Attaque djihadiste à Ouagadougou : «Au-delà de l’Afrique, la France et l’Occident étaient visés»

Directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) en charge de l’Afrique, Philippe Hugon expose pour RT France les causes de l’attaque d’un hôtel du Burkina Faso, qui a tué plus d’une vingtaine de personnes.

RT France : Que visaient les djihadistes en attaquant l’hôtel Splendid de Ouagadougou, un établissement luxueux réputé pour accueillir de nombreux Occidentaux ?

Philippe Hugon (PH) : Parmi les cibles de l’attaque, on peut distinguer trois niveaux : les Africains et les Burkinabés, les Français et, plus globalement, le monde occidental.

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Tout d’abord, par leurs actions, les terroristes tentent d’instiller la peur afin que les Occidentaux redoutent de se rendre en Afrique pour y investir, y habiter, ou simplement y faire du tourisme. Il y a donc une volonté de diffuser une image négative et dissuasive de l’Afrique, qui fait face à une dissémination des mouvements djihadistes.

Ensuite, cette tuerie s’inscrit en réponse à l’opération Barkhane des forces spéciales françaises, notamment à Ouagadougou, qui vise à lutter contre le terrorisme dans la région du Sahel.

Enfin, le monde occidental et ce qu’il représente pour les islamistes (c’est-à-dire un monde cosmopolite fait d’argent et de fêtes) était également visé par un djihadisme mortifère qui entretient la haine de l’Occident et de ceux qu’il considère comme des «croisés». De plus, l'hôtel Splendid accueillait aussi des hommes d'affaires, ou encore des diplomates des Nations Unies.

RT France : Lors d’une attaque qui avait eu lieu au Mali en novembre, une cible similaire avait été choisie, à savoir l’hôtel Radisson, lieu fréquenté majoritairement par des étrangers. S’agit-il donc d’une stratégie délibérée de la part des groupes terroristes ?

PH : Alors qu’aujourd’hui, les guerres sont médiatiques et se gagnent par la communication, les groupes terroristes s’assurent de faire la Une des chaînes d’information en frappant de grands hôtels internationaux. Les organisations djihadistes, à commencer par Daesh, font également preuve d’un grand professionnalisme médiatique en reprenant par exemple à leur compte des films de violence absolue hollywoodiens. Si les guerres qu’elles mènent sont donc de «basse intensité» dans la mesure où les moyens sont faibles et les commandos isolés, l’impact qu’elles reçoivent est, lui, mondialisé.

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RT France : Quels groupes sont à la base de cette attaque ?

PH : Elle a vraisemblablement été revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), qui l’a attribuée au groupe Al-Mourabitoune. Il faut toutefois rester prudent car il est possible que, dans les jours qui viennent, d’autres revendications tombent, comme cela avait été le cas lors de l’attaque de l’hôtel Radisson à Bamako, qui avait été revendiquée par trois groupes différents. Toutefois, il semble que cette tuerie soit l’œuvre du djihadiste algérien Mokhtar Belmokhtar.

RT France : Qui sont ces organisations et dans quelle mesure sont-elles actives en Afrique de l’Ouest ?

PH : Al-Qaïda Maghreb, une branche d’Al-Qaïda, qui s’est développée en Algérie, a commencé à concentrer son action sur le Maghreb, mais aussi sur des pays comme le Mali. Par après, de nombreux groupes rattachés à cette organisation mère ont fait leur apparition, comme le MUJAO ou encore Al-Mourabitoune.

Cependant, la relation entre ces groupes est complexe puisque, d’une part ils sont liés à Al-Qaïda, mais d’autre part, ils entretiennent une grande rivalité entre eux, sont franchisés, et décentralisés. En effet, il faut savoir qu’il y a, derrière ces organisations mafieuses, une concurrence pour le contrôle des trafics. Dans le cas de l’organisation Al-Mourabitoune, de Mokhtar Belmokhtar, l’enjeu était au départ le trafic de cigarettes.

Mais pour gagner la guerre médiatique, en dépit de ces divergences, les organisations djihadistes s’affilient à des maisons-mères, principalement Al-Qaïda et Daesh, qui sont elles-mêmes en rivalité. Ainsi, Al-Mourabitoune, qui aurait revendiqué l’attaque du Burkina Faso, est elle-même scindée entre une aile qui se rallie à Daesh, et une autre qui se rallie à Al-Qaïda.

RT France : Comment expliquer que, malgré l’intervention de la France dans la région, les groupes terroristes y mènent toujours des attaques aussi sanglantes ?

PH : Si l’on peut confiner les djihadistes, attaquer leurs bases logistiques, ou encore empêcher des attaques frontales, la lutte contre le terrorisme se heurte néanmoins à des kamikazes, c’est-à-dire à des individus prêts à mourir pour leur cause.

Les guerres étant disséminées, et les frontières totalement poreuses, le contrôle ne pourrait donc se faire que par les services de renseignement. Mais ceux-ci ne sont pas toujours à la hauteur, comme on l’a vu récemment en France, mais également dans d’autres régions du monde, en Turquie ou en Indonésie. Il n’y a donc pas de réaction possible face à des actions comme celles-là : les guerres asymétriques ne peuvent pas se gagner par la simple force militaire.