RT : Quel est le résultat de vos négociations à ce jour ? Avez-vous déjà réussi à entamer le dialogue avec le groupe d'opposition ?
Bachar al-Jaafari (B.J.): Durant la dernière réunion, nous avons présenté à [l'envoyé spécial de l'ONU sur la Syrie] Staffan de Mistura nos idées sur la façon de créer une atmosphère de confiance mutuelle et un terrain d'entente entre la délégation officielle de la République arabe syrienne et les délégations de l'opposition. Nous avons proposés des idées autour desquelles, selon nous, il ne devrait pas y avoir de désaccord. Par exemple, l'attachement à la souveraineté et à l'indépendance de la Syrie, à son intégrité territoriale et à l'unité du peuple, la nécessité de récupérer le plateau du Golan. En ce qui concerne ces problématiques, nous croyons qu'il ne devrait y avoir aucun désaccord.
Ce qui se passe en Syrie est appelée «guerre par procuration»
RT : Dans quelles conditions ce dialogue se déroule-t-il ? Qui porte le dialogue ?
B.J. : Nous faisons remarquer, en Syrie et au-delà, que c'est nous, en réalité, qui avons démarré le dialogue. Mais cela ne peut pour l'instant pas être un dialogue de confiance, puisque, tous les groupes d’opposition ne sont pas présents aux pourparlers de Genève. Les tentatives actuelles de formation d’un unique groupe d'opposition [allusion faite à l'opposition formée à Riyad], de monopoliser le rôle de l'ensemble de l'opposition syrienne, est contraire aux résolutions de l'ONU et au mandat du Représentant spécial de l'ONU [Staffan de Mistura].
Afin de pouvoir passer du dialogue indirect au dialogue direct, il faut créer les conditions adéquates. Elles seront mises en place à un stade ultérieur. Il faut y travailler. Mais, à ce jour, nous avons pris une décision politique claire : participer à ce dialogue. Nous ne posons aucune condition préalable.
RT : Avez-vous transmis vos objections quant au comportement inapproprié et des positions idéologiques des personnes que vous venez de mentionner – les représentants de l'opposition formée à Riyad – à l'envoyé spécial de l'ONU ?
B.J. : Oui, j'ai transmis tout cela à l'envoyé spécial de l'ONU et lui ai montré comment de telles personnes rêvent de gouverner la Syrie un jour. Ces personnes refusent de serrer les mains des assistantes de Staffan de Mistura, considèrant qu'elles sont des «êtres impurs».
Comment est-il possible de construire le futur de la Syrie avec de telles personnes ? Ils ne considéreront pas les femmes d’égal à égal, mais comme des êtres impurs. Ils représentent des femmes nues dans des cages en fer. Comment construire le future de la Syrie avec de telles personnes?
Il est impossible de faire cesser ces souffrances par les machinations et les spéculations
Je ne dis pas que toute l'opposition est ainsi. Il y a des groupes d'opposition patriotiques qui méritent le respect, contrairement à ceux que je viens de mentionner. Mais où sont ces groupes d'opposition ? Beaucoup se voient refuser un visa. D'autres ont été piégés par des décisions politiques dans d'autres capitales.
Où est l'opposition interne syrienne ? Où est le groupe de travail de Moscou de l'opposition ? Où est le groupe d'opposition du Caire ? Où est la délégation des femmes ? Où est la société civile ? Cela ne pourrait être que des formalités, mais ce sont des formalités importantes, sur lesquelles il faut se mettre d'accord avant qu'on ne commence la partie dite de fond du dialogue.
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Nous disons que l'opposition interne devrait être représenté dans les négociations, car en effet il s'agit de l'une des exigences de la résolution 2254 de l'ONU et correspond au mandat de l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'ONU... Nous ne créons pas une opposition de toutes pièces afin de pouvoir par la suite s’asseoir à la table des négociations avec elle. Mais il est impossible de faire cesser ces souffrances par des machinations et des spéculations. Les problèmes doivent être résolus sur la base de la transparence, de la confiance, de la représentation d’une plus large opposition.
Nous devons nous asseoir ensemble à la table des négociations et résoudre les problèmes, si nous considérons que la crise syrienne est une crise interne. Mais, en réalité, ça n'est pas le cas. Ce qui se passe en Syrie s'appelle «guerre par procuration». Tout le monde le sait. Des documents de Wikileaks révèlent ce qui a été caché du public : ça a commencé encore en 2004 lorsque Washington a donné à son ambassadeur à Damas des directives pour préparer le renversement violent du régime syrien, parce que les autorités syriennes s'étaient opposées à l'occupation de l'Irak... Nous voulons que les gens sachent que nous ne sommes pas des amateurs en politique. Nous savons ce que nous faisons.
