Imaginez des nuits sans sommeil au palais du «Sultan» Erdogan à Ankara. Imaginez le «Sultan» Erdogan furieux lorsqu’il apprend que l’armée arabe syrienne, appuyé par les forces aériennes russes, a débuté une bataille préventive à Alep – via la région de Bayir-Bucak, coupant ainsi le corridor hautement militarisé d’Ankara et l’autoroute djihadiste.
Celui qui contrôle ce corridor contrôlera l’issue finale de la guerre en Syrie.
Pendant ce temps, à Genève, l’opposition syrienne contrôlée à distance, aussi connue sous le nom de Haut comité de négociations, démontre ouvertement qu’elle n’a jamais voulu rencontrer la délégation de Damas en premier lieu, pour des échanges de «proximité» ou autres, même après que Washington et Moscou se sont à peu près accordés sur un plan de transition de deux ans menant à une Syrie laïque non sectaire.
La majeure partie de l’«opposition» syrienne était autrefois des guerriers en fauteuil cooptés par la CIA depuis des années
Le front saoudien ne voulait pas moins qu’Ahrar al-Sham, Jaysh al-Islam et tout le Front al-Nosra (ou Al-Qaïda en Syrie) comme collaborateurs à la table [des négociations] à Genève. Donc, le simulacre de Genève était voué à l’échec, en moins de temps qu’il ne faut pour dire «en route vers Alep !».
Et oubliez l’OTAN
Le génie saoudien des renseignements, le tristement célèbre Prince Turki, ex-tuteur d’un Oussama ben Laden, était à Paris pour une action de communication offensive, mais tout ce qu’il a pu trouver était une avalanche de démentis non démentis et d’accuser Bachar el-Assad de l’intégralité de la tragédie syrienne.
La majeure partie de l’«opposition» syrienne était autrefois des guerriers en fauteuil cooptés par la CIA depuis des années, ainsi que les bouc-émissaires/vassaux des Frères musulmans de la CIA. La plupart de ces personnages ont préféré les joies de Paris aux corvées en Syrie.
A présent, l’«opposition» composée de seigneurs de guerre rend compte à la Maison des Saoud même pour des bouteilles d’eau, peu importe le costume cravate qu’enfilent les ex-ministres du parti Baas pour incarner le visage de l’opposition aux yeux des médias traditionnels crédules.
Pendant ce temps, le format «4+1» composé de la Russie, la Syrie, l’Iran, l’Irak plus le Hezbollah remportent des victoires décisives sur le terrain. Lâchez du lest : il n’y aura pas de changement de régime à Damas. Toutefois, personne n’en a informé les Turcs ni les Saoudiens.
Le «Sultan» Erdogan se vautre dans l’océan du désespoir. Il continue de laisser de côté des problèmes extrêmement sérieux pour sa propre guerre contre le parti de l'union démocratique (le PYD), organisation parapluie des Kurdes syriens, et l’unité de protection du peuple (YPG), leur aile militaire. Erdogan et le premier ministre Davutoglu veulent non seulement que le parti de l'union démocratique soit banni de Genève, mais ils veulent le piétiner, les considérant comme des «terroristes» alliés au Parti des travailleurs du Kurdistan.
Mais, que va faire le «Sultan» Erdogan ? Défier les chasseurs 4G++ Sukhoi Su-35S fraichement débarqués qui fichent la frousse à tous les Dr. Strangelove de l’OTAN ? Les forces aériennes turques mettant leurs bases en état d’«alerte orange» ne peuvent effrayer qu’un chien errant, tout au mieux. Il en va de même pour le secrétaire général de l’OTAN, l’homme de paille Jens Stoltenberg, implorant la Russie «d’agir de manière responsable et respecter l’espace aérien de l’OTAN dans son intégralité».
Moscou pourchasse les Turkmènes en représailles et en même temps fournit un appui aérien au PYD à l’ouest de l’Euphrate. Et cela frappe le «Sultan» au plus profond de son cœur. Après tout Erdogan a menacé à plusieurs reprises que le franchissement par le PYD/YPG de la rive Ouest de l’Euphrate était l’ultime ligne rouge.
Bien que les néo-conservateurs des Etats-Unis et du Royaume-Uni meurent d’envie de suivre Erdogan dans sa folie contre la Russie, la dernière chose que souhaitent l’Allemagne et la France est une autre guerre
Un OTAN déjà effrayé ne va pas suivre Erdogan dans sa folie contre la Russie, bien que les néo-conservateurs des Etats-Unis et du Royaume-Uni en meurent d’envie, tant que les décisions de l’OTAN doivent être adoptées à l’unanimité. La dernière chose que souhaitent les puissances de l’UE – l’Allemagne et la France – est une nouvelle guerre du Golfe. L’OTAN peut bien déployer des missiles Patriot en Anatolie du Sud et des systèmes de détection pour appuyer les forces aériennes turques. Mais, ça se limite à ça.
Choisissez votre changement de régime favori
L’Etat Islamique (Daesh) continue pendant ce temps à profiter de sa propre autoroute djihadiste, une portion de route qui s’étend sur 98 kilomètre à la frontière entre la Turquie et la Syrie, surtout à Jarablus et Al Raï côté syrien, et Gaziantep et Kilis côté turc.
Prenant l’exemple d’Israël, Ankara est en train de construire un mur haut de 3,60 mètres et large de 2,50 mètres, couvrant une portion de route entre Elbeyli et Kils, essentiellement pour des raisons de propagande. Etant donné que l’autoroute djihadiste reste ouverte pour des raisons pratiques, même lorsque les forces armées turques peuvent appréhender d’étrange intrus (qui sont toujours relâchés). Nous parlons ici d’une arnaque monstrueuse de trafiquants/soldats ; près de 300 dollars changent de main à chaque passage de nuit et un sous-officier de la police turque peut gagner près de 2 500 dollars simplement pour détourner le regard pendant quelques minutes.
La vraie question est pourquoi Gaziantep n’est pas sujette à un couvre-feu imposé par Ankara, avec des milliers de membres des forces spéciales turques engagés dans une «guerre sur le terrain» à cet endroit. C’est parce qu’Ankara et les autorités de la province s’en fichent, la vraie priorité c’est la guerre d’Erdogan contre les Kurdes.
Davutoglu en visite à Berlin a de nouveau souligné le serment d’Erdogan d’«annihiler» les Kurdes syriens
Cela nous amène à un seul levier dont jouit le «Sultan» en ce moment. De Bruxelles à Berlin, les esprits sains sont terrifiés par le fait que l’UE est actuellement prise en otage de la priorité kurde d’Erdogan, alors qu’Ankara ne fait presque rien pour lutter contre le trafic massif de migrants.
Lorsque Davutoglu s’est récemment rendu à Berlin, non seulement il n’a fait aucune promesse, mais il a souligné de nouveau le serment d’Erdogan d’«annihiler» les Kurdes syriens.
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Et cela explique le désespoir de la chancelière allemande Angela Merkel. Comment est-ce possible que la personnalité politique qu’on dit la plus puissante d’Europe tombe sous le coup d’un tel chantage grossier ? Le «Sultan» veut beaucoup d’argent, beaucoup de concessions et même une autre chance d’intégrer l’UE. Sinon, il ne fermera pas le robinet de l’intarissable flot de réfugiés.
Rien de surprenant que les rumeurs d’un changement de régime battent leur plein. A Ankara ? Non, à Berlin.
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