L’année 2015 en Afrique : un bilan économique décevant

Le spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan dresse un tableau économique du continent africain en évoquant les impératifs majeurs à suivre pour permettre son redressement.

L'afro-optimisme de 2014 et du début de l’année 2015 n’a pas résisté aux faits. Or, ces derniers sont têtus : l'Afrique ne se développe pas ; la «classe moyenne africaine» n'existe pas ; la pauvreté n'y recule pas et la courbe du PIB, qui, il y a encore quelques mois, déclenchait les extases des «experts», est en berne.

Mais il y a plus grave encore puisque l'Afrique retombe dans le piège de la dette, comme dans les années 1980. N'étant plus capable de rembourser ses emprunts, elle fut alors livrée pieds et poings liés au FMI qui lui imposa les saignées des FAS (Fonds d'ajustement structurel), avec pour résultat les privatisations et l'amplification des exportations de ses ressources brutes. Les premières se firent au profit de trafiquants nationaux ou étrangers qui s'approprièrent ses rares secteurs performants. Les secondes lui fournirent certes des liquidités, mais elles ne débouchèrent pas sur la nécessaire transformation locale de ses matières premières, seule source de valeur ajoutée.

Ces dernières années, ayant oublié les leçons du passé, et comme envoûtés par les charlatans qui leur firent croire que le continent avait «démarré», bien des dirigeants africains se sont remis à emprunter. Les arguments des banquiers avaient de quoi les séduire car les taux qu'ils leur proposaient étaient bas, alors que les cours des matières premières étaient hauts. Les seconds allaient donc permettre de garantir les premiers... Et ils empruntèrent inconsidérément, ce qui les conduit aujourd'hui à un nouvel endettement, alors qu'ils venaient à peine de sortir de celui des années 1980.

L'autre grand problème qui se pose à l’Afrique est celui de son extrême vulnérabilité commerciale qui lui interdit une vision économique à long et même à moyen terme. Vivant de l'exportation de ses matières premières, le continent est, en effet, totalement dépendant des variations du marché. Durant une décennie, ses dirigeants ont cru que les cours allaient toujours se diriger vers le haut, comme le PIB qui fut multiplié par trois en 20 ans. Ils ont donc bâti des prévisions artificielles sur cette illusion. Avec l’effondrement des cours des matières premières, la catastrophe est de retour.

D’autant plus qu’il faut à l'Afrique un minimum de 7% de croissance annuelle et permanente, pour simplement stopper l'augmentation de la pauvreté. Comment est-il alors possible d'envisager l'avenir avec optimisme quand le FMI (septembre 2015), annonce qu'au mieux, le PIB global de l'Afrique progressera de 3,8% pour l'année en cours et que celui des pays africains sub-sahariens exportateurs de pétrole passera de 5,9% en 2014 à 3,5% en 2015 ?

Comme une mauvaise nouvelle arrive rarement seule, le rêve chinois s’est lui aussi dissipé. Et pourtant, que n'avons-nous pas entendu sur les lendemains africains qui allaient chanter grâce au dynamisme chinois ? A preuve, les appétits du nouvel ogre achetant tout ce que le continent produisait. Oui, mais quand le moteur chinois s'est grippé, quand le premier partenaire commercial de l'Afrique a eu des ratés, c'est l'Afrique qui a toussé. La Chine consommant moins, elle a donc automatiquement moins acheté et les cours des matières premières ont donc non moins automatiquement baissé.

Pour les producteurs africains le réveil est brutal. Des pays comme l'Algérie, le Nigeria, l'Angola, le Gabon ou la Zambie, et bien d'autres, dont les exportations sont en quasi-totalité constituées de matières premières brutes, vont donc connaître d'énormes difficultés.

En définitive, loin de «démarrer», l'Afrique sub-saharienne vient de faire un grand retour en arrière, vers l'économie de comptoir. Comme au XVIIIe siècle, quand des oasis de «prospérité» émergeaient d’un océan de misère.

En plus de cela, force est de constater que les colossalement coûteux projets de développement, présentés à la fois comme autant de facteurs de croissance et comme autant de régulateurs démographiques, ont tous échoué. Une profonde remise en cause s’impose donc avec un total changement de paradigme, car la résolution des problèmes africains passe par quatre principaux impératifs :

1. Les sociétés africaines n'étant nées ni avec la colonisation, ni avec la décolonisation, elles doivent donc rétablir les vrais liens qui les relient à leur longue histoire. Or, ces fils d'Ariane ont été coupés par les idéologies universalistes plaquées sur elle depuis l'époque coloniale.

2. Africains et Européens doivent prendre conscience que la résolution des crises africaines ne passe ni par l'augmentation de la politique d'aide, dont les résultats sont nuls, ni par les hypocrites lois du marché, mais par la prise en compte des spécificités du continent. La première est la reconnaissance des fondamentaux ethniques. Même si l'ethnie n'est pas une fin en soi, elle est cependant le passage obligé de toute reconstruction africaine. Il s'agit en quelque sorte, au milieu de la désagrégation généralisée, de retrouver le plus petit commun dénominateur sur lequel rassembler les hommes. Rassembler pour ensuite éventuellement élargir.

Ce retour au réel ethnique devra comporter deux grandes étapes :

- D'abord, la reconstitution d'un ordre social et territorial accepté par tous.

- Ensuite, le dépassement du repli ethnique par des contrats territoriaux de libre association, qu'il s'agisse de fédérations, de confédérations ou de tous autres modèles. La condition sine qua non de leur réussite est qu'ils ne reposent pas sur la représentation individualiste avec son assassin corollaire du «one man, one vote».

3. Les principales crises africaines ont une origine historique, politique et culturelle. Tant que leur approche continuera d'être d'abord économique, elles n'auront aucune chance d'être traitées.

4. Les Africains doivent se montrer plus que circonspects face aux essaims d’ONG qui s’abattent sur leur continent. Que peuvent en effet leur apporter, à long terme, ces organisations majoritairement composées d’exclus ou de retraités des pays du Nord, dont les motifs altruistes masquent trop souvent le fait qu’ils sont eux-mêmes à la recherche de solutions à leurs propres problèmes existentiels ou matériels ? Or, et il importe d’être très clair à ce sujet, sauf rares exceptions (notamment dans le domaine médical), ces «petits blancs» étouffent littéralement l’Afrique sous des milliers de «petits» projets aux «petites» capacités, portés par de «petites» ambitions qui ont pour nom puits villageois, foyers améliorés, petits moulins, petits barrages, petits élevages, petits potagers…, le tout soutenu par de «petits» moyens et surtout avec une absence totale de perspective et de coordination.