Lors de ses vœux aux armées le 19 janvier dernier, sans surprise, Emmanuel Macron a annoncé un «ajustement» du dispositif français au Sahel. Entendez par là une réduction des effectifs militaires du pays qui comptent aujourd’hui près de 5 100 soldats, répartis principalement dans la région dite «des trois frontières» (Mali, Niger, Burkina Faso). Des effectifs que la France souhaite diminuer après huit ans d’engagement et avec l’espoir que la force Takuba, une unité composée en partie de soldats de forces spéciales européennes, monte en puissance afin de soulager l’effort militaire français.
Le chiffre exact de cette réduction d’effectifs devrait être annoncé officiellement à la mi-février lors du sommet du Tchad à N’Djaména qui réunira le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Il s’agira de décider de la suite à donner aux opérations militaires débutées en 2013 dans la région sous la présidence Hollande. C’est, pour Emmanuel Macron en tant que chef des armées françaises, un héritage piégé de son prédécesseur qu'il doit tenter de déminer.
Réorientation stratégique au sommet de Pau
Au début de son intervention en 2013, l'armée française a été acclamée par les habitants de villes dont elle venait d'expulser des groupes djihadistes, à la faveur d'une contre-offensive éclair dans la partie Nord du pays. Depuis lors, si les opérations très mobiles forment toujours le quotidien des troupes tricolores déployées dans le Sahel, l’opération Barkhane chargée de traquer les groupes terroristes ne reçoit plus guère d'applaudissements. Elle suscite même de plus en plus de rejet chez certains Maliens qui n’hésitent pas à la décrire comme une armée d’occupation. L’état-major français et l’Elysée peinent désormais à trouver une porte de sortie à un engagement déjà plus long que celui du contingent français lors de la guerre d’Algérie.
L’action de la France a eu des résultats, puisqu’on a empêché l’installation d’un pseudo-califat islamique sur place
Lors du sommet de Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 13 janvier 2020, la France avait lancé un plan ambitieux pour tenter de changer la donne stratégique et amorcer un début de désengagement. Le plan reposait sur quelques axes majeurs : l’européanisation des forces avec la création de la force européenne Takuba ; l’endogénéisation du conflit avec le renforcement du G5 Sahel dont la France espère que les pays qui le composent pourront prendre à plus long terme son relais militairement dans la région ; l’intensification de l’engagement contre les groupes terroristes dans la zone dite des «trois frontières» pour accentuer la pression sur l’ennemi ; l’augmentation de l’aide aux populations locales afin de maintenir ou d’obtenir leur soutien. Pour appuyer cette réorientation stratégique, la France avait décidé l’envoi d’un renfort provisoire de 600 soldats.
Malgré certains succès au cours de l’année 2020 marquée par des opérations majeures réussies, il est difficile de dire que la région est plus stable et que l’année qui vient permettra d’ouvrir la voie à un désengagement massif. Si, à la fin du mois de novembre, les annonces d’opérations réussies avaient redonné un peu d’optimisme au ministère de la Défense, la dernière série d’attaques autour de la Saint-Sylvestre, qui ont coûté la vie à cinq soldats français et blessés une dizaine d’entre eux, ternissent nettement le bilan un an après le sommet de Pau. D’autant plus qu’un rapport de l’ONU de décembre 2020 met en exergue que sur les trois derniers mois, selon Antonio Guterres, «la situation en matière de sécurité a continué de se détériorer [...] en particulier dans le Centre». «Dans le Nord, les groupes extrémistes violents sont restés actifs», ajoute encore le secrétaire général de l’ONU. Un autre rapport, cette fois du HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, fait état de plus de 2 millions de déplacés dans la région du Sahel «qui est causé par les violences généralisées et brutales perpétrées par des groupes armés et criminels.»
