George Floyd, cet homme afro-américain originaire de Houston est mort le 25 mai, le visage plaqué au sol, après quelques minutes de compression du cou par le policier Derek Chauvin. Longues minutes durant lesquelles il a supplié qu'on lui permette de respirer. A mesure que les réseaux sociaux se couvrent de carrés noirs et d'hommages, les témoignages affluent à propos de cet homme, ses proches louant sa gentillesse de «doux géant» et sa bonhomie.
A 46 ans, cet agent de sécurité et chauffeur livreur habitait à Minneapolis. Juste avant la crise du Covid, George Floyd était employé depuis plusieurs années par Jovanni Thunstorm, le patron d'un bar latino dont il était devenu l'ami proche. Le tenancier a rendu un vibrant hommage à son salarié sur Facebook, plaidant pour que les quatre policiers soient arrêtés. Dans une interview sur le site américain KSTP, il concède qu'il avait «ses problèmes, comme tout le monde», mais évoque sa personnalité : «ll n'était pas du genre agressif, irrespectueux. C'était un type très calme, gentil.» Plusieurs membres du personnel ont honoré sa mémoire, évoqué la chance qu'ils avaient eu de travailler à ses côtés ou loué l'esprit pacifique de l'agent de sécurité.
George Floyd avait une petite amie depuis trois ans, Courteney Ross, serveuse dans un café de la ville. Emue aux larmes, elle a décrit à CNN «un ange sur terre». Elle a appelé au calme, expliquant que son compagnon aurait été «dévasté» de voir les émeutes.
Le quadragénaire était père de deux enfants et grand-père d'une petite fille.
George Floyd a vécu son enfance dans la cité d'un quartier pauvre de Houston, Third Ward, habité majoritairement par la communauté afro-américaine. Plus jeune, George Floyd était un étudiant doté d'un physique impressionnant qui lui a valu le sobriquet de Big Floyd. Athlète de haut niveau prometteur, il s'illustre au football américain dans l'équipe de son lycée. Adolescent, George Floyd est devenu très proche de l'ancien joueur de basket professionnel Stephen Jackson, star de la NBA, qui vivait dans le même quartier. Le sportif, qui n'avait jamais perdu contact avec George Floyd malgré leurs parcours très différents, se bat aujourd'hui pour sa mémoire et a publié de nombreuses photos et messages.
Pourquoi George Floyd n'a-t-il pas connu la même ascension que Stephen Jackson ? Le basketteur s'est livré sur Instagram : «il était talentueux dans deux sports, et la seule différence entre moi et ce frère est que j'ai eu davantage d'opportunités que lui.» Big Floyd avait obtenu une bourse pour faire partie de l'équipe de basket d'une université de Floride, mais n'a pas persévéré. Il a aussi tenté d'intégrer une équipe au Texas, mais a abandonné. De retour à Houston, Big Floyd s'est essayé au hip-hop, sans grand succès.
Une part d'ombre et de lumière
Mais le géant avait aussi sa part sombre, ses sorties de route. Après les années basket et rap, ses aventures n'ont cessé de dégénérer. Il est arrêté pour vol et possession de drogue. En 2009, il est condamné pour cambriolage, et a écopé de cinq ans de prison.
Mais en 2014, à sa sortie de prison, Big Floyd s'est réinventé, s'est mis en couple. Une de ses filles voit le jour. L'homme s'investit alors énergiquement dans la religion. L'église de la Résurrection à Houston évoque un chrétien très pieux, tout comme sa famille, décidé à mobiliser les jeunes du quartier. Une photo le montre tenant une Bible à son nom. Une vidéo circule dans laquelle, de son accent à couper au couteau, le géant incite les jeunes à ne pas utiliser les armes et à «rentrer à la maison». Selon le pasteur de l'église, George Floyd était une force de paix. Il avait une bonne influence sur les jeunes du quartier, dont il avait réussi à éveiller l'intérêt pour les évangiles. «Il a ouvert des portes que je n'avais jamais réussi à ouvrir», a expliqué l'homme d'église dans son hommage. Big Floyd avait suivi un programme chrétien qui l'avait aidé à trouver un emploi à Minneapolis. A ce moment-là, il travaillait régulièrement dans la sécurité, tout en projetant dans les derniers mois de sa vie de revenir à Houston. Il n'en aura pas eu le temps.
Les deux autopsies réalisées sur son cadavre ont aussi révélé la présence de méthamphétamine et de fentanyl dans son sang, le même opiacé, parfois utilisé comme antalgique, qui a fait succomber le chanteur Prince. Ces deux produits peuvent être prescrits médicalement ou achetés illégalement. A ce stade, on ignore pourquoi George Floyd en consommait.
