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Trump, artisan de la paix ? Comment sa présidence pourrait contribuer à mettre fin à la guerre en Ukraine

Le candidat républicain semble avoir un plan de compromis basé sur les réalités plutôt que sur la propagande ou les vœux pieux, estime Tarik Cyril Amar. Analyse.

 

Le probable prochain président américain, Donald Trump, a indiqué avoir un plan pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Du moins, deux de ses conseillers ont un tel plan. Plus important encore, après l’avoir proposé à Trump, ils ont déclaré qu’il y avait répondu favorablement.

Pour reprendre les propos de l’un des auteurs du plan, «je ne dirais pas qu’il l’a approuvé ou qu’il en a approuvé chaque mot, mais nous avons été heureux de recevoir ses commentaires.» Il est vrai que Donald Trump a également fait savoir qu’il n’approuvait pas officiellement le plan. Toutefois, il est évident que ce projet est une ébauche préparée avec son approbation. Sinon, soit nous n’en aurions pas entendu parler, soit le projet aurait été désavoué.

Ces deux conseillers de Trump sont Keith Kellogg, général à la retraite, et Fred Fleitz, ancien analyste de la CIA. Ils ont occupé tous les deux des postes importants dans le domaine de la sécurité nationale pendant la présidence de Donald Trump. Aujourd’hui, ils jouent tous les deux un rôle majeur au sein du Centre pour la sécurité américaine : Kellogg en est le co-président, et Fleitz vice-président. Enfin, les deux hommes expriment clairement leur attachement à ce qui est peut-être le principe de politique étrangère le plus fondamental de Donald Trump : « l’Amérique d’abord ». Fred Fleitz a récemment publié un article où il affirmait que « seule [le concept de] l’Amérique d’abord peut inverser le chaos dans le monde provoqué par l’administration Biden. » Pour Keith Kellogg, « l’approche de l’Amérique d’abord est essentielle à la sécurité nationale. » Enfin, le Centre pour la sécurité américaine fait partie de l’Institut Politique de l’Amérique d’abord (America First Policy Institute), un think-tank influent fondé en 2022 par des anciens membres clés de l’administration Trump afin de préparer les politiques pour son retour.

Pousser les Ukrainien à la paix

Clairement, ce plan de paix ne vient pas de nulle part. Au contraire, il n’a pas simplement été soumis à Trump pour recevoir son approbation informelle, mais il a également émergé au sein même du trumpisme en tant que force politique renaissante. En outre, comme l’a souligné l’agence Reuters, ce plan est également le plus élaboré que le camp Trump ait présenté jusqu’à présent sur la manière de parvenir à la paix en Ukraine. En réalité, c’est la première fois que la promesse de Donald Trump de mettre rapidement fin à cette guerre, une fois reinstallé à la Maison Blanche, est expliquée en détail. L’adoption de ce plan, ou de toute autre stratégie similaire, marquerait manifestement un changement profond dans la politique américaine. C’est donc un sujet qui mérite une attention particulière.

Que prévoit ce plan ? Essentiellement, il repose sur un principe simple : utiliser l’influence de Washington sur l’Ukraine pour pousser les Ukrainiens à accepter une paix basée sur des concessions territoriales ou autres. Comme le précise Keith Kellogg, « nous disons aux Ukrainiens : “Vous devez vous présenter à la table des négociations et si vous ne le faites pas, il n’y aura plus de soutien américain” ».

Compte tenu de la dépendance absolue de Kiev à l’égard de l’aide américaine, il est difficile d’imaginer comment l’Ukraine pourrait résister aux pressions de ce type. Le plan comprend également une menace adressée à Moscou, peut-être pour donner une apparence «d’équilibre» aux nombreux républicains qui restent toujours belliqueux à l’égard de la Russie : «Et nous disons à Poutine», en reprenant encore une fois les termes de Kellogg, «qu’il doit se mettre à la table [des négociations] et que s’il ne le fait pas, nous donnerons aux Ukrainiens tout ce dont ils ont besoin pour vous vaincre sur le champ de bataille.»

Néanmoins, il est évident que, malgré la rhétorique austère contre la Russie, ce plan suscitera une grande angoisse à Kiev et pas à Moscou pour deux raisons. Premièrement, les menaces adressées à la Russie et à l’Ukraine sont incomparables : si les États-Unis retiraient leur appui à l’Ukraine, le régime de Kiev non seulement perdrait la guerre, mais s’effondrerait. Si, au lieu de cela, les États-Unis renforçaient leur soutien au régime de Zelensky, la Russie réagirait en mobilisant des ressources supplémentaires, comme elle l’avait fait auparavant. Dans ce cas, elle pourrait également recevoir une aide militaire directe de la Chine, qui ne se tiendrait pas à l’écart pour surveiller la défaite potentielle de la Russie, car cela laisserait Pékin seul face à un Occident agressif et enhardi. En outre, Washington devrait certainement peser le risque que la Russie s’engage dans une contre-escalade. En résumant, ce plan menace l’Ukraine d’une certaine défaite, d’une chute du régime et peut-être même de l’État. Il menace Moscou d’une période plus difficile : un type de menace qui est voué à l’échec.

Un plan aligné avec les objectifs de Moscou ?

La deuxième raison pour laquelle ce plan est une mauvaise nouvelle pour l’Ukraine, mais pas pour la Russie, est que la paix qu’il cherche à atteindre est beaucoup plus proche des objectifs militaires de Moscou que de ceux de Kiev. Bien que le document présenté à Trump n’ait pas été rendu public, les analystes américains estiment que le document publié sur le site du Centre de sécurité américain intitulé L’Amérique avant tout, la Russie et l’Ukraine est similaire à ce que lui, ou son équipe, ont eu l’occasion de lire. Ce document, rédigé lui aussi par Kellogg et Fleitz, souligne également à plusieurs reprises à quel point Trump a été « dur » envers la Russie. Il y a de quoi se pavaner pour ceux qui aiment ce genre de choses.

