La destitution de la présidente du Brésil fait partie d'un projet régional des élites mondiales visant à affaiblir la puissance de l'Amérique latine et potentiellement saper l'alliance des BRICS, explique l’expert en politique Adrian Salbuchi.
Le Sénat brésilien a voté en faveur de la destitution de la présidente du pays Dilma Rousseff et de sa mise en examen concernant sa participation présumée à des affaires de corruption. Rousseff, cependant, a nié toutes les accusations en se disant «victime d'un coup d'Etat».
En tant que président, [Michel Temer] aura beaucoup de mal à diriger ce pays. Il n’a pas de charisme, il n’est pas lumineux comme l’était Mme Rousseff
RT : Le vice-président du Brésil Michel Temer se met en avant pour prendre la relève. Mais les récents sondages montrent que sa cote d’approbation n’est que de 1 ou 2%. Comment un personnage comme lui peut-il se mettre à la tête d'un pays avec si peu de soutien ?
Adrian Salbuchi (A. S.) : A la base, il faisait partie du gouvernement de coalition composé du Parti des travailleurs – celui de Dilma Rousseff et de Luiz Inacio Lula da Silva – et du parti de centre-droit du PMDB, le Parti du mouvement démocratique du Brésil. Nous voyons cette division encore et encore dans presque tous les pays d'Amérique latine, où à peu près 50% sont pour la gauche et à peu près 50% soutiennent la droite. En tant que président, il aura beaucoup de mal à diriger ce pays. Il n’a pas de charisme, il n’est pas lumineux comme l’était Mme Rousseff.
Et je pense que cela pose une grande menace à l'avenir politique et économique du Brésil. Il ne faut pas oublier que cela a un grand impact sur l'Amérique latine, mais le Brésil est également le «B» des BRICS. Donc, c’est vraiment très important, dans la situation transcendantale que nous avons, et beaucoup dépend de la façon dont M. Temer réussira ou ne réussira pas à s’en sortir.
Cela fait partie d'un processus global dans lequel toute l'Amérique latine est [...] entraînée [par] les milieux financiers et les intérêts des entreprises
Tous les gouvernements de centre-gauche à travers l’Amérique latine sont en déclin et les gouvernements de centre-droit montent en puissance. Je pense donc que derrière M. Temer il y a beaucoup de soutien financier de la droite non seulement du Brésil, mais du système du pouvoir mondial dans son ensemble.
RT : Quel impact, d’après vous, cela va avoir sur l'avenir de l'économie brésilienne ? M. Temer soutient les grandes entreprises, mais il soutient aussi l'austérité. A court terme, ce n’est pas nécessairement bon pour le citoyen lambda ?
A. S. : C’est très mauvais. Je pense qu'il aura le soutien des milieux financiers, comme le président Mauricio Macri qui a été intronisé en décembre dernier en Argentine – dans mon pays – il est très centre-droit aussi. Et je pense que l'Argentine va à nouveau vers l'austérité pour le peuple, mais vers de bonnes affaires pour les grandes entreprises et les banques, nous pouvons nous attendre à un mouvement similaire au Brésil, où il y aura l'austérité croissante pour le peuple – le Brésil a connu trois à quatre ans de récession – mais il y aura beaucoup d'affaires à réaliser pour les banques et les grandes entreprises.
On peut s’attendre à beaucoup plus de troubles
Je pense donc que pour comprendre ce qu'il se passe au Brésil, pour comprendre ce qu'il se passe en Argentine, il faut comprendre que cela fait partie d'un processus global dans lequel toute l'Amérique latine est pratiquement entraînée [par] les milieux financiers et les intérêts des entreprises. Et nous allons aussi voir que l’impact sera plus important dans quelques mois après les élections américaines. Les États-Unis ont une très forte influence sur toute l'Amérique latine, qu'elle traite familièrement de sa propre arrière-cour.
RT : Beaucoup de gens au Brésil sont en colère vis-à-vis de Dilma Rousseff et de ce qu'il se passe au sein du gouvernement. Mais pensez-vous vraiment que leurs prières seront exaucées par le nouveau mouvement qui arrive et qui envisage l’austérité ? Vous attendez-vous à plus de troubles ?
A. S. : On peut s’attendre à beaucoup plus de troubles. Il y a déjà eu beaucoup de tourmente au cours des dernières années au Brésil en raison des dépenses liées à la Coupe du Monde [du football] et maintenant ils ont les Jeux Olympiques cette année, seulement quelques mois plus tard. Je pense donc que nous assisterons à un grand test consistant à voir lutter les forces de police, qui sont essentiellement composées de pauvres, contre les travailleurs en colère, qui sont, eux aussi, fondamentalement des pauvres, alors que les importants cercles du pouvoir observeront tout cela depuis leur salle de conférence au 40e ou 50e étage.
L'affaiblissement du Brésil a des conséquences désastreuses, non seulement pour l'Amérique latine dans son ensemble, mais aussi pour l'alliance des BRICS
Donc, je pense qu'il y aura beaucoup d'agitation au Brésil, comme il y en a en Argentine, et cela formera partie d'un phénomène régional qui va créer de plus de difficultés, diviser et affaiblir les Etats souverains.
C'est un point très important, parce que le Brésil est la locomotive industrielle de l'Amérique latine, et l'affaiblissement du Brésil a des conséquences désastreuses, non seulement pour l'Amérique latine dans son ensemble, mais aussi pour l'alliance des BRICS qui est en train de grandir pour contrebalancer le pouvoir des élites occidentales et des structures financières et industrielles traditionnelles.
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