Cyrille et François : «Il ne faut pas attendre de miracles»

Si la rencontre entre le patriarche de Moscou et le Pape a eu lieu, cela montre que les divergences politiques sont beaucoup moins importantes qu’elles ne l’ont été, estime le rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, Laurent Dandrieu.

RT France : Le pape et le patriarche se rencontrent pour la première fois, malgré des différends canoniques ainsi que des divergences politiques entre les deux églises. Pensez-vous que cette rencontre peut aboutir à une vraie coopération entre elles et ces deux personnalités ?

Laurent Dandrieu : Il ne faut pas bien sûr, attendre de miracles. Tous les différends ne vont pas s’aplanir en une seule rencontre, et notamment, les différends théologiques qui sont moins nombreux que leurs convergences mais qui sont quand même importants. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas une formalité dans la mesure où cette simple rencontre, déjà, en elle-même, est une avancée considérable. On souhaitait qu’elle ait lieu depuis des années, notamment, du côté catholique. Il y avait des obstacles assez sérieux et le fait qu’on ait réussi maintenant à dépasser ces obstacles est déjà un événement en soit considérable, qui va certainement entraîner des conséquences concrètes à un niveau inférieur. Probablement que les collaborateurs de ces deux chefs spirituels vont, à la suite de cela, avoir un certain nombre de rendez-vous qui permettront de résoudre un certain nombre de difficultés concrètes. Ce qui est certain, c’est que le fait que cette rencontre ait eu lieu témoigne du fait que les divergences politiques dont vous parliez sont beaucoup moins importantes qu’elles ne l’ont été. Aujourd’hui, les intérêts communs l’emportent.

Il y a évidemment, notamment, la question de la défense des chrétiens d’Orient qui est devenue absolument cruciale et dans laquelle les deux chefs spirituels ont des intérêts communs et ont à cœur un même engagement très fort. Il y a aussi le fait que le pape ait une attitude vis-à-vis de Monsieur Poutine beaucoup moins négative que la plupart des dirigeants occidentaux et considère que l’action de la Russie, notamment, au Proche et au Moyen-Orient est une action positive qui contribue effectivement à défendre les intérêts des chrétiens d’Orient et plus largement, à une défense de la chrétienté.

RT France : Vous avez souligné que la rencontre entre ces deux chefs spirituels avait été souhaitée surtout du côté catholique. Pourquoi ?

L.D. : Après Vatican II, les papes successifs ont eu conscience que la division des chrétiens était devenue, pour nos contemporains, un scandale et une chose totalement incompréhensible, qui était vraiment un contre-témoignage formidable. Je pense que du côté orthodoxe, probablement, il y avait ce même constat mais, les obstacles politiques étaient sans doute plus forts dans la mesure où il y avait tout un contexte géopolitique qui rendait les choses compliquées, notamment, sous le pontificat de Jean-Paul II avec son opposition très forte et très politique au système communiste qui compliquait singulièrement les choses. Là, ce qui est certain, c’est que le pape François a décidé que cet impératif d’unité était la priorité absolue et ça l’a conduit, peut-être, à mettre de côté un certain nombre de difficultés annexes, comme évidemment la question des uniates en Ukraine qui est traditionnellement une pomme de discorde entre les orthodoxes et les catholiques. Je pense que le pape François a décidé que l’objectif d’unité avec les orthodoxes ne pouvait pas être sacrifié pour les revendications particulières des uniates.

RT France : En ce qui concerne la politique poursuivie par le pape François, il a déjà rencontré plusieurs chefs d’Etats comme Barack Obama, Vladimir Poutine. Quel est le but de ces rencontres ?

L.D. : L’Eglise a toujours eu une diplomatie très active, ça fait partie des constantes du rôle que s’assigne l’église car le Christ appelle ceux qui le suivent à être des artisans de paix. Le pape considère qu’en tant que représentant du Christ sur la terre et en tout cas, en tant que leader spirituel du monde catholique, il doit faire la preuve concrète que cette aspiration à la paix n’est pas un simple jeu, mais qu’il est vraiment un artisan de paix de manière très concrète. Et donc, je pense que toutes ces rencontres, toutes ces diplomaties très actives ont pour but, effectivement, de montrer que l’église favorise concrètement la concorde entre les hommes.

On l’a très bien vu dans le rôle de médiation que le pape François a joué à la suite de Benoît XVI, entre Cuba et les Etats-Unis. Et puis, je pense qu’il y a aussi la question très urgente et très présente des chrétiens d’Orient. Je pense que le pape a à cœur de faire en sorte que la voix de l’église, et la voix des chrétiens en règle générale, sur la scène internationale soit de plus en plus forte et de plus en plus audible, de sorte qu’elle puisse être un appui concret et puissant pour les chrétiens d’Orient qui sont tellement menacés sur leur propre terre.

RT France : En ce qui concerne les chrétiens d’Orient, est-ce que vous pensez que cette rencontre permettra de faire évoluer leur situation radicalement ?

L.D. : Malheureusement, la condition des chrétiens d’Orient ne dépend pas des chefs spirituels, si ce n’est par le biais de la prière, évidemment. Elle est entre les mains des gouvernements et malheureusement, également dans celles de ceux qui les persécutent. Ce qui est certain, c’est qu’effectivement, les chrétiens doivent pouvoir venir en aide à leurs frères d’Orient dans ce contexte difficile. Ils doivent aussi pouvoir faire entendre leur voix de la manière la plus forte et la plus audible qui soit, de façon à ce que le message très fort que constitue ce pas en avant vers l’unité des chrétiens symbolisé par cette rencontre entre le patriarche de Moscou et le pape soit un signal très fort envoyé à l’opinion mondiale et aux gouvernements.