Cependant, ces déclarations sont contrebalancées par l’accent mis sur ce que l’on appelait auparavant la diplomatie : « En même temps, lit-on, Trump était ouvert à la coopération avec la Russie et au dialogue avec Poutine. Trump a exprimé son respect pour Poutine en tant que dirigeant mondial et ne l’a pas diabolisé dans ses déclarations publiques. [...] C’était une approche commerciale des relations américano-russes [...] visant à trouver des moyens de coexister et de réduire les tensions [...] tout en défendant fermement les intérêts de la sécurité américaine. »

Ce ton ne peut que susciter la confusion à Kiev car sous la présidence de Biden, la stratégie des États-Unis, et par conséquent celle du monde occidental, a été construite non seulement sur la base d’une approche extrêmement belliqueuse (comme si ce n’était déjà pas assez grave), mais, plus important et préjudiciable, sur l’obsession selon laquelle il n’y a pas d’alternative. Pour ses adeptes, tout est une pacification, à l’exception d’une escalade constante pour la victoire. Il n’y a pas de place pour un véritable quid pro quo et un compromis. Une telle attitude est vitale pour un soutien américain suivi à l’Ukraine et, en particulier, pour le fait que les États-Unis franchissent une ligne rouge (c’est-à-dire celles qui ont été tracées auparavant par eux-mêmes) après l’autre, ce qui ne débouche sur rien de (bon).

D’où l’approche trumpiste envers la Russie, qui ne peut pas non plus être qualifiée de douce, alors que la reconnaissance de la possibilité d’une désescalade négociée constitue un écart majeur par rapport à la politique actuelle des États-Unis. On pourrait même penser qu’elle est inspiré par la politique étrangère de Reagan dans les années 1980, qui combinait également une rigidité prononcée avec une véritable volonté de faire des compromis. Cependant, il y aurait une grande différence : à la fin de la Guerre froide, Washington avait affaire à des dirigeants soviétiques malléables, voire naïfs. C’était une grave erreur, commise principalement pour des raisons idéalistes, que les dirigeants russes actuels voient très clairement, à propos de laquelle ils sont toujours mécontents et qu’ils n’ont pas l’intention de répéter.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, cela signifie qu’à tout règlement, même avec une nouvelle approche commerciale de Washington, qui s’assied à la table des négociations, pas un, mais deux joueurs durs prendront part : la Russie n’acceptera aucun compromis, si l’on ne tient pas compte du fait qu’elle a pris le dessus dans cette guerre. Cela signifie, à son tour, que, au-delà de l’esprit trumpiste de réconciliation conditionnelle, ce seront les détails qui importeront.

Malheureusement pour le régime de Zelensky et heureusement pour tous les autres (oui, y compris pour de nombreux Ukrainiens qui ne seront plus obligés de mourir dans une guerre par procuration une fois la paix rétablie), dans ce domaine aussi, le domaine du concret et du spécifique, le plan élaboré par Kellogg et Fleitz montre certains progrès. Les auteurs reconnaissent tout d’abord les éléments importants de la réalité que les dirigeants actuels des États-Unis mentent ou sont dans le déni, par exemple, qu’il s’agit d’une guerre par procuration ainsi que d’une guerre d’usure, que « le plan de 10 points » de Zelensky (en gros, un plan de ce qui pourrait se passer si l’Ukraine devait gagner la guerre, c’est-à-dire jamais) « n’a abouti à rien », et que l’Ukraine n’est pas en mesure de soutenir la guerre sur le plan démographique.

Un accord amiable plutôt que l'escalade

Ils reconnaissent également que la Russie refusera de participer à des pourparlers de paix ou d’accepter un cessez-le-feu initial si l’Occident ne « reporte pas l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pour une période prolongée ». En fait, une « période prolongée » ne suffira pas ; Moscou a clairement indiqué que jamais signifie jamais. Il est pourtant possible que Kellogg et Fleitz aient formulé leurs idées avec précaution, en tenant compte du degré de tolérance de leurs lecteurs américains à ce stade. Le plan évoque également, toujours avec réalisme, l’option de la levée partielle et, éventuellement, totale des sanctions contre la Russie. D’un autre côté, l’Ukraine ne devrait pas renoncer à son objectif de récupérer tout son territoire mais, restriction importante, serait obligée d’accepter de poursuivre son objectif seulement par des moyens diplomatiques. Ce qui implique, bien sûr, que Kiev devrait d’abord abandonner le contrôle du territoire.

Et voilà : il s’agit d’une proposition qui, réduite à l’essentiel, prévoit des concessions territoriales et aucune adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Il n’est pas étonnant que Kellogg et Fleitz concluent leur document en admettant que « le gouvernement ukrainien », « le peuple ukrainien » (ce qui est sûrement une généralisation excessive) ainsi que « leurs sympathisants » en Occident auront du mal à accepter ce type de paix négociée. Nous pourrions ajouter : surtout après plus de deux ans d’une guerre par procuration sanglante qui aurait pu être évitée (comme le reconnaissent également les auteurs). Pourtant, cette tragédie s’est déjà produite. Nous pouvons souhaiter qu’elle ne se soit pas produite mais nous ne pouvons pas refaire le passé. La vraie question concerne l’avenir. Kellogg et Fleitz, aussi bien que Trump, s’il décide de suivre une telle politique, ont raison de dire que la guerre doit prendre fin, et que le seul moyen d’y mettre fin, et d’éviter une nouvelle escalade, pouvant aller jusqu’à une guerre mondiale, est un règlement à l’amiable fondé sur la réalité.