Repris de justice avec une palette de condamnations pour le moins substantielles (pour détournements de fonds, fraudes, vols et abus sexuels sur plusieurs dizaines de mineurs), l'Islandais Sigurdur Thordarson «a admis avoir fabriqué des allégations clés dans l'acte d'accusation contre le fondateur de WikiLeaks». C'est ce qu'a révélé le 26 juin le bihebdomadaire islandais Stundin, repris par WikiLeaks et le média américain Consortium news, entre autres.
En effet, selon le journal, le multirécidiviste contredit par exemple désormais toute affirmation selon laquelle il aurait reçu de la part de Julian Assange des consignes de piratage visant un pays membre de l'OTAN. Pour rappel, cette allégation correspond à une pièce maîtresse dans le dernier acte d'accusation formulé par la justice américaine contre Julian Assange. Le département de la Justice des Etats-Unis souhaite en effet faire comparaître le journaliste de WikiLeaks pour espionnage.
Malgré le faible écho médiatique dont elles bénéficient pour l'heure, ces dernières révélations ont déjà été repartagées plusieurs dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. «C'est la fin de l'affaire contre Julian Assange», a notamment réagi le lanceur d'alerte Edward Snowden en repartageant l'article en question.
«Il est grand temps de mettre fin à cette parodie», a renchéri Nils Melzer, rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, en listant les événements qui ont permis, les uns après les autres, de «démanteler la persécution d'Assange».
«La défense de Julian Assange avait déjà démontré le manque de crédibilité du "témoin vedette" des Américains : un criminel jugé en Islande pour fraude, pédophilie et autres crimes, transformé en informateur du FBI. Maintenant que ce même témoin a admis que tout ce qu'il a déclaré sur Julian Assange est un mensonge, qu'il a probablement tout inventé pour obtenir de l'argent du FBI, cet aveu discrédite les accusations des procureurs américains», a de son côté confié à RT France Fidel Narvaez, ex-consul de l’Equateur au Royaume-Uni, proche du dossier Assange.
Les mensonges d'un malfaiteur devenu informateur pour le FBI
Sur la base d'un entretien de plusieurs heures avec Sigurdur Thordarson, aujourd'hui âgé de 28 ans, Stundin énumère ainsi au discours indirect plusieurs confessions de son interlocuteur. «Sigurdur Thordarson admet aujourd'hui qu'Assange ne lui a jamais demandé de pirater ou d'accéder à des enregistrements téléphoniques. […] Il dit avoir en fait reçu les fichiers d'un tiers qui prétendait avoir enregistré des députés, et [explique qu'il] avait proposé de les partager avec Assange sans avoir la moindre idée de ce qu'ils contenaient réellement», relate notamment le journal islandais, avant de revenir en détails sur d'autres affirmations à charge contre Julian Assange, toutes issues de l'acte d'accusation susmentionné.
Ainsi, concernant une allégation selon laquelle le ressortissant australien aurait «utilisé l’accès non autorisé que lui a[vait] donné une source pour accéder à un site internet gouvernemental d’un pays de l’OTAN», Thordarson admet désormais qu’il avait lui-même accès à ce site pour d'autres activités, et que Julian Assange n’a jamais demandé à le consulter, toujours selon Stundin.
Pour rappel, Sigurdur Thordarson a collaboré à partir de 2010 avec WikiLeaks, qui l'a plus tard accusé de lui avoir volé plusieurs dizaines de milliers de dollars et d'avoir usurpé l'identité d'Assange. Le jeune Islandais est devenu en 2011 un informateur du FBI contre la structure fondée par Julian Assange. Dès le mois d'août de cette année-là, après avoir offert «des informations relatives à une enquête criminelle» à l'ambassade des Etats-Unis en Islande, Sigurdur Thordarson a été sollicité par Washington auprès de qui «il a confirmé qu'il proposait d'être un informateur dans l'affaire contre Julian Assange», ainsi que le rappelle encore Stundin.
En tout état de cause, le rapprochement entre le jeune Islandais et les autorités américaines n'est aujourd'hui plus un scoop, puisqu'il a déjà fait l'objet de plusieurs articles qui remontent au début de la décennie. Ainsi, le mensuel californien Wired publiait en 2013 : «Un collaborateur de WikiLeaks devenu informateur rémunéré par le FBI».
L'Islande dupée par Washington ?
S'appuyant sur plusieurs confidences, dont celles de l'ancien ministre islandais de l'Intérieur Ögmundur Jónasson, Stundin revient également sur les méthodes utilisées par Washington afin de mettre la main sur Julian Assange.
Ils essayaient d'utiliser [...] notre pays pour tisser une toile d'araignée afin de rattraper Julian Assange
«Ils essayaient d'utiliser [...] notre pays pour tisser une toile d'araignée afin de rattraper Julian Assange», constate aujourd'hui l'ancien ministre cité par le bihebdomadaire islandais. Ögmundur Jónasson se souvient en effet que lorsque le FBI a pour la première fois contacté les autorités islandaises en juin 2011, il s'agissait officiellement d'avertir le pays d'une menace imminente et grave d'intrusion contre les ordinateurs du gouvernement. C'est dans ce contexte que l'Islande a accepté de coopérer avec le FBI mais, comme le confie désormais Ögmundur Jónasson à Stundin, Washington préparait déjà le terrain pour un objectif ultime bien précis : «Piéger Julian Assange [et] les autres membres du personnel de WikiLeaks».
Toujours selon Stundin, constatant que les actions du FBI en Islande avaient rapidement dépassé le champ d'application de l'accord de coopération, la diplomatie du pays a demandé à la partie américaine d'arrêter le travail du FBI en Islande et de quitter le pays. «Ils l'ont fait, mais sont partis avec le nouvel informateur et "témoin vedette", Sigurdur Ingi Thordarson, qui s'est envolé avec eux pour le Danemark», relate le journal islandais.
Stundin rapporte enfin qu'en 2019, le département de la Justice des Etats-Unis aurait décidé de donner à Sigurdur Thordarson «un statut formel de témoin dans les poursuites contre Julian Assange et de lui accorder l'immunité contre toute poursuite en retour». L'homme aurait continué de commettre des crimes et des délits, selon le journal islandais.
Suède, Royaume-Uni, Equateur, Islande... Les déplacements de Julian Assange l'ont tous exposé aux poursuites américaines depuis les révélations fracassantes de WikiLeaks sur les guerres d'Irak et d'Afghanistan montrant des crimes de guerre de l'armée des Etats-Unis. En effet, après avoir rendu possibles les fuites d'informations d'intérêt général les plus massives du XXIe siècle, le fondateur de WikiLeaks a traversé une décennie de calvaire juridique, rythmée par plusieurs affaires destinées à le diffamer. Consécutivement à un confinement de sept années à l'ambassade de l'Equateur à Londres où il était réfugié, il est détenu depuis plus de deux ans dans une prison britannique de haute sécurité.
A l'occasion de son 50e anniversaire le 3 juillet, plusieurs événements sont organisés en soutien au journaliste emprisonné. Pour rappel, à l'issue du procès sur son extradition, la justice britannique a pour l'heure décidé de s'opposer à la demande américaine, en raison de l'état de santé d'Assange. En effet, dans sa décision finale, le parquet britannique a noté les risques de suicide en cas d'incarcération sur le sol américain, où il encourt jusqu'à 175 ans de prison. La justice britannique doit maintenant statuer sur l'appel interjeté par les Etats-Unis contre le refus d'extradition.
Fabien Rives