C'est une nouvelle qui devrait permettre de se rendre compte des conséquences sur les populations des sanctions imposées par Washington à plusieurs gouvernements à travers le monde.
En réalité, ces sanctions sont une sorte d'état de siège moderne, affectant surtout les citoyens du pays sanctionné
Sur proposition de la démocrate Tulsi Gabbard, la Chambre des représentants étasunienne a adopté, le 20 juillet, une disposition exigeant un rapport annuel sur l'impact humanitaire des sanctions américaines sur d'autres pays. Ce rapport devra être présenté au Congrès par l'administration. C'est ce qu'a annoncé l'initiatrice du projet d'amendement dans un communiqué de presse le 21 juillet sur son site. La disposition a été adoptée dans le cadre d'une série d'amendements à un projet de loi par un vote de 336 voix contre 71 et fait partie du National Defense Authorization Act (NDAA), du nom générique d'une série de lois votées annuellement par le Congrès des Etats-Unis.
Surprise, les députées démocrates très à gauche, Ilhan Omar et Alexandria Ocasio-Cortez, ont voté contre cette disposition.
Toujours selon le communiqué de Tulsi Gabbard, «l'amendement adopté exige que le président, le secrétaire d'Etat et le secrétaire au Trésor, le secrétaire au Commerce, l'administrateur de l'USAID et l'ambassadeur des Etats-Unis auprès des Nations Unies rendent compte au Congrès de l'impact humanitaire de toute nouvelle sanction globale existante ou proposée. L'Administration est également tenue de fournir un rapport annuel actualisé à cet égard.»
Une nouvelle formalité qui devrait donc à la fois contraindre les autorités étasuniennes de rendre des comptes précis et permettre aux oppositions d'y voir plus clair sur les politiques gouvernementales. Il n'y avait en effet jusqu'à présent aucune évaluation au sein du gouvernement américain pour déterminer l'impact des sanctions américaines sur la population des pays soumis à des sanctions globales. «Trop souvent, des sanctions américaines sont imposées à un autre pays dans le but de "punir" le dirigeant de ce pays sans tenir compte de l’impact réel de ces sanctions. En réalité, ces sanctions sont une sorte d'état de siège moderne, affectant surtout les citoyens du pays sanctionné, limitant leur approvisionnement en nourriture, eau, médicaments et fournitures de base dont ils ont besoin pour survivre, entraînant de graves maladies, souffrances et mort. Pendant ce temps, le chef du pays sanctionné n’est souvent pas affecté», a expliqué Tulsi Gabbard. «Il n’existe actuellement aucune évaluation ni responsabilité des dirigeants de notre pays sur les catastrophes humanitaires causées par ces sanctions», a-t-elle ajouté.
Les dizaines de millions de personnes qui n'auraient jamais rien fait contre les intérêts américains
«Il est plus que temps que le peuple et les décideurs américains disposent des informations de base sur l'impact de nos régimes de sanctions sur les dizaines de millions de personnes qui n'auraient jamais rien fait contre les intérêts américains», a réagit Erik Sperling, directeur exécutif de Just Foreign Policy, une organisation qui se dédie à la réforme de la politique étrangère américaine «en mobilisant et en organisant la grande majorité d'Américains qui veulent une politique étrangère basée sur la diplomatie, le droit et la coopération».
Cuba, Venezuela, Iran, Soudan, Irak
Du Venezuela à l'Iran en passant par la Syrie et les embargos interminables sur Cuba, le Soudan ou l'Irak, les Etats-Unis appliquent depuis des décennies des sanctions politiques et économiques, censés déstabiliser des gouvernements auxquels ils sont opposés. Tout en prétendant défendre les populations de ces pays contre leurs «tyrans», Washington ne fait pas dans la dentelle et impose ces punitions globales qui touchent, particulièrement les populations les plus démunies de ces pays, tout en parvenant rarement à faire tomber leurs dirigeants. «L’amendement de Tulsi Gabbard aide à corriger ce manque béant de responsabilité concernant l’utilisation des sanctions et contribuera à sensibiliser le public aux effets meurtriers et souvent contre-productifs des sanctions», juge Alexander Main, directeur de la politique internationale au Centre de recherche économique et politique (Cepr).