Une tragédie pour un faux billet de 20 dollars
Le jour de la tragédie, comme l'attestent des témoins et des vidéos assemblées par le New-York Times, George Floyd est allé acheter des cigarettes au magasin Cup Foods, qu'il aurait payées grâce à un faux billet de 20 dollars, puis est retourné s'asseoir dans un véhicule 4x4 sur le trottoir d'en face. Après quelques minutes, deux employés du magasin sont venus à sa rencontre, affirmant que le billet était faux, et ont exigé qu'il leur restitue le paquet. Face au refus de George Floyd, ils ont appelé la police, expliquant l'incident et ajoutant que l'homme était très ivre et erratique.
Deux policiers sont alors intervenus et lui ont passé les menottes. George Floyd n'a opposé aucune résistance, ni au moment où il fut assis par terre, ni au moment où il fut conduit vers la voiture de police. En revanche, il s'est débattu lorsque les deux agents ont tenté de le faire entrer dans le véhicule, arguant qu'il était claustrophobe. C'est alors que sont arrivés en renfort deux autres policiers, dont l'agent Derek Chauvin, 44 ans. Trois d'entre eux l'ont plaqué au sol et apposé leurs genoux sur différentes parties de son corps. Les supplications, ses difficultés pour respirer, le filet de sang s'écoulant de sa bouche puis sa perte de connaissance n'auront pas eu raison de l'obstination de Derek Chauvin à garder son genou appuyé sur le cou d'un George Floyd immobile et menotté, malgré l'indignation des passants.
Deux hommes employés dans la même boîte de nuit
Par une coïncidence extraordinaire, ces deux hommes ont travaillé en même temps dans la même boîte de nuit de Minneapolis, «El Nuevo Rodeo», employés par Maya Santamaria. Selon la directrice, il est peu probable que les deux hommes s'y soient connus car ils travaillaient rarement les mêmes jours et pas dans la même zone du club. Si Maya Santamaria ne tarit pas d'éloges sur George Floyd, elle se révèle plus circonspecte au sujet de Derek Chauvin qui a travaillé 17 ans pour la boîte de nuit. Selon elle, il avait la bombe lacrymogène facile sur le public afro-américain, et appelait la police à la moindre bagarre. Elle confie lui avoir reproché à de nombreuses reprises son comportement, expliquant qu'il «perdait son self-contrôle».
Derek Chauvin, employé à la police de Minneapolis depuis 2001 a successivement servi dans plusieurs emplois des différents secteurs de la ville. Outre ses activités dans la boîte de nuit latino, il s'est aussi essayé à l'immobilier fin 2018 et début 2019, en sus de ses activités de policier. Sa femme d'origine laotienne, qu'il a rencontrée à l'hôpital où il amenait un suspect, l'a décrit comme «tendre sous de l'uniforme». Dans une interview de 2018 au sujet d'un concours de beauté, elle évoque un homme galant «qui coche toutes les cases», qui lui «ouvre les portes», et place son manteau sur ses épaules. Mais depuis la tragédie, elle a désavoué le geste de son mari, s'est déclarée solidaire de la famille de George Floyd, et demandé le divorce dans la foulée – informations communiquées publiquement par son avocat.
Visé par 17 plaintes
Aujourd'hui, les états de service de Derek Chauvin font surgir une polémique supplémentaire. Si deux médailles, en 2008 et 2010, ont récompensé son travail, il a également été, au cours de sa carrière de 19 ans auprès de la police, visé par 17 plaintes. Son dossier disciplinaire publié par la police du Minnesota en atteste. Certaines plaintes font état d'un ton humiliant, de commentaires méprisants et de langage inapproprié. Pour celles-ci, le policier n'a fait l'objet que de lettres et de réprimandes orales.
Alors que le scandale de la mort de George Floyd s'est répandu dans le monde entier, les personnes qui ont eu maille à partir avec Derek Chauvin, ou ont perdu un proche lors d'une de ses interventions policières se manifestent. Ainsi, le jeune Kristofer Bergh, 24 ans s'est confié à Buzzfeedsur sa mésaventure avec Derek Chauvin en 2013.
Rentrant d'un tournoi entre étudiants joué avec des pistolets fantaisie tirant des fléchettes en mousse, un adolescent en voiture avait décoché une munition du jeu depuis le véhicule. Kristofer Bergh était à ses côtés. Les jeunes ne savaient pas qu'ils étaient suivis par les forces de l'ordre. Alors qu'il descendait de la voiture, Kristofer Bergh s'est fait mettre en joue par Derek Chauvin.
