Le vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'UE est un événement d'une portée historique majeure, tel qu'il n'en arrive qu'une fois par génération. Il est comparable en importance à la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989. Dans les deux cas, les peuples, par un mouvement paisible et naturel, ont infligé le coup de grâce à un système politique moribond. A terme, l'Union européenne s'effondrera tout comme le Pacte de Varsovie auquel elle ressemble.
Souvent dans l'histoire, les grands tournants ont lieu par accident. Ce fut le cas pour la chute de mur de Berlin: les Berlinois de l'Est se sont rués sur Checkpoint Charlie suite à une fausse information sur la délivrance des visas diffusée par erreur par les médias est-allemands. Confrontés à une telle foule, les gardes-frontières ne pouvaient qu'ouvrir les barrières. Autant la fin du communisme était inévitable, autant la façon dont il a eu lieu a été purement contingente.
Toute réforme des institutions européennes est impossible
De même, le Brexit aurait pu être évité si les dirigeants européens avaient agi autrement. David Cameron avait adressé un certain nombre de demandes, plutôt modestes, à ses collègues européens. Si ceux-ci avaient bien mesuré l'ampleur de la crise de confiance qu'ils traversent, au Royaume-Uni comme dans chacun des pays membres de l'UE, ils auraient consacré un très grand effort à lui donner satisfaction et à réfléchir sur les réformes pour l'UE toute entière. Cela n'aurait pas été très difficile, mais ils ont préféré continuer comme si rien n’était et lui infliger une fin de non-recevoir hautaine et arrogante. Ils ont ainsi humilié Cameron devant son propre peuple, montrant ainsi que toute réforme des institutions européennes est impossible. C'est leur propre raideur et leur manque de vision qui auront fait sauter le projet européen.
L'arrivée depuis 2004 de plus de deux millions de Polonais et d'autres Européens de l'Est a été une vague qui risquait de noyer le peuple britannique
L'effondrement de l'Union européenne est désormais inévitable parce que le vote en faveur du Brexit montre que les nations fières peuvent refuser de disparaître. En effet, il faut comprendre le vote comme un sursaut national face à une menace existentielle. La fuite en avant pratiquée par des gouvernements successifs, travailliste sous Tony Blair comme conservateur sous David Cameron, vers une immigration illimitée, a radicalement changé la société britannique. Londres n'est plus une ville anglaise depuis longtemps car, selon les chiffres officiels du dernier recensement, les Britanniques blancs y sont minoritaires. Avec son économie performante et son marché du travail souple, le Royaume-Uni aspire des immigrants du monde entier. Mais l'arrivée depuis 2004 de plus de deux millions de Polonais et d'autres Européens de l'Est a été non pas la goutte qui a fait déborder le vase, mais une vague qui risquait de noyer le peuple britannique. Le principe de libre circulation des personnes, des services, des biens et des capitaux, est à la base du projet européen : les Britanniques viennent de montrer, avec leur refus de l'immigration non contrôlée, que ce projet est inacceptable dans son essence même.
La raideur et le manque d'imagination sont tout sauf accessoires au projet européen. Ils sont au contraire profondément enracinés dans la pensée de ses dirigeants, qui sont convaincus d'être les porteurs d'un projet civilisationnel sans précédent. Tout comme les premiers bolchéviques, les hommes et les femmes qui décident en Europe se croient à l'avant-garde d'un processus historique inéluctable. Depuis que le professeur Korovine écrivait à Moscou en 1951 dans son ouvrage Mejdounarodnoe Pravo (Le Droit international) que «Les traités de l'URSS et les démocraties populaires sont un nouveau type de coopération internationale...» les théoriciens d'«une nouvelle forme de relations internationales» (Paris 2013) qui serait en train de se dessiner aujourd'hui, grâce au mondialisme et aux institutions supranationales comme l'UE, n'ont rien inventé.
Quel pays sera le prochain à organiser un référendum sur sa propre sortie?
Très concrètement, le Brexit fera basculer la structure politique de l'Europe parce que, différents pays étant déjà dans un état de grande fébrilité, il donnera un énorme espoir aux souverainistes français, autrichiens, néerlandais, hongrois et autres qui ont le vent en poupe. Quel pays sera le prochain à organiser un référendum sur sa propre sortie ? La France qui a voté contre la constitution européenne en 2005 mais dont la volonté populaire a été trahie par la ratification d'une version réécrite du même texte par voie parlementaire? Les Pays-Bas qui désespèrent de leur modèle de tolérance qui s’auto-détruit en accueillant un grand nombre d'immigrants intolérants et qui viennent de voter contre l'accord d'association avec l'Ukraine? Les Autrichiens qui ont failli élire un membre du Parti de la Liberté à la présidence de la République ? Les Hongrois qui l’an dernier ont désobéi aux ordres européens pour construire une clôture sur leurs frontières nationales?
Réjouissons-nous de ce résultat formidable ; mais exigeons que nos dirigeants en tirent vraiment les leçons
La chute du mur de Berlin a été le déclencheur d'une réaction en chaîne qui a emporté, en quelques semaines, tous les dirigeants du Pacte de Varsovie. Ceux-ci sont tombés les uns après les autres, jusqu'à ce que la dictature roumaine tombe dans un bain de sang. Sans doute le processus de désagrégation de l'UE sera plus long et, espérons-le, plus civilisé. Pour cela il faudra précisément ce qui manque à l'Europe, des grands hommes d'Etat. Réjouissons-nous de ce résultat formidable ; mais exigeons que nos dirigeants en tirent vraiment les leçons - ce dont il se sont montrés, jusqu'à présent, totalement incapables.
DU MÊME AUTEUR : L'euroscepticisme a le vent en poupe partout en Europe