Pour la plupart des observateurs, il y a peu de place au doute : le président nicaraguayen Daniel Ortega devrait être reconduit lors de l'élection du 7 novembre. Mais les analyses divergent. Pour certains, le leader sandiniste va gagner parce que sa politique est populaire ; pour d'autres, il l'emportera car il a réprimé et muselé toute opposition.
Leader socialiste pour les uns... et pour les chiffres
Agé de 76 ans, Daniel Ortega, au pouvoir de 1979 à 1990 puis depuis 2007, brigue un quatrième mandat consécutif lors de l'élection présidentielle, qui se tient en même temps que les législatives.
Pour ses soutiens, le président nicaraguayen est un homme de gauche révolutionnaire, le même qu'il était dans les années 1980 quand, avec le mouvement sandiniste, il avait fait chuter la dictature de la dynastie Somoza qui avait régné sur le pays 43 ans durant. Pour ses soutiens encore, le Commandante Ortega reste le dirigeant socialiste qui protège les plus pauvres et œuvre pour eux.
Les réalisations sociales sous ses mandats sont en effet incontestables : croisade contre l'analphabétisme, construction d'infrastructures de base comme les routes, les égouts, l'alimentation en eau potable, gratuité universelle des soins de santé et de l'éducation avec doublement de leur budget. A travers des campagnes de vaccination et la construction d'hôpitaux publics, les sandinistes au pouvoir ont amélioré le système de santé, réduisant de moitié la mortalité infantile et maternelle. Depuis 2006, la pauvreté a aussi été réduite de moitié, le Produit intérieur brut (PIB) du pays a doublé et le Nicaragua jouit du plus faible taux d'homicide en Amérique centrale, région la plus violente au monde en temps de paix. Même en terme d'écologie et d'égalité hommes-femmes, le pays n'est pas en reste, «le Nicaragua est le leader régional dans l’énergie éolienne : certains mois, particulièrement lorsque le vent est puissant, le pays génère 84% de renouvelable via des sources vertes», peut-on lire dans un rapport du ministère français de l'Economie qui date de 2018. Enfin, en matière d'égalité des sexes, durant les 14 dernières années, le Nicaragua est passé du 62e en 2006 au 5e rang mondial, selon le Global gender gap de 2020, un rapport du Forum économique mondial. Devant ces succès, difficile d'affirmer que la popularité de Daniel Ortega n'est basée que sur des discours ou ses acquis des années 1970.
Des lois anti-ingérence
La controverse actuelle autour de l'élection du 7 novembre prend sa source en octobre 2020, à un an de la présidentielle, quand le Parlement nicaraguayen, dominé par le parti présidentiel, a adopté deux lois qui visent à lutter contre toute ingérence étrangère et en particulier étasunienne. Avec le financement par Washington des Contras (guérilla antisandiniste dans les années 1980), le pays a en effet une grande expérience en la matière.
La première loi prévoit d'enregistrer comme «agent étranger» toute personne ou entité recevant des fonds de l'étranger, notamment les ONG. A titre d'exemple d'application de cette loi, en août 2021, Managua a par exemple retiré les autorisations de fonctionnement à six ONG étrangères dont Oxfam. La seconde loi punit de peines de prison la «publication ou la diffusion [sur les réseaux sociaux] d'information fausse [ou] déformée, susceptible de répandre l'inquiétude, l'angoisse ou la peur parmi la population». En décembre, le Parlement a approuvé une autre loi excluant des élections de 2021 ceux qui promeuvent des sanctions étrangères contre le Nicaragua. Cette «loi pour la défense des droits du peuple à l'indépendance, à la souveraineté et à l'autodétermination pour la paix» déclare comme «traîtres à la patrie» ceux «qui mènent ou financent un coup d'Etat» ou demandent et applaudissent des sanctions contre l'Etat du Nicaragua et ses citoyens.
C'est entre autre dans le cadre de ces lois que depuis juin, 39 opposants au pouvoir ont été arrêtes et emprisonnés. Parmi eux, sept pré-candidats à l'élection présidentielle du 7 novembre dont la journaliste Cristiana Chamorro, principale rivale potentielle de Daniel Ortega. Fille de l'ancienne présidente Violeta Chamorro (1990-1997) soutenue par Washington, Cristiana Chamorro est arrêtée le 2 juin puis assignée à résidence après avoir été accusée de blanchiment d'argent.
