemple, si l'Ecosse, contre la volonté de son peuple, serait mise en danger de quitter l'Union européenne — le Parlement écossais peut avoir là des raisons pour un second référendum [sur l'indépendance]». Cependant, en l'absence de changements majeurs — et dans le cas du Royaume-Uni ces changements ne sont pas présents — un parlement qui a convoqué un référendum doit se conformer à la volonté des votants. Il est obligé de le faire. Les personnes qui ont signé cette pétition, bien sûr, méritent qu'on les prenne au sérieux, étant donné que, dans la campagne menée par Cameron, tout comme dans le contexte de ce référendum, il y a eu beaucoup d'erreurs, mais je ne pense pas que dans des conditions inchangées, la majorité des membres du parlement soutienne cette idée.
RT : Vous étiez contre la sortie de l'UE, mais plus de 17 millions de personnes au Royaume-Uni ont voté en sa faveur. L'UE va-t-elle tenir compte de cette alerte ?
A.S. : Je pense qu'elle va en tenir compte. À mon avis, un certain nombre de dirigeants européens ont déjà démontré qu'ils comprenaient que le problème n’était pas seulement une insatisfaction des Britanniques relative à l'immigration – même si les partisans du Brexit ont mis l'accent dessus dans leur campagne. Il s’agit également de la façon dont l'UE fonctionne : l'incertitude quant à savoir qui décide de quelles questions, la bien connue bureaucratie, la lente prise de décision, le fait que le gouvernement soit éloigné... Il faudrait que L'UE commence à régler tous ces problèmes.
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