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L'affaire Navalny et sa rapide récupération par les détracteurs de Nord Stream 2

La thèse de l'empoisonnement de l'opposant russe Alexeï Navalny, que les capitales occidentales imputent à Moscou, est récupérée par certains pour exiger de Berlin l'arrêt du projet gazier russo-allemand Nord Stream 2.

L'affaire Navalny serait-elle instrumentalisée à des fins géopolitiques ? La question se pose dans le contexte des récentes pressions exercées sur Berlin dans le cadre du dossier Nord Stream 2, un projet de gazoduc reliant la Russie à l'Allemagne via la mer Baltique.

En effet, en dépit de conclusions pour l'heure contradictoires – selon qu'elles proviennent de Russie ou d'Allemagne – sur les causes du malaise qui a conduit à l'hospitalisation dans un état grave de l'opposant russe Alexeï Navalny, de nombreuses voix se sont déjà élevées pour demander à Angela Merkel d'annuler le projet gazier russo-allemand, en invoquant l'empoisonnement présumé du ressortissant russe.

Cette tentative de meurtre ouverte à travers les structures mafieuses du Kremlin [...] doit avoir de réelles conséquences

«Angela Merkel est soumise à une pression intérieure croissante pour qu'elle cesse de soutenir le projet de gazoduc Nord Stream 2 entre l'Allemagne et la Russie en raison de l'empoisonnement confirmé du chef de file de l'opposition russe Alexeï Navalny», peut-on lire dans un article publié le 3 septembre sur le site du Guardian. Et le journal britannique de revenir sur les récent appels en ce sens outre-Rhin, émanant notamment du parti des Verts, qui a demandé à la chancelière d'utiliser le projet d'infrastructure presque achevé pour faire pression sur Moscou. «Cette tentative de meurtre ouverte à travers les structures mafieuses du Kremlin ne doit pas seulement nous inquiéter, mais doit avoir de réelles conséquences», a par exemple déclaré Katrin Göring-Eckardt, la co-présidente des Verts au Bundestag. «Nord Stream 2 n'est plus quelque chose que nous pouvons poursuivre conjointement avec la Russie», a-t-elle encore affirmé.

De tels appels ont également été repris au sein de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne, le parti d'Angela Merkel, plus connu sous l'acronyme CDU.

L'UE devrait décider conjointement d'arrêter Nord Stream 2

Norbert Röttgen, président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag et candidat à la direction de la CDU, a déclaré le 2 septembre que la réalisation du projet gazier russo-allemand reviendrait à «encourager la politique inhumaine et méprisante [de Poutine]», toujours selon le Guardian.

«Après l'empoisonnement de Navalny, nous avons besoin d'une réponse européenne forte, que Poutine comprenne [...] L'UE devrait décider conjointement d'arrêter Nord Stream 2», a-t-il encore estimé.

[Bruxelles] se réserve le droit de prendre les mesures appropriées, y compris par des mesures restrictives

Par ailleurs, appelant Moscou à coopérer dans le cadre d'une enquête internationale sur le cas Navalny, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a affirmé que le bloc des 27 nations n’excluait pas des sanctions contre la Russie. «[Bruxelles] se réserve le droit de prendre les mesures appropriées, y compris par des mesures restrictives», a en effet déclaré Josep Borrell dans un communiqué cité par Le Figaro.

Comme le relève le Guardian, un éditorialiste du tabloïd Bild a également appelé Angela Merkel, qui avait réitéré le 1er septembre son intention d'achever le projet d'infrastructure de plusieurs milliards d'euros, à y renoncer.

Arrêtez le gazoduc Nord Stream 2 pour responsabiliser les Russes

Outre-Atlantique aussi, certains ont saisi l'opportunité créée par l'affaire Navalny pour encourager Berlin à mettre fin à ses projets énergétiques avec Moscou. A l'image du sénateur républicain de l'Arkansas Tom Cotton. «Arrêtez le gazoduc Nord Stream 2 pour responsabiliser les Russes», a-t-il écrit en relayant un article de l'agence de presse Associated Press, selon lequel «l'Allemagne affirm[ait] que des tests effectués sur des échantillons prélevés sur [...] Alexeï Navalny [avaie]nt révélé la présence de l'agent neurotoxique de l'ère soviétique, le Novichok».

Tom Cotton, ardent défenseur de l'«option militaire» dans les relations internationales, comme le relevait Le Monde diplomatique dans un article du mois de janvier 2018, avait déjà participé, un mois plus tôt, à une initiative visant à menacer de «destruction financière» les gestionnaires d'un port allemand impliqué dans le projet Nord Stream 2. «Si vous continuez à livrer des marchandises, des services et à soutenir le projet Nord Stream 2, vous empêcherez la survie de votre entreprise», peut-on lire dans la lettre en question, datée du 5 août et signée par les sénateurs Tom Cotton, Ted Cruz et Ron Johnson.

Menaces auxquelles aurait récemment réagi Angela Merkel, selon la chaîne télévisée allemande MDR Fernsehen, citée le 1er septembre par Sputnik. «Le gouvernement allemand a l'intention d'achever la construction du gazoduc Nord Stream 2 malgré l'opposition américaine [...] Nous considérons également [les] sanctions extraterritoriales, c'est-à-dire celles qui dépassent le territoire des Etats-Unis, comme illégales», a alors déclaré la chancelière allemande.

En tout état de cause, Nord Stream 2 suscite une intense hostilité au sein de la classe politique américaine qui, de façon générale, voit d'un mauvais œil l'accroissement de partenariats de ce genre entre la Russie et l'Europe, potentiellement nuisibles au développement des approvisionnements énergétiques européens en provenance des Etats-Unis. De fait, les importations européennes de gaz naturel liquéfié (GNL) américain ont «bondi de 272 %» depuis juillet 2018, rapportait en mai 2019 Le Figaro Economie dans un article intitulé : «Les ventes de gaz américain à l’Europe progressent à grande vitesse».

L'état de santé d'Alexeï Navalny reste grave, mais continue de s'améliorer, d'après une communication réalisée le 2 septembre par l'hôpital berlinois de la Charité, où l'opposant est soigné. Le patient reste néanmoins sous assistance respiratoire, selon l'hôpital. Ce même jour, le gouvernement allemand a déclaré que les tests médicaux auxquels l'opposant russe Alexeï Navalny avait été soumis montraient qu'il avait été empoisonné à l'aide d'un agent neurotoxique de type «Novitchok». Des conclusions qui vont à l'encontre de celles des médecins russes de Moscou et Omsk (où Alexeï Navalny avait dans un premier temps été hospitalisé). Selon ces derniers, aucune trace d'empoisonnement n'a été découverte.

Fabien Rives