Dictateur pour les autres
Avec ces arrestations à la chaîne et trois ans après les manifestations violentes de 2018, les détracteurs de Daniel Ortega dénoncent ce qu'ils qualifient de dérive autoritaire du président qui gouverne avec sa femme et vice-présidente Rosario Murillo.
Washington qualifie Daniel Ortega de «dictateur» et a infligé des sanctions à quatre de ses proches. Les Etats-Unis, l'Union européenne et l'ONU réclament la libération des opposants et le 2 novembre, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a estimé que le scrutin du 7 novembre ne pourra pas être considéré comme «légitime», après l'avoir qualifié de «simulacre» le mois précédent.
Le Congrès des Etats-Unis a en outre approuvé le 3 novembre une loi visant à accroître la pression diplomatique sur le gouvernement du Nicaragua. Cette loi dite RENACER a été adoptée par 387 voix pour et 35 contre à la Chambre des représentants, après avoir été approuvée par l'ensemble du Sénat en août. Elle prévoit des mesures visant à lutter contre ce que Washington considère comme de la corruption et des violations des droits de l'Homme par le gouvernement d'Ortega. Le texte élargit la surveillance des prêts accordés au Nicaragua par les institutions financières internationales. Il ajoute également le Nicaragua à la liste des pays soumis à des restrictions de visa pour cause de corruption, et exige davantage de rapports de renseignement sur les activités de la Russie dans ce pays, notamment sur les ventes de matériel militaire.
Du côté des ONG, plusieurs d'entre-elles comme Amnesty International et Human Rights Watch ont déjà critiqué les élections du 7 novembre, évoquant une atmosphère de répression. Les élections «ne garantissent pas les droits de l'Homme», ont déclaré les ONG dans un rapport dans lequel elles exhortent la communauté internationale à «redoubler d'efforts pour mettre fin à la crise».
D'anciens amis du sandinisme scandalisés
Mais il faut aussi noter que parmi ceux qui critiquent sévèrement les récents agissements du gouvernement Ortega, il y a aussi d'éminentes personnalités qui lui ont longtemps été alliées. Ainsi, comme le rapporte Le Monde diplomatique, contrairement aux épisodes précédents de controverses au sujet du Nicaragua, les critiques les plus virulentes ont également émané de figures emblématiques de la gauche. En juillet, plus de cinq cents anciens membres d’organisations de solidarité avec le Nicaragua aux Etats-Unis, qui avaient travaillé avec (et souvent pour) le gouvernement sandiniste dans les années 1980, ont signé une «Lettre ouverte au gouvernement nicaraguayen». Parmi les signataires : Noam Chomsky, Alice Walker, Daniel Ellsberg. S'ils continuent d'afficher leur soutien à la révolution sandiniste et dénoncent l’interventionnisme américain, ils ne mâchent pas leurs mots concernant les «crimes contre l'humanité» commis par les autorités nicaraguayennes. «Les crimes du gouvernement américain – hier comme aujourd’hui – ne sont pas la cause et ne justifient pas les crimes contre l’humanité commis par le régime actuel de Daniel Ortega et de Rosario Murillo», n'hésitent pas à lancer les signataires qui exigent la libération des prisonniers, des élections libres et transparentes, avec la participation des pré-candidats incarcérés et sous observation internationale.
Par ailleurs, il est à rappeler que le Mexique et l'Argentine ont annoncé conjointement le 21 juin rappeler leurs ambassadeurs au Nicaragua pour des consultations, après la vague d'arrestations. Dans un communiqué commun, les gouvernements de centre-gauche des deux pays ont expliqué mener des consultations sur «les actions politico-judiciaires préoccupantes menées par le gouvernement nicaraguayen».
Face à Daniel Ortega, il y aura bien cinq candidats briguant la magistrature suprême au Nicaragua, mais selon tous les observateurs, ils n'ont aucune chance de l'emporter. Si son bilan social et économique ne pousse pas à rougir, la vague d'arrestations à la veille de l'élection présidentielle risque d'isoler davantage le futur gouvernement Ortega au niveau international et peut-être de lui coûter cher.
Meriem Laribi