«Certains pays arabes considèrent Daesh comme un ennemi alors que d'autres lui tendent la main»

Le colonel-major Mokhtar Ben Nasser, retraité de l’Armée nationale et président du Centre tunisien des Etudes pour la sécurité décrypte pour RT France la situation sécuritaire difficile que connaît la Tunisie.

Depuis l'intervention militaire de l'OTAN déclenchée en mars 2011 en Libye, la Tunisie est, comme les autres pays de la région, sérieusement menacée par le péril terroriste. La dernière attaque terroriste survenue dans la localité de Ben Guerdane vient encore accentuer la pression sur les autorités du pays qui tentent tant bien que mal de sécuriser le pays. 

L'OTAN constate aujourd'hui amèrement l'échec de sa politique étrangère sur le dossier libyen. 

RT France : L'attaque survenue aujourd'hui à Ben Guerdane révèle-t-elle l'incapacité de la Tunisie à lutter seule contre le terrorisme ?

Mokhtar Ben Nasser : Oui, certainement. Aucun pays ne peut s'opposer seul au terrorisme. Il faut qu'il y ait un effort partagé entre tous ceux qui croient aujourd'hui aux droits de l'homme, à la liberté et surtout à la dignité humaine. Aujourd'hui, ce fléau à une dimension international - il n'est plus local, ni régional.


RTFrance : Vous venez d'insister sur la nécessité du partage des efforts entre les Etats dans la lutte contre le terrorisme. Selon vous, existe-t-il un manque de coopération entre les États ?

M.B.N : Il y a une certaine coopération sur le plan sécuritaire notamment sur l'échange des renseignements mais je pense que cela reste en deçà de ce que l'on peut réaliser. Quand on regarde certains pays, la défense commune, la coopération directe, sont des thèmes abordés alors qu'au Maghreb on se limite à l'échange d'informations ou à des coopérations quelconques. Je crois qu'on peut améliorer la manière de s'opposer à cet ennemi commun qu'est le terrorisme.

RT France : Vous pensez que la naissance d'une armée commune est possible au Maghreb ?

M.B.N : C'est très difficile en raison des questions liées à la souveraineté ou encore des différents existants entre certains régimes. Il est difficile de concevoir le degré de coopération. Si c'était faisable cela aurait été fait, mais il y a toujours des conflits d'intérêt, des problèmes liés à la sécurité nationale... Nous ne sommes même pas d'accord sur l'ennemi. Celui-ci n'est même pas défini de la même façon. C'est cela, le problème majeur qui empêche une véritable coopération.



RT France : Pourtant Daesh semble être une cible commune pour l'Algérie, l’Égypte, le Maroc et la Tunisie ?

M.B.N : Oui bien sûr. Mais, comme vous le savez, chaque pays arabe voit Daesh sous un angle bien défini. D'ailleurs dernièrement, on ne s'est même pas mis d'accord sur certains vocables au sujet de la définition de cet ennemi. Certains pays arabes considèrent Daesh comme un ennemi alors que d'autres lui tendent la main. Il y a des pays musulmans et arabes qui sont impliqués dans le déplacement de groupes liés à Daesh en Libye. Il y a donc toujours cette difficulté de définir l'ennemi mais également cette difficulté de laisser de côté les divergences politiques et regarder d'abord la sécurité commune. Pour l'instant, les antécédents historiques freinent ce processus.

La meilleure façon d'agir est d'aider le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale et son armée à maîtriser la situation. Une aide substantielle par des frappes bien précises peut être nécessaire. En revanche, je pense que l'intervention occidentale en Libye va renforcer le flux des gens qui veulent aider Daesh. Ce sera une occasion pour l'organisation terroriste d'appeler les jeunes au Djihad. Cette intervention peut s'avérer catastrophique.

RT France : La Tunisie doit-elle participer aux côtés des forces occidentales à ces frappes aériennes ciblées ?

M.B.N : Le président de la République a bien expliqué la participation de la Tunisie dans la lutte contre Daesh. Il a dit que le pays pouvait agir fermement contre Daesh mais selon ses possibilités et ses moyens. Je pense que la Tunisie peut participer au contrôle de certaines zones comme le littoral pour limiter l'exode des migrants vers l'Europe.

RT France : Les observateurs se focalisent souvent sur la zone frontalière avec la Libye. Comment jugez-vous la coopération sécuritaire avec l'Algérie ? 

M.B.N : Il y a une coopération très claire entre l'armée tunisienne et l'armée algérienne. Sur le plan politique, il y a une véritable entente. Il y a des échanges rapides de renseignements entre les deux pays pour parler à toute éventualité. Les Algériens poursuivent plusieurs terroristes sur différents sites et informent les Tunisiens pour faire avorter d’éventuelles infiltrations. Cette coopération a donné de très bons résultats qui sont rassurants. Il y a un travail journalier sur cette thématique de la sécurité et des échanges d'informations.

RT France : Face à cette nouvelle attaque, la Tunisie doit-elle réorganiser son armée en nommant de nouvelles têtes ?

M.B.N : Je crois que ce n'est pas nécessaire d'effectuer des remaniements. Les militaires ont montré leur vigilance et leur capacité d'intervenir rapidement. L'opération de Ben Guerdane est une grande réussite pour l'armée, pour les forces de sécurité et les citoyens de Ben Guerdane qui ont donné une dure leçon aux terroristes.