RT France : Comment expliquer la différence entre les résultats du premier et du second tour des élections régionales ? Notamment, comment expliquer le fait que le Front national n'a remporté aucune région alors qu'il est arrivé en tête de six régions au premier tour ?
Dominique Jamet : Il y a eu au second tour une mobilisation des électeurs extrêmement forte. 8 voire 8,5 points en plus, c’est-à-dire quatre millions d’électeurs en plus qui sont venus voter. La question qui se posait était de savoir si ces électeurs votent pour venir au secours de Front national ou pour faire barrage au Front national. La réponse est claire, nette, sans équivoque - ces électeurs se sont mobilisés pour faire barrage au Front national. En d’autres termes, le Front national ne disposait pas de réserve, il est resté bloqué à son score du premier tour – entre 30 et 42%.
Le FN s'est inscrit durablement dans le paysage politique français
Deuxième enseignement – si la droite et la gauche ont limité les dégâts, ce n’est pas le jour d’une victoire glorieuse, ni pour l’une, ni pour l’autre. Les socialistes n’ont réussi qu’à garder quelques régions que parce qu’il ont eu le renfort des communistes et des écologistes, qui pourtant n’approuvent pas la politique du gouvernement. Quant à la droite, qui aurait remporté de son côté cinq ou six régions, dont les régions les plus importantes, elle n’aurait pas pu les gagner sans l’appui du Parti socialiste. C’est-à-dire que la droite à elle-seule est incapable désormais dans des régions essentielles de faire jeu égal avec le Front national, de l’affronter seule.
Donc ce soir, il n’y a pas de vainqueur, contrairement à ce qui c’est passé au premier tour – puisque le Front national n’a remporté aucune région, puisque le PS en perd, puisqu'il en avait 21 sur 22, et ne sauve les meubles que grâce à une alliance très fragile avec sa gauche et que la droite n’a conquis le Nord-Pas-de-Calais et le PACA que grâce au soutien des socialistes. Alors ce qui reste de ces élections, c’est évidemment la poussée extrêmement forte et la victoire du Front national au premier tour. Et on peut considérer, bien que le Front national à l’heure actuelle ne dispose pas des moyens qui lui permettent d’aller au-delà de 35 à 40%, qu’il s’est inscrit probablement durablement dans le paysage politique – et au total ces élections sont quand même un avertissement pour la gauche, du gouvernement, et pour la droite.
Si les deux partis du gouvernement font une coalition, ils risquent de revenir au bipartisme et d’être opposés frontalement au Front national
RT France : Si on parle notamment des alliances vues lors de ces élections – on a vu des alliances de la gauche et de la droite, on a vu également un certain support de la part de la gauche envers les candidats de la droite. Que vont devenir ces alliances après les élections ?
Dominique Jamet : Il y a deux directions possibles entre lesquelles la gauche et la droite devront choisir symétriquement. La gauche peut se re-diviser au lendemain de ces élections – le Front de gauche et les écologistes vont prendre leur distance et leur liberté vis-à-vis du Parti socialiste au nom de la fidélité de la gauche – et un certain nombre de frondeurs socialistes peuvent les rejoindre. Et puis à droite, de la même manière, on peut ne pas tenir compte de ces élections et décider que l’affrontement classique entre droite et gauche doit se poursuivre. Au fond, cela revient à dire que malgré ces résultats spectaculaires, on ne change rien à rien.
Et puis l’autre hypothèse, qui a ses avantages et ses inconvénients, à laquelle invite notamment Manuel Valls dans son discours qu’il vient de prononcer, serait un rapprochement entre les deux grands partis du gouvernement – Les Républicains et l'UDI d'une part et d'autre part le Parti socialiste – pour former à plus ou moins court terme une alliance et former un gouvernement d’union nationale.
La question est désormais posée : soit le paysage politique français ne changera pas, la droite et la gauche resteront opposées, et probablement lors d'une des prochaines échéances, c’est le Front national qui l'emportera – ou bien ces deux partis font une coalition avec le risque de revenir au bipartisme, d’être opposés frontalement au Front national et de voir celui-ci continuer à prospérer. Mais avec le risque inverse – que cette coalition, soutenue par une majorité de Français, empêche durablement le Front national d’accéder au pouvoir.
En l’espace de 13 ans, le Front national a monté de 23 % au niveau national
Aller plus loin : Les résultats des élections régionales, échos des départementales de mars ?
RT France : On a vu que le Front national à lui seul a obtenu presque le tiers des votes – quelles seront alors ses chances pour les élections à venir, comment cela changera-t-il le paysage politique français ?
Dominique Jamet : Ce que je constate, c’est que le Front national garde toutes ses chances pour envoyer sa candidate au second tour des prochaines élections présidentielles. Mais dans l’état actuel des choses, le Front national serait battu au second tour. Simplement, j’attire votre attention sur le fait que la dernière fois que cette question s’est posée, en 2002, le Front national n’a obtenu que 18% des voix, et Jacques Chirac, le candidat unique contre le Front national, en a obtenu 82%.
Depuis, en l’espace de 13 ans, le Front national a monté de 23 points. Maintenant, le rapport des forces n’est plus de 82 contre 18, mais de 60 contre 40. C’est donc un avertissement, est-ce que dans les mois et les années qui viennent, les partis du gouvernement trouveront les arguments et auront les résultats qui leur permettront d’enrayer la montée du Front national, ou bien s'ils échouent sur le chômage, s’ils se montrent incapables de rassurer les Français, de contrôler leurs frontières, de régler les problèmes de sécurité – peut-être que le Front national continuera à monter et qu'il ne se sera agi pour lui que d'une étape.
Ce serait une rupture brutale avec la façon dont la vie politique française s'est structurée au moins depuis 50 ans
RT France : Si une coalition se forme réellement entre Les Républicains, le PS et les alliés de ces partis, alors quelle pourrait être l’attitude des Français envers cette alliance entre droite et gauche ?
Dominique Jamet : C’est très difficile à dire, mais il est certain que ce serait une rupture brutale avec la façon dont la vie politique française s'est structurée au moins depuis 50 ans – et peut-être même davantage. Nous sommes habitués en France à des blocs plus au moins constitués qui s’opposent – celui de la droite et celui de la gauche – et ces blocs sont supposés irréconciliables. Si il y avait une coalition – ce qui jusqu’à aujourd'hui n’a pas souvent existé en France – si la droite et la gauche se réunissaient dans une grande coalition, ce serait une restructuration du paysage politique français, avec la possibilité, si cette coalition obtient des résultats, de s’inscrire durablement dans nos mœurs politiques – et avec le risque si elle échoue, de voir le Front national l’emporter. Alors cette coalition, si elle se fait, a le risque de jouer son avenir à quitte ou double.
Philippe de Villiers, au sujet des régionales : «C’est la fin de toute une classe politique»