Les policiers venus confronter les adolescents ont fini par constater qu'il ne s'agissait que d'un jeu d'enfants. Mais ils auraient agressé verbalement et humilié le jeune auteur du tir de fléchette en mousse dans la voiture de police. Choqué d'avoir été mis en joue pour une raison aussi insignifiante, Kristofer Bergh avait porté plainte, mais celle-ci a été classée. Le sergent avait toutefois adressé à l'adolescent une lettre d'excuses au sujet du comportement de ses hommes.
Des interventions qui dégénèrent
Il y a plus grave : un incident au cours duquel un homme a été gravement blessés par Derek Chauvin, et un second tué lors d'une de ses interventions.
En 2008 à Minneapolis, une femme avait appelé le commissariat pour se plaindre de violences conjugales. A l'arrivée de Derek Chauvin et d'un autre policier, son compagnon Ira Latrell Toles a couru se réfugier dans les toilettes, sans armes. S'en est suivie une bagarre entre les trois hommes. Le suspect a affirmé que les policiers ont fracassé la porte, et que Derek Chauvin l'a frappé à coups de crosse. Il aurait tenté de se défendre en se débattant à l'aveugle, alors que du sang lui coulait dans les yeux. Derek Chauvin, quant à lui, a argué qu'Ira Latrell Toles a tenté de le désarmer, et qu'en conséquence, il lui a tiré deux balles dans le ventre.
A la suite du drame de George Floyd, Ira Latrell Toles commentera l'affaire sur Facebook en écrivant : «Est-ce que j'ai l'air du type qui essaie de prendre l'arme d'un policier ? Si c'était le cas, ils n'auraient jamais abandonné les charges !» En effet, le contrevenant n'a pas été poursuivi pour ce geste, mais pour violences conjugales. Il a déclaré au site The Daily Beast à propos de Derek Chauvin : «Il a essayé de me tuer dans cette salle de bain».
Mais l'épisode le plus dramatique reste la confrontation en 2006 avec Wayne Reyes, un quadragénaire d'origine amérindienne, mort après avoir été criblé de plus de 40 balles par six agents. Derek Chauvin faisait partie de cette escouade.
Selon la version donnée par la police, rapportée ces derniers jours par de nombreux médias, les agents étaient à la recherche de cet homme après un appel de sa compagne expliquant qu'il l'avait poignardée. Alors qu'il lui était demandé de sortir de son véhicule pour être appréhendé, Wayne Reyes aurait mis en joue les policiers avec un fusil. Les trois agents l'auraient alors mitraillé comme lors d'une scène de guerre, alors même que l'homme n'était pas sorti du camion.
Le policier Derek Chauvin était l'un des policiers qui a assassiné mon père à Minneapolis en 2006
Les enfants de la victime, à la suite du décès de George Floyd, ont donné une toute autre version : le fils de Wayne Reyes a expliqué que son père s'est fait fusiller devant une pharmacie, dans laquelle il était parti chercher des pansements pour soigner sa petite amie, avec laquelle il entretenait une relation explosive, aggravée par les problèmes d'alcool. Selon lui, la fiancée de son père était mentalement instable, elle n'était que légèrement blessée à la cheville, sans que l'on sache qui avait porté les coups. L'homme abattu a-t-il vraiment dégainé une arme ? Selon les dires de sa fille au quotidien britannique The Telegraph, la famille n'a eu accès aux images de la vidéosurveillance que neuf mois après les faits. Le film avait été édité, et les images étaient trop floues pour distinguer la présence d'un fusil. Le père de famille n'était même pas sorti du véhicule quand les tirs l'ont atteint. Par ailleurs les policiers avaient supprimé le son. Selon les enfants, il était impossible d'exploiter cette vidéo en défaveur de leur père.
Mais à l'époque, un jury a décidé que la force employée par les policiers était proportionnée, et Derek Chauvin n'a été écarté que le temps de l'enquête. La famille n'a pu trouver un avocat pour les défendre. Après la mort de George Floyd, le fils de Wayne Reyes s'est ému sur Facebook : «Le policier Derek Chauvin était l'un des policiers qui a assassiné mon père à Minneapolis en 2006 !»
Actuellement, le policier est détenu dans une prison de haute sécurité dans le Minnesota, inculpé pour l'homicide involontaire de George Floyd. Il est «accusé de meurtre au troisième degré» et «d'acte cruel et dangereux ayant entraîné la mort». Derek Chauvin, qui incarne désormais le visage du racisme policier pour des millions de personnes à travers le monde, encourt jusqu'à 35 ans de prison. George Floyd sera enterré le 9 juin prochain alors que que des émeutes embrasent encore le pays pour protester contre les nombreuses bavures dont est victime la communauté noire.