Parmi les dernières sanctions annoncées par les Etats-Unis, le renforcement de celles infligées à la Syrie de Bachar el-Assad avec l'entrée en vigueur, le 17 juin de la loi «César», qui prévoit de nouveaux efforts, de la part des Etats-Unis, pour priver le gouvernement syrien de ressources. Ce texte implique, notamment, le gel de l'aide à la reconstruction de ce pays meurtri, des sanctions contre le gouvernement syrien et contre des entreprises travaillant avec celui-ci, tant que les responsables supposés «de la mort d’innombrables civils et de nombreuses atrocités» n'auront pas été traduits en justice. Cette loi vise aussi des entités russes et iraniennes qui travaillent avec les autorités syriennes.
Quant à Cuba, c'est depuis 1962 que l'île socialiste est sous un embargo permanent. «Le système de sanctions unilatérales le plus injuste, lourd et prolongé ayant été mis en œuvre contre un pays», avait résumé Bruno Rodriguez, le ministre cubain des Affaires étrangères. Dans la pratique, ce blocus signifie qu'à de très rares exceptions près, toute transaction financière est interdite entre les deux pays, même de façon indirecte. Ainsi, tout produit comportant des éléments d'origine cubaine ne peut entrer aux Etats-Unis : un véritable casse-tête pour le commerce extérieur. Pour s'en sortir, l'île a misé sur d'autres ressources, notamment ses ressources humaines en matière de médecine.
Alors que son pays est également frappé par des sanctions économiques incessantes depuis l'accession du chavisme au pouvoir, Yvan Gil, vice-ministre vénézuélien pour l'Europe, restait optimiste dans un entretien accordé à RT France en novembre. Tout en détaillant les conséquences désastreuses des sanctions économiques sur le quotidien de ses compatriotes, il affirmait : «Le bon côté des sanctions est qu’elles nous ont permis de découvrir qu’un autre monde existe, et d’établir des relations avec ce monde qui respecte le droit international et la diplomatie [...] Il y a un monde au-delà des Etats-Unis et de l’Europe. Un monde très grand. Et nous bénéficions de l’appui de la Russie, de la Chine, de l’Afrique du Sud, de l’Inde. Nous avons rencontré dans ces pays des marchés et des articulations positives.»
Pas de trêve pendant la pandémie
Pendant la pandémie de coronavirus, Washington n'a pas fait preuve de clémence envers les pays sanctionnés économiquement. Bien au contraire. Fin mars, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme Michelle Bachelet a demandé, en vain, que les sanctions internationales frappant l'Iran et d'autres pays comme le Venezuela, Cuba, la Corée du Nord ou le Zimbabwe soient «assouplies ou suspendues» en cette «période cruciale» de pandémie de Covid-19. Selon Michelle Bachelet, ces sanctions économiques et commerciales «doivent être réévaluées de toute urgence dans les pays faisant face à la pandémie de coronavirus, en raison de leur incidence potentiellement négative sur le secteur de la santé et sur les droits de l'Homme».
Immorales et inhumaines
Le président russe Vladimir Poutine a également demandé un moratoire sur les sanctions et Moscou a proposé une résolution à l'Onu pour suspendre ces sanctions. Le 14 avril, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s'est également exprimé sur ce sujet. Evoquant les efforts américains destinés à bloquer les livraisons d'aide chinoise à Cuba, le chef de la diplomatie a dénoncé ces pratiques. «Les sanctions unilatérales sont illégitimes, et les sanctions qui empêchent de contrer la pandémie dans la situation actuelle, et qui ont été adoptées en contournant le Conseil de sécurité de l'ONU, sont absolument immorales et inhumaines. Il est important que le caractère inacceptable des sanctions unilatérales, en particulier des sanctions qui portent atteinte aux intérêts humanitaires des simples citoyens, soit entériné sous la forme d'un accord international», a fait savoir le chef de la diplomatie russe. Mais rien n'y a fait, la résolution proposée par la Russie a été rejetée à l'Onu, à cause du blocage de Washington et de ses alliés.
Dans les années 1990, plusieurs études ont été menées sur l'impact de l'embargo sur la population irakienne, en particulier pour déterminer les conséquences sur la santé des enfants. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) avait organisé une enquête en 1995, aboutissant à une évaluation de 567 000 décès d'enfants en raison des sanctions. Un chiffre qui avait fait bondir l'opinion publique internationale. Interrogée sur CBS en 1996 sur ce coût humain de l'embargo, Madeleine Albright, secrétaire d'Etat américaine, avait formulé une réponse qui avait choqué : «Nous pensons que le prix en valait la peine.»
Meriem Laribi