Evasion de Carlos Ghosn : deux Américains reconnaissent leur implication
- Avec AFP
Un ancien membre des forces spéciales américaines et son fils, accusés par la justice japonaise d'avoir aidé l'ancien patron de Renault-Nissan Carlos Ghosn à gagner clandestinement le Liban, ont plaidé coupables ce 14 juin.
Le procès de Michael Taylor et son fils Peter, accusés d'avoir participé à l'exfiltration de Carlos Ghosn du Japon fin 2019, s'est ouvert ce 14 juin à Tokyo. Les deux Américains ont d'emblée reconnu les faits.
Michael Taylor, 60 ans, ancien membre des forces spéciales américaines reconverti dans la sécurité privée, et son fils Peter Taylor, 28 ans, ont été arrêtés en mai 2020 aux Etats-Unis, en vertu de mandats d'arrêt émis par Tokyo, avant d'être extradés au Japon en mars dernier en vue d'y être jugés, ayant épuisé tous les recours possibles aux Etats-Unis. Ils encourent jusqu'à trois ans de prison.
Extradés au Japon en mars dernier, les deux Américains sont détenus dans la prison de Tokyo où a séjourné Carlos Ghosn avant son évasion. Les avocats américains des Taylor ont mené une bataille de plusieurs mois pour empêcher leur extradition vers le Japon, en faisant valoir que les deux hommes risquaient de subir des interrogatoires sans fin et d'être victimes de mauvais traitements.
Plus de 1,3 million de dollars pour aider à l'extradition
Carlos Ghosn, patron déchu de Renault-Nissan en liberté sous caution dans l'attente de son procès pour malversations financières présumées, avec une interdiction de quitter le Japon, s'était enfui du pays vers le Liban en décembre 2019. Les deux hommes qui l'accompagnaient dans sa fuite rocambolesque ont été identifiés à partir d'images de surveillance : Michael Taylor et George-Antoine Zayek, un homme d'origine libanaise qui reste introuvable.
Les trois hommes ont rejoint le 29 décembre un hôtel près de l'aéroport international du Kansai, près d'Osaka. Le Franco-libano-brésilien avait quitté son domicile à Tokyo en prenant le train à grande vitesse japonais portant bonnet, masque et lunettes pour éviter d'être reconnu. Les enquêteurs pensent que Carlos Ghosn s'était alors glissé dans un gros caisson de matériel audio, percé de petits trous pour lui permettre de respirer. Se faisant passer pour des musiciens, ses deux complices ont pu embarquer leurs bagages sans leur faire passer les contrôles de sécurité, comme c'était alors permis au Japon pour les jets privés. Les trois hommes se sont ainsi envolés vers Istanbul, d'où Ghosn a pris un autre avion privé pour le Liban, où il réside toujours.
Peter Taylor, présent à Tokyo juste avant la fuite et qui avait rencontré plusieurs fois Carlos Ghosn au Japon dans les mois précédents, a lui quitté le pays seul à bord d'un avion vers la Chine. Un document des procureurs américains a parlé d'«une des fuites les plus effrontées et les mieux orchestrées de l'histoire récente».
Protéger ceux qui ont pris le risque
Ghosn fait aussi l'objet d'un mandat d'arrêt du Japon avec une demande d'arrestation par Interpol, mais reste hors d'atteinte au Liban, qui n'extrade pas ses ressortissants. Celui qui a déclaré n'avoir «pas fui la justice» mais «échappé à l'injustice» au Japon, est resté très discret sur les conditions de son exfiltration pour «protéger ceux qui ont pris le risque» de l'aider. Il assure n'avoir pas impliqué des membres de sa famille.
Cependant sa fille cadette, Maya, a apporté deux valises à Peter Taylor à Tokyo le 29 décembre. Et c'est Carole, l'épouse de Carlos Ghosn, qui aurait noué le premier contact avec Michael Taylor six mois avant la fuite, le rencontrant également au Liban à l'été 2019, selon les procureurs nippons. Ghosn aurait ensuite échangé avec Michael Taylor via un téléphone portable clandestin. Les Taylor ont reçu plus de 1,3 million de dollars du camp Ghosn, dont plus de 860 000 dollars pour payer les frais de l'opération, puis après son exfiltration environ 500 000 dollars en bitcoins pour payer leurs frais d'avocats, toujours selon les procureurs japonais.
En février, trois ressortissants turcs ont été condamnés par un tribunal d'Istanbul dans cette affaire, un responsable de la compagnie turque de location de jets privés MNG Jet et deux pilotes.
Plusieurs enquêtes contre Ghosn en France également
Par ailleurs, la fuite de Ghosn n'a pas empêché l'ouverture l'an dernier d'un procès pénal à Tokyo au sujet de rémunérations différées totalisant plusieurs dizaines de millions de dollars que le patron de Nissan était censé toucher à sa retraite, mais sans que cela ait été mentionné dans les rapports boursiers du groupe. Un ancien responsable juridique de Nissan, l'Américain Greg Kelly, arrêté le même jour que Ghosn en novembre 2018, se retrouve ainsi seul sur le banc des accusés, Nissan étant jugé en tant que personne morale.
Tout en étant engagé dans plusieurs contentieux au civil contre Nissan, Ghosn, qui clame son innocence sur toute la ligne, est aussi concerné par diverses enquêtes en France. Des juges d'instruction français l'ont récemment auditionné pendant plusieurs jours à Beyrouth. Mais Ghosn ne peut être mis en examen hors du territoire français.