Human Right Watch (HRW) semble changer son fusil d'épaule. L'ONG, qui s'était montrée jusque-là complaisante avec le coup d'Etat opéré en Bolivie en novembre 2019, dénonce ce 11 septembre la persécution politico-judiciaire dont est victime l'ancien président du pays Evo Morales dans un rapport intitulé «La justice comme arme de persécution politique en Bolivie».
«Le gouvernement intérimaire de la Bolivie abuse du système judiciaire pour persécuter les associés et les partisans de l'ancien président Evo Morales, qui fait lui-même face à des accusations de terrorisme qui semblent politiquement motivées», peut-on notamment lire dans ce rapport.
L'étude documente de nombreux cas d'accusations «sans fondement ou disproportionnées», de violations des procédures, d'atteinte à la liberté d'expression et de recours excessif et arbitraire à la détention provisoire. «Il est crucial que les responsables de la justice agissent de manière indépendante et respectent les droits fondamentaux, et non pas qu’ils servent d’outil pour persécuter les opposants politiques de l’administration au pouvoir», a notamment déclaré José Miguel Vivanco, directeur des Amériques à Human Rights Watch.
Totalement disproportionnée
L'étude révèle ainsi que les procureurs ont accusé certaines personnes de terrorisme «simplement pour avoir eu des contacts téléphoniques avec Morales» ou pour avoir «exercé leur liberté d'expression en critiquant le gouvernement en ligne». Les accusations de terrorisme visant l'ancien président lui-même «semblent» également «politiquement motivées», selon l'organisation. Ces accusations portent sur un appel téléphonique passé par Evo Morales en novembre 2019, soit quelques jours après qu'il eut quitté la Bolivie, dans lequel il a exhorté un partisan à «combattre» le gouvernement intérimaire, explique HRW, qui ajoute que la peine de 20 ans de prison requise contre lui est «totalement disproportionnée».
HRW reconnaît qu'Evo Morales «a été contraint» de démissionner
L'organisation reconnaît même désormais qu'Evo Morales «a été contraint» de démissionner en novembre 2019 et a fui le pays au milieu de manifestations déclenchées par «des allégations de fraude électorale – désormais contestées – et après que les commandants des forces armées et de la police lui ont demandé de démissionner». Or, il est à noter qu'en novembre 2019, au lendemain du coup d'Etat, HRW s'était empressée de publier un communiqué dans lequel l'ONG citait un rapport de l'Organisation des Etats d'Amérique (OEA) – alignée sur Washington – «détaillant une "manipulation claire" du système électoral lors de la présidentielle du 20 octobre 2019».
Les allégations de fraudes électorales visant Evo Morales ne sont plus seulement «contestées». Plusieurs études réalisées par des statisticiens de renommée internationale appartenant à des organismes prestigieux, tels que le MIT, ont démontré que les accusations de fraudes sont tout simplement sans fondement, basées sur des calculs plus que contestables et que «l'OEA a utilisé une méthode statistique inappropriée qui a artificiellement créé l'apparence d'une rupture dans la tendance de vote».
«Jeanine Añez a eu une occasion de rompre avec le passé»
HRW explique aujourd'hui que Jeanine Añez, sénatrice autoproclamée présidente par intérim, «a eu une chance de rompre avec le passé et d'assurer l'indépendance de la justice. Au lieu de cela, son gouvernement a publiquement fait pression sur les procureurs et les juges pour qu'ils servent ses intérêts».
Parallèlement, HRW dit avoir aussi trouvé des «preuves qu'Evo Morales avait utilisé le système judiciaire contre ses opposants durant ses treize années à la tête du pays». Tout un chapitre du rapport publié ce 11 septembre entend démontrer comment les réformes d’Evo Morales ont miné l’indépendance judiciaire. L'organisation affirme que l'administration Morales a «affaibli l'indépendance du pouvoir judiciaire, créant un contexte qui a permis à l'administration Morales d'alors, et à l'administration Añez aujourd'hui, de détourner le système judiciaire à des fins politiques».
Au pouvoir en Bolivie de 2006 à 2019, Evo Morales, premier indigène élu président, a réformé le pays en profondeur. Issu du syndicalisme paysan, il mène durant 13 années une politique de nationalisation des matières premières qui permettra à son pays d'engranger des revenus de ses ressources. La croissance bolivienne atteint ainsi 6,5% en 2013, un record historique, alors que le PIB est multiplié par trois. Quant au niveau de vie, il est multiplié par deux, passant de 1020 dollars en 2005 à 2590 dollars en 2013, selon les statistiques de la Banque mondiale. S'appuyant sur ces résultats économiques, Evo Morales a mené une politique sociale ambitieuse qui a permis à des millions de Boliviens de sortir de l'extrême pauvreté et de l'analphabétisme. Souhaitant promouvoir un «socialisme du XXIe siècle», il s'est rapproché de Lula, de Rafael Correa et de Hugo Chavez. Des dirigeants déterminés comme lui à résister à l'impérialisme étatsunien – inspiré de la doctrine Monroe – en Amérique latine.
Meriem Laribi