Ce 29 octobre, le parti travailliste britannique a suspendu celui qui fut son chef entre 2015 et 2020, Jeremy Corbyn. La raison ? La contestation par ce dernier des conclusions d'un rapport portant sur des agissements au sein du parti à l'époque où il le présidait. En particulier, le député travailliste, tenant d'une aile gauche qui ne lui vaut pas que des alliés au sein même de son parti, se voyait reprocher son «manque de volonté de s'attaquer à l'antisémitisme» en interne. Une accusation dont il se défend mais qu'il traîne depuis de nombreux mois.
Pour Corbyn, le problème a été «exagéré»
Après avoir vivement dénoncé l'antisémitisme et souligné sa détermination à «éliminer toute forme de racisme», Jeremy Corbyn avait réagi le 29 octobre sur Facebook, à la publication du rapport : «Un antisémite est toujours un de trop, mais l'ampleur du problème [d'antisémitisme au sein du parti travailliste] a aussi été radicalement exagérée pour des raisons politiques par nos opposants dans et en dehors du parti, ainsi que par une grande partie des médias.»
Une analyse qui ne cadre guère avec celle de l'actuel dirigeant du parti, Keir Starmer, qui avait évoqué un rapport «dur à lire» et «un jour de honte pour le parti travailliste». «Plus jamais le Labour ne vous laissera tomber, plus jamais nous n'échouerons à nous attaquer à l'antisémitisme et plus jamais nous ne perdrons votre confiance», avait promis à la communauté juive celui qui a succédé en avril à Jeremy Corbyn.
La sanction est donc tombée. «Au vu de ses commentaires aujourd'hui et de leur non-retrait par la suite, le Parti travailliste a suspendu Jeremy Corbyn en attente d'une enquête», a fait savoir le parti dans un communiqué de presse. Concrètement, Jeremy Corbyn ne pourra plus prendre part aux votes de la chambre basse du Parlement britannique en tant que député travailliste.
«J'ai dit très clairement que ceux qui nient qu'il y a un problème d'antisémitisme au Parti travailliste se trompent», a-t-il réagi sur Twitter, contestant fermement «l'intervention politique» ayant mené, selon lui, à sa suspension.
«Actes illicites» et absence d'enquêtes, selon le rapport
Dans son texte de 130 pages, le Comité pour l'égalité et les droits humains (EHRC), un organisme mandaté par le parlement pour lutter contre les discriminations, relevait des «actes illicites» commis par le Labour sous Corbyn et obligeait le parti à un plan d'action pour remédier à la situation, sous peine d'éventuelles poursuites. En particulier, le texte relevait un «nombre significatif» de plaintes pour antisémitisme, notamment sur les réseaux sociaux, n'ayant «pas du tout fait l'objet d'une enquête».
Dans un communiqué commun cité par l'AFP, plusieurs organisations juives ont fait état d'un «verdict accablant sur ce que le Labour a fait aux juifs sous Jeremy Corbyn et ses alliés».
«Nous avons découvert des exemples de harcèlement, de discrimination et d'interférences politiques» durant l'enquête et la rédaction du rapport, soulignait par ailleurs le comité.
Le nouveau chef du parti dément toute «purge»
Plus centriste et europhile que son prédécesseur, Keir Starmer, arrivé à la tête du Parti travailliste il y a 6 mois, a assuré sur la chaîne Sky News ne pas vouloir «purger» la formation politique de qui que ce soit.
«Je ne veux pas de scission au sein du Labour. Je me suis présenté à sa tête en partant du principe que j'allais unir ce parti, mais aussi m'attaquer à l'antisémitisme», a-t-il souligné, précisant ne pas vouloir de «guerre civile» au sein de la formation travailliste. Comme le rappelle l'AFP, Keir Starmer s'attache pourtant à «solder l'héritage de Jeremy Corbyn».
Si le parti travailliste a fait l’objet d’une enquête, c’est que Jeremy Corbyn fait l'objet d'accusations d'antisémitisme depuis des mois, des allégations très médiatisées outre-Manche, qui ont suscité des incidents à répétition et des démissions au sein de la formation.
En mars, en mai, puis en août 2018, Jeremy Corbyn avait été mis en cause pour antisémitisme à plusieurs reprises, alternant entre excuses et rebuffades. Le leader des travaillistes britanniques s'était par exemple vu reprocher sa présence à une cérémonie supposée rendre hommage au commando terroriste palestinien «Septembre noir» à Tunis, en 2014.
Parmi les dizaines d'autres accusations qui accablent Jeremy Corbyn se trouve celle de sa «proximité» supposée avec les mouvements du Hezbollah libanais, des Frères musulmans égyptiens et du Hamas palestinien, ou encore le refus par le Parti travailliste d'adopter certains éléments de la définition de l'antisémitisme élaborée par l'Alliance internationale pour le souvenir de l'Holocauste (IHRA).
Jeremy Corbyn n'a cependant jamais fui le débat et a plusieurs fois tenté de prendre le problème à bras-le-corps. Le 5 août 2018, il avait publié une vidéo dans laquelle il rejetait explicitement tout antisémitisme de sa part ou de la part du Labour, invitant les antisémites à quitter son parti car ils n'y avaient selon lui pas leur place.
Le parti s'était alors séparé d'une centaine de ses militants et avait même poussé à la porte l'ancien maire de Londres, Ken Livingstone. Même le réalisateur Ken Loach, lui aussi sous le feu d'accusations d'antisémitisme, avait été écarté de la formation politique.