Une confrontation structurelle : pourquoi le conflit russo-américain survivra à la crise ukrainienne

Une confrontation structurelle : pourquoi le conflit russo-américain survivra à la crise ukrainienne
Lance-roquettes russe sur le front (image d'illustration).
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L’affrontement russo-américain s'inscrit sur le temps long et perdurera même après que les États-Unis auront reconnu que l’instrument qu’est l’Ukraine a perdu son importance. Washington reportera l'action antirusse sur un autre pays, qui, à l’instar de Kiev, sera prêt à se sacrifier pour la lutte contre Moscou, prévient Andreï Souchtchentsov.

L’aspiration des États-Unis à dominer et leur refus de traiter les autres pays d’égal à égal, prêts et capables de partager de manière équilibrée la responsabilité pour la paix et la stabilité est la réponse la plus courte à la question des raisons pour lesquelles les relations entre Moscou et Washington ne sauraient sortir de la crise. Il en résulte que les États-Unis rencontrent les mêmes difficultés dans leurs relations avec la Chine, l’Inde et même avec certains de leurs propres alliés comme la Turquie.

La position russe et chinoise est fondée sur le principe que la paix est le résultat d’un compromis entre les principaux centres de pouvoir et qu’elle est impossible sans accord mutuel entre les parties, sans égalité, respect mutuel, volonté de prendre en compte les intérêts de l’un et de l’autre et respect du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures. Les États-Unis pensent que la paix est un fait établi et prédéterminé et qu’aucun effort particulier n’est nécessaire pour la maintenir.

C’est ainsi que naissent les solutions paradoxales : plus il y a d’armes, plus la paix est assurée. Vu que la Russie et les États-Unis ont des divergences quant aux facteurs assurant la stabilité dans le monde, nous ne pouvons pas trouver de terrain d’entente. L’Occident n’est pas encore prêt à devenir un des « Titans portant le poids du ciel sur ses épaules ». Il considère toujours que c’est lui le chef.

«Nous devons partir du principe que les élites américaines ne sont pas des interlocuteurs sur lesquels nous pouvons compter»

Les relations entre Moscou et Washington peuvent-elles se réchauffer avec un changement d’administration aux États-Unis ? Je peux supposer que cela n’aura pas d’impact significatif sur la ligne américaine à l’égard de la Russie. Il est judicieux de considérer la politique américaine comme un facteur indépendant dans notre planification — nous devons partir du principe que les élites américaines ne sont pas des interlocuteurs sur lesquels nous pouvons compter. Dans la plupart des cas, Washington aura une attitude hostile à l’égard de la Russie, parfois de manière opportuniste et ponctuelle en entraînant Moscou dans un certain type d’interaction — dans son propre intérêt, bien entendu.

Entre la Russie et les États-Unis demeure une divergence conceptuelle dans leur compréhension du monde au XXI siècle. Il y a des experts américains qui soutiennent l’idée que la Russie fait partie de l’Occident et qu’elle finira inévitablement dans le camp occidental à l’issue de cette crise, et que son adversaire deviendra la Chine. Cet ensemble d’idées paradoxales est présent dans le récit américain depuis le début des années 1990.

Les Américains se convainquent que la Russie n’a plus d’autre alternative et qu’elle acceptera donc n’importe quelle proposition des États-Unis.

Comme les États-Unis sont toujours le principal centre mondial des échanges et que le dollar demeure la principale monnaie mondiale à moyen terme, ils seront un pays important. Et beaucoup dans le monde dépend de leur vie politique intérieure bouillonnante.

En ce qui concerne l’Ukraine, les Américains qui réfléchissent en tant qu’investisseurs bancaires déclarent tout de go que Kiev est un instrument assez bon marché qui remplira deux objectifs : affaiblir la Russie et étouffer toute voix en Europe qui appelle à l’autonomie stratégique par rapport aux États-Unis.

Durant ces deux dernières années, les États-Unis jugeaient ce moyen de mobilisation assez peu coûteux. En effet, les liens russo-européens désorganisés, le gazoduc principal reliant leurs systèmes énergétiques détruit, la militarisation de l’Europe de l’Est en cours, le complexe militaro-industriel américain renforcé, l’activité économique glisse de l’Europe vers les États-Unis. L’économie américaine a gagné dans cette crise alors que l’économie européenne a beaucoup perdu.

Infliger une défaite stratégique à la Russie

En quoi consistent les objectifs des États-Unis dans la crise ukrainienne ? Ils leur faut une Russie faible, dépourvue de contrôle sur ses ressources logistiques, matérielles, économiques, énergétiques et n’importe quelles autres situées sur son territoire eurasiatique. Les États-Unis cherchent à déloger la Russie des premières cinq puissances mondiales et à la rendre secondaire du point de vue stratégique.

Mais Washington commence à comprendre que son outil pour contenir la Russie, qui est l’Ukraine, cesse d’être une ressource abordable. Les militaires ukrainiens et les ressources tant matérielles qu’humaines étant presque épuisées, il devient de plus en plus coûteux pour les États-Unis et l’Europe de maintenir la viabilité de l’État ukrainien.

Les États-Unis ont profité de tous les avantages relatifs durant la première année du conflit, mais les dépenses pour soutenir l’intensité du conflit commencent à se faire sentir : l’équilibre entre profits et dépenses pour les États-Unis penchent peu à peu vers les secondes.

Washington regardait depuis longtemps la Russie comme un actif stratégique qui s’en allait. Les États-Unis attendaient que le pays quitte le peloton des 5 plus grandes économies mondiales pour s’occuper de la Chine. Pourquoi ont-ils renoncé aux négociations avec Moscou fin 2021, poussé l’Ukraine vers une issue militaire à la crise et, par la suite, interdit de négocier avec la Russie ? Ils pensaient qu’une victoire rapide sur la Russie était possible et que les 52 pays rassemblés par les États-Unis dans une coalition autour de l’Ukraine, leurs ressources matérielles, leurs arsenaux, leurs moyens de renseignement, leurs satellites, les livraisons d’armes, le soutien politique et tout autre soutien suffiraient à vaincre la Russie.

Les pays occidentaux n’ont pas évalué raisonnablement le potentiel de la Russie et celui de leur propre coalition, car les objectifs à court terme annoncés se sont révélés irréalisables. Ils considèrent qu’un pays dont l’économie représente 3 % du PIB mondial ne peut lutter seul contre l’ensemble de la grande coalition. Mais si les pays occidentaux consacrent 65 à 80 % de leur PIB au secteur tertiaire plutôt qu’à l’industrie lourde et aux secteurs liés à l’armement, on se retrouve dans une situation où la Russie seule produit plus d’obus d’artillerie que l’ensemble des pays occidentaux. Un paradoxe que les États-Unis n’ont pas pris en compte.

La confrontation entre les États-Unis et la Russie doit être considérée comme une confrontation à long terme. Elle persistera même lorsque Washington se rendra compte que l’Ukraine en tant qu’instrument a perdu toute importance. Alors les États-Unis déplaceront le centre de l’activité antirusse vers un autre pays qui, comme l’Ukraine, sera prêt à se sacrifier en se faisant l’avant-garde de la lutte contre la Russie. Les États-Unis ne cesseront pas d’être stratégiquement significatifs pour nous, et nous ne pouvons par conséquent pas nous permettre de ne pas les prendre en compte dans notre planification. Il faut considérer les États-Unis comme une menace permanente et nous préparer à ce que notre confrontation soit longue.

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