RT : Il existe différentes opinions concernant la décision du président Poutine de retirer de Syrie une partie de ses troupes. Il y a aussi des spéculations, affirmant qu'il aurait pris cette décision afin d'essayer de faire pression sur la délégation officielle syrienne afin que sa position soit plus souple, pour la forcer à rester à Genève et éviter à ce qu'elle ne rompe ces négociations. Que pensez-vous de cette décision ? Le gouvernement syrien a-t-il été surpris ? Et comment avez-vous personnellement accueilli cette nouvelle ?
La décision du président Poutine [de retrait des troupes russes] a été prise en accord avec le président Assad
B.J. : D'où vient cette idée que Moscou tente de faire pression sur nous ? Après tout, le dialogue n'a pas encore commencé. En quoi cette pression serait alors nécessaire ? Si le dialogue en lui-même n'a pas encore commencé, je veux dire, les questions de fond, alors à quoi servirait-il de faire pression ? Cela ne correspond absolument pas à la réalité. C'est une première chose.
Deuxièmement, la décision du président Poutine a été prise en accord avec le président Assad. C'est une décision commune.
Troisièmement, nos amis et alliés russes sont venus nous aider dans la lutte contre le terrorisme sur la base d'une [précédente] décision commune. Quand ils voudront partir, ils partiront sur la base d'une décision commune. Nous sommes alliés. Nous interagissons, les uns avec les autres, dans le respect et la confiance, ainsi que dans une coopération totale dans la prise de décision.
Quatrièmement, je ne considère pas cette décision comme un retrait des troupes russes de la Syrie. Certains l'appellent un retrait partiel de troupes. Je pense que, pour être plus précis, il s'agit d'une réorganisation dans le cadre d'un retrait partiel de certaines parties peu importantes dont on n'a plus besoin là-bas, comme cela l'a été indiqué par le Kremlin.
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Certains essaient d'en faire un problème, mais il n'y a aucun problème. C'est une décision politique prise de manière réfléchie, en tenant compte des intérêts de la Russie et de la Syrie en qualité d'alliés dans la lutte contre le terrorisme.
Cinquièmement, dans la décision russe il est clair que, en dépit de ce retrait partiel, l'opération de lutte contre le terrorisme se poursuit en coopération avec l'armée syrienne. On peut l'expliquer de manière à ce que ça soit plus clair pour l'opinion publique et pour tous ceux qui sont intéressés par la liberté : cette décision qui a été prise communément est absolument correcte, que ce soit au niveau militaire ou politique.
Même si cette décision devait servir de motivation pour les négociations à Genève, en quoi cela serait-il mauvais ? Ce n'est pas du tout mauvais. La principale raison à la présence militaire russe en Syrie est la lutte contre le terrorisme. Et l'opération de lutte contre le terrorisme se poursuit. La principale raison pour laquelle la Russie reste en Syrie n'a pas changé. Personnellement, cette décision n'a pas été une surprise pour moi et je pense que pour Damas non plus, ce n'était pas une surprise, puisque cette décision a été préalablement convenue entre les présidents Poutine et Assad.
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RT : Peut-on dire que les succès militaires remportés par l'armée syrienne au cours de ces derniers mois dans le contexte de l'intervention militaire de la Russie a renforcé votre position dans ces négociations ?
B.J. : Sans aucun doute. A présent, nous avançons sur tous les fronts. Si Dieu le veut, vous allez bientôt entendre parler de la libération de Palmyre. Très bientôt. Et après cela, les autres territoires seront libérés.
D'après la constitution, le gouvernement a l'obligation de libérer tous les territoires. C'est pourquoi nous disons que fonctionnent à la fois la piste politique et la piste militaire. Et il n'y a pas de désaccords entre ces deux pistes. Le devoir du gouvernement est de libérer tous les territoires du terrorisme. Le devoir du gouvernement est aussi de participer au dialogue à Genève afin d'unir tous les Syriens autour d'un même ordre du jour. L'un n'est pas contraire à l'autre.
A présent, l'action de notre armée nous ont permis d'obtenir une ressource supplémentaire dans le processus du dialogue politique. Où est le problème ? C'est un bilan cumulé.