Une attaque, la plus meurtrière depuis 2011, a secoué Kaboul une semaine seulement après le lancement par les Talibans d’une offensive au début du printemps. La lutte contre les Talibans fait rage depuis 2001. Le Secrétaire d’Etat des Etats-Unis lui-même, John Kerry, a été la cible de tirs de roquettes des Talibans dans la capitale afghane samedi 16 avril. Cependant, les Etats-Unis ont déclaré que cette dernière attaque ne signifiait pas qu’il fallait abandonner les efforts pour établir un dialogue pacifique.
RT : Malgré le récent carnage à Kaboul, le Département d’Etat des Etats-Unis souhaite inclure les Talibans dans le processus de paix. Cela ne contredit-il pas le prétendu refus de Washington de négocier avec les terroristes ?
Karen Kwiatkowski (K.K.) : Dans une certaine mesure, oui… Une partie des Talibans travaille avec l’Etat islamique en Afghanistan, donc c’est vrai au sens propre et figuré du terme. Le gouvernement américain, lui-même, agit à bien des égards comme une organisation terroriste. Quand on dit qu’on ne négocie pas avec les terroristes c’est plus pour la télévision qu’on dit cela, quand les gens regardent les nouvelles chez eux le soir. Dans la vraie vie, lors des vraies négociations, honnêtement je ne pense pas que ça ait de l’importance. Si les terroristes sont du côté des Etats-Unis, non seulement on négocie avec eux mais on les soutient. Donc je ne crois pas à cet argument, qui fait partie de la politique étrangère américaine, selon lequel on ne négocie pas avec les terroristes. Nous finançons les terroristes si ces terroristes servent notre cause. On l’a bien vu ces 15 dernières années, au moins.
Les Américains comprennent qu’on n’a aucune idée de ce qu’on fait dans la plupart des pays du Moyen-Orient. Ni en Afghanistan, ni en Syrie, ni en Iraq
RT : Les Talibans ont ouvertement ciblé John Kerry. Mais les Etats-Unis veulent toujours établir un dialogue avec eux, qu’est-ce que cela veut dire ?
K.K. : Je sais, quand John Kerry s’est rendu à Kaboul les Talibans l’ont visé. Faites attention au but de sa visite à Kaboul : il venait pour essayer de résoudre des problèmes au sein d’un gouvernement dont la création a été soutenue et facilitée par les Etats-Unis, et qui ne représente donc pas réellement le peuple. Il ne peut pas le représenter… Il ne sera jamais accepté, c’est un gouvernement externe, imposé et artificiel – et, bien sûr, il rencontre des difficultés. Toute cette histoire est liée aux échecs de la politique américaine, ce que la plupart des gens [aux Etats-Unis] reconnaissent. Mais ce que je ne comprends pas c’est qu’Ash Carter, Kerry et Obama ne le reconnaissent pas. Les Américains comprennent qu’on n’a aucune idée de ce qu’on fait dans la plupart des pays du Moyen-Orient. Ni en Afghanistan, ni en Syrie, ni en Iraq.
RT : Les Talibans doivent être conscients de la bonne volonté de Washington. Les attaques comme celle d’aujourd’hui sont-elles une façon de dire aux Etats-Unis «Non, merci, nous ne sommes pas intéressés !» ?
K.K. : Je pense que les Talibans ont très clairement expliqué quel était leur but dans un article que j’ai vu sur CNN. Ils ont publié une interview avec les Talibans dans laquelle ces derniers disaient : «Nous prévoyons d’anéantir l’ennemi. Cela va être un travail de longue haleine, ce que nous savions déjà. Nous allons démoraliser les Américains. » En particulier les Américains car les Etats-Unis sont les premiers à soutenir ce gouvernement qu’ils ont créé dans cet Etat-nation qu’ils pensent - à tort - avoir construit à Kaboul.
Donc les Talibans ont été très clairs quant à leurs objectifs. Ils prévoient de démoraliser et de vaincre sur le long terme l’occupant, ceux qu’ils considèrent comme l’occupant et le «gouvernement de Vichy» de Kaboul, qui, à leurs yeux, n’a aucune légitimité.
Les problèmes du monde entier justifient les budgets et les missions des bureaucrates de Washington D.C.
RT : Pourquoi le gouvernement américain ne comprend-il donc pas que ce qu’il fait ne fonctionne pas, et fait-il quelque chose d’autre pour régler les problèmes en Afghanistan?
K.K. : De toute évidence, Washington D.C. n’a aucune idée ni de ce qu’il se passe sur place ni de la situation politique en Afghanistan. Ils n’ont aucune idée de ce qui pourrait fonctionner. La solution du gouvernement américain est de transplanter un gouvernement qui lui est loyal, soit une pseudo-démocratie artificielle qui resterait là, statique. C’est de la pure folie.
Pourquoi persévèrent-ils? Je peux vous donner plusieurs raisons à cela et je pense que vous les connaissez. Il y a beaucoup d’argent en jeu. Carter veut envoyer davantage de troupes en Afghanistan, davantage de troupes en Iraq, davantage de troupes en Syrie et il veut un plus gros budget pour combattre le terrorisme comme les attaques des Talibans. Les problèmes du monde entier justifient les budgets et les missions des bureaucrates de Washington D.C.
Nous vendons des armes à pratiquement tout le monde. Plus il y a des conflits, plus il y a d’insécurité et plus le marché des armes prospère. Et je pense vraiment que les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à réduire les récoltes d’opium qui sortent d’Afghanistan chaque année. L’argent généré par la vente de drogues, par la vente d’opiacés, en particulier en provenance de cette région du monde, finit blanchi et entre dans le système, devenant légitime. Une fois blanchi, cet argent profite à de nombreux gouvernements partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis.
Ils continuent de financer les bureaucrates de Washington et cela augmente l’insécurité dans le monde. Les membres du gouvernement américain ont énormément profité, ces 15 dernières années, de ce qu’ils ont fait en Afghanistan : ils se sont enrichis, les entreprises aussi, le budget du Pentagon n’a jamais été aussi important, et personne ne pose de questions au Congrès. Le Congrès donne son accord à toutes leurs demandes de financement. Ce sont les profits du gouvernement, et c’est le peuple afghan et les autres peuples qui vivent dans l’insécurité à cause de notre politique qui en font les frais. Je ne porte pas de jugement, mais c’est comme ça que je vois les choses.
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