Le Qatar est sous le feu de critiques d'organisations de défense des droits de l'Homme pour son traitement des travailleurs migrants. Beaucoup d'entre eux étant exploités et travaillant dans des conditions dangereuses sur les chantiers liés à la prochaine Coupe du monde 2022, selon ces organisations. De quoi alimenter une polémique mondiale.
Des instances internationales et des footballeurs – autres que français – ont commencé à prendre la parole et à s'offusquer de la tenue de ce prochain Mondial, à l'instar de l'Allemand du Real Madrid Toni Kroos. Celui-ci a dénoncé le 30 mars dans un podcast les conditions de travail et la répression de l'homosexualité au Qatar. «Beaucoup de travailleurs [...] travaillent sans pause, par des températures qui peuvent atteindre 50 degrés [...] ils souffrent parfois du manque de nourriture ou d'eau potable, ce qui est une folie par ces températures, ils n'ont pas de couverture médicale, et une certaine violence est exercée contre ces travailleurs, ce sont des points qui sont naturellement inacceptables», a-t-il notamment exposé.
Les équipes de Belgique, des Pays-Bas, de Norvège et d'Allemagne ont dernièrement fait des gestes de protestation lors de leurs matches qualificatifs respectifs du mois de mars, notamment en portant des tee-shirts avec des messages sur les droits de l'Homme. Aucune mention explicite du Qatar n'a été faite sur ces maillots, mais plusieurs joueurs ont expliqué oralement qu'ils visaient le pays hôte du prochain Mondial. Seize clubs professionnels de Norvège ont par ailleurs appelé au boycott.
La Fédération française de football et l'équipe de France : couvrez ce sein que je ne saurais voir ?
En France, le président de la Fédération Noël Le Graët, a déjà évacué toute hypothèse d'un boycott, déclarant notamment à l'AFP le 9 mars que l'équipe de France de football «ira au Qatar si elle se qualifie». Et parfois interrogés sur le sujet, les Bleus sont généralement gênés sur cette question, souhaitant pour l'instant l'éluder. Ils n'ont en outre pas suivi leurs voisins européens, n'arborant pas de message en faveur des droits de l'Homme lors des dernières rencontres. La dernière déclaration du défenseur Lucas Hernandez, au cours d'une conférence de presse le 25 mars, illustre certainement l'état d'esprit de ses coéquipiers : «Pour le Qatar, la Coupe du monde 2022, tout va être parfait. Je ne sais pas dans quelles conditions [les ouvriers] travaillent. Je ne veux pas entrer là-dedans. Ce n’est pas à moi de dire si c’est bien ou pas.» Loin du tacle contre le Qatar il s'agit donc d'abord de botter en touche.
Les politiques français tiraillés
La classe politique s'est emparée du sujet, en particulier après que le quotidien britannique The Guardian a révélé le 23 février que plus de 6 500 travailleurs migrants étaient morts sur les chantiers au Qatar, depuis l'attribution en 2010 du Mondial.
Jean-Luc Mélenchon a adressé un carton rouge au Qatar. Il a ainsi estimé le 1er avril sur RTL que les joueurs de l'équipe de France n'avaient «rien à foutre» au Qatar pour la Coupe du monde 2022, car «on ne peut pas jouer au foot sur les cadavres». «Oui, s'il y avait une bataille pour le boycott, moi j'y participerais, mais je n'ai pas beaucoup d'illusions. C'est une honte ce qui se fait là. 6 500 personnes sont mortes sur les chantiers. C'est affreux comment ils traitent les gens [...] on ne peut pas jouer au foot avec des violents bornés obscurantistes comme ceux qu'on a là.»
Dans la même lignée, le patron d'Europe Ecologie Les Verts, Julien Bayou, a lui aussi appelé le 31 mars à boycotter si l'on veut être «sérieux» dans «la lutte contre l'islam radical», le Qatar étant selon lui un pays «soupçonné de financement du terrorisme». Dans ce coup franc, il cible la majorité de La République en marche qui «accuse tout le monde d'être partisan de l'islamisme». «Mais quand il s'agit d'être cohérent [avec le] Qatar, accusé de financement du terrorisme notamment en Somalie, eh bien là vive le sport et vive le business. Ce n'est pas possible», s'offusque-t-il.
En 2019, le député de Génération.s, Régis Juanico, et le maire socialiste (PS) de Bourg-en-Bresse (Ain), Jean-François Debat avaient déjà co-signé une tribune demandant à ce que l’équipe de France de football n'aille pas au Qatar en 2022, tirant au but avec de multiples arguments : «On ne peut accepter que des matchs soient organisés dans des stades climatisés, à l’air libre, mais climatisés, pour ramener la température à 20°-25° environ [...] il est temps de refuser de cautionner, par la présence d’équipes majeures du football, des pratiques de quasi-esclavage connues de tous...»
Moins vindicatif, le candidat à la présidentielle et président de droite des Hauts-de-France Xavier Bertrand, s'est pour sa part refusé le 2 avril à appeler au boycott, préférant mener «un bras de fer» entre chefs d'Etat avec ce pays, notamment sur ce que la France «accepte» ou pas. «Et si on laissait le sport en dehors des enjeux de politique et de géopolitique ? Ca serait bien mieux quand même», a-t-il jugé sur France info. Un rôle d'arbitre qui évite de froisser les uns et les autres.
Pas forcément coéquipier en politique mais partageant une idée quasiment similaire, le député de La République en marche (LREM) Cédric Roussel fait partie de ceux qui sont aussi dubitatifs quant aux appels au boycott. Sur RMC le 31 mars, il a ainsi estimé qu'il aurait pu les entendre il y a quelques années après l'attribution du Mondial au pays. Néanmoins, pour lui, c'est désormais «trop tard» : «Les stades sont finis. Je pense qu'il faut passer à un autre mode d'action. Se servir de cette Coupe du monde pour rappeler que rien n'est au-dessus des droits de l'Homme, Certainement pas le sport, ni le soft power et ni les intérêts économiques.»
Le 8 mars 2021, 76 députés principalement des centristes de LREM, MoDem et Agir et Libertés et territoires, mais aussi des parlementaires de Les Républicains (LR) ont partagé ce fond de jeu dans une tribune. Eux non plus ne proposent pas le boycott mais préfèrent soumettre une critique au Qatar : «Sans en appeler au boycott qui a montré ses limites historiques, nous voulons rappeler que libéralisme et humanisme peuvent et doivent cohabiter dans nos démocraties et que les exigences éthiques qui s’imposent ici doivent s’imposer aussi à ceux qui veulent s’asseoir à notre table.»
B.G