En France, les voix se font actuellement de plus en plus nombreuses pour demander un moindre engagement de la France au Sahel, cela même au sein de la majorité présidentielle. Ainsi le député Thomas Gassilloud a récemment exprimé, dans une tribune pour Le Figaro, son souhait de voir la France prendre de la distance avec ce conflit : «L’action de la France a eu des résultats, puisqu’on a empêché l’installation d’un pseudo-califat islamique sur place. On a permis aux armées locales – qu’elles soient nationales ou du G5 Sahel – de se former, de prendre davantage confiance en elles. Mais aujourd’hui, sans doute, on a besoin de tourner une nouvelle page dans notre engagement sur place, une page où les armées locales seraient mises peut-être davantage en première ligne et où la France serait davantage en soutien». Prendre de la distance et être une force de soutien étaient justement les objectifs de la France affichés au sommet de Pau. A ces objectifs devait répondre la force Takuba, qui peine toujours à recruter au sein des partenaires européens.
La force Takuba, symbole d’une impuissance européenne ?
Or, depuis un an, la force Takuba peine à prendre son envol malgré les dires de la ministre Florence Parly, qui affirmait sur Twitter lors de sa création qu’«avec Takuba, les Européens montrent leur capacité à se mobiliser ensemble pour leur sécurité.»
Cette force, qui doit réunir des forces spéciales de plusieurs pays européens, reste encore à l’état d’embryon militaire, preuve justement de la difficulté du continent à se rassembler et à s’engager militairement autour d’enjeux sécuritaires. Même s’il faut rappeler que, dès le départ, Barkhane a reçu un soutien international avec la présence, entre autres, de Danois, de Hollandais ainsi que le soutien logistique des Britanniques qui fournissaient des hélicoptères lourds. L’ONU est également présente avec une force de 12 000 Casques bleus, la Minusma, et l’armée américaine en appui pour le transport et le renseignement aérien.
L'Europe ne fait pas grand-chose
Avec Takuba, l’objectif français était de redymaniser cette coopération pour créer plusieurs task forces, moitié françaises et moitié européennes, de forces spéciales en soutien des forces conventionnelles. Ces soldats pourront être accompagnés de combattants des armées africaines afin de les aider à monter en puissance. Pourtant difficile de voir, depuis lors, dans cette force un exemple de véritable mobilisation européenne au niveau sécuritaire. Difficile également d'imaginer que cette force puisse, dans sa dimension actuelle, changer la donne stratégique sur le terrain. Les candidats ne se sont en réalité pas bousculés pour seconder les efforts nationaux : «L'Europe ne fait pas grand-chose», déclarait en ce sens Alain Corvez, conseiller en stratégie internationale, interrogé par RT France au printemps dernier. Ils sont en effet qu’une poignée de pays pour l’instant à participer à la force : l'Estonie, la République tchèque et la Suède qui possède la force la plus importante, composée de seulement 150 hommes... La Norvège a reculé en raison de l’hostilité de son Parlement à cet engagement. Aucun des grands pays de l’UE, comme l’Allemagne par exemple, n’en font partie, même si la ministre Florence Parly espère encore parvenir à les faire participer, comme elle l’a déclaré devant l’Assemblée nationale le 12 janvier : «Nous sommes en discussion avec les Allemands et les Portugais pour finaliser les conditions de leur déploiement avant la fin de l’année.»
Pour Peer de Jong, expert de l'Afrique et ancien aide de camp de François Mitterrand et de Jacques Chirac, interrogé par RT France, «les préoccupations du Sahel intéressent assez peu les Européens.» Il ajoute ensuite : «Ce n’est pas parce que vous mettez 15 Estoniens et 18 Portugais que cela va changer grand-chose.» Pour cet ancien officier, «il faut repenser les modalités de l’action» et «forcer les Sahéliens à s’engager davantage», mais il rappelle que la grande faiblesse de leurs armées représente un problème majeur dans cette perspective. Nul doute qu’Emmanuel Macron, dont la campagne de réélection approche à grands pas, souhaite obtenir des résultats rapides sur cette question. Dans ce contexte, il y a fort à penser qu'il invitera les chefs d’Etats du G5 Sahel à s’investir davantage : la solution, en effet, viendra plus vraisemblablement des acteurs locaux et de leurs capacités à s’entendre pour renforcer leurs moyens communs, plutôt que de l’Europe et de ses quelques dizaines d’hommes supplémentaires. Le prochain sommet du Tchad, en d'autres termes, sera l'opportunité pour la France d’insuffler un nouvel élan à tous les acteurs de la région.
Benjamin Fayet