Après trois semaines d’absence alimentant toutes les théories, le leader nord-coréen Kim Jong-un est réapparu sur une série de clichés publiée ce 2 mai par l’agence de presse nationale KCNA. Capturés le 1er mai, on peut y voir le dirigeant de la République populaire démocratique de Corée, tout sourire, inaugurant une usine d’engrais à Sunchon, ville située à une cinquantaine de kilomètres au nord de la capitale Pyongyang.
«Le dirigeant suprême Kim Jong-un coupe le ruban pour l'inauguration de l'usine d'engrais phosphatés de Sunchon», rapporte une dépêche de KCNA. La même source précise qu'il «a assisté à la cérémonie» en compagnie de sa sœur et première conseillère, Kim Yo-jong. Au cours de cette cérémonie, «tous les participants ont lancé des hourras» quand il est apparu. KCNA précise également que Kim Jong-un a été «informé sur le processus de production» au cours de sa visite de l’usine. Cependant, sur les différents clichés, aucun élément ne permet de confirmer la date à laquelle les photographies ont été prises.
Plusieurs fois annoncé mort
Alors, où était passé le leader nord-coréen ? Vu en public pour la dernière fois le 11 avril lors d’une réunion du Politburo qu’il présidait, Kim Jong-un ne s’était pas présenté aux festivités du 15 avril, événement politique pourtant majeur en Corée du Nord. En effet, le pays célèbre à cette date la naissance du fondateur de la République populaire démocratique de Corée, Kim Il-sung, par ailleurs grand-père de Kim Jong-un.
D’après KCNA, le dernier de la «lignée du Paektu» – en référence au mont sacré éponyme, point culminant de la péninsule de Corée – a rendu hommage à ses prédécesseurs : «Le dirigeant suprême a dit avec une profonde émotion que Kim Il-sung et Kim Jong-il [le père de Kim Jong-un], qui ont travaillé dur pour résoudre le problème de l'alimentation pour le peuple, seraient extrêmement satisfaits s'ils apprenaient que l'usine moderne d'engrais phosphatés a été bâtie.»
Le 12 avril, plusieurs médias nationaux avaient fait savoir que le leader nord-coréen se trouvait sur une base militaire afin d’y inspecter des avions de chasse, sans toutefois que des clichés ne soient rendus publics. Une dizaine de jours plus tard, le 21 avril, le Daily NK, site d’informations implanté en Corée du Sud et géré principalement par des Nord-Coréens ayant quitté le pays, assurait, citant des «sources non identifiées» en Corée du Nord, que Kim Jon-un (35 ans) était dans un état préoccupant, mettant en cause son tabagisme, son obésité et une période de surmenage. L'information avait alors été reprise par CNN le jour même.
Le 25 avril, le média TMZ, fondé en 2005 par AOL et Telepictures, allait même jusqu’à annoncer sa mort «après une intervention de chirurgie cardiaque bâclée». Dans son article, TMZ se référait à un rapport mis en ligne par «une femme» sur le réseau social chinois Weibo, dans lequel celle-ci mettait en lumière des «sources très solides du clan Kim», mais aussi à différents médias chinois et japonais qui s’appuyaient sur le témoignage d’un «médecin chinois au fait du dossier». Ce témoignage expliquait que le chirurgien ayant pratiqué la prétendue opération avait «les mains qui tremblaient». Le média détenu par Warner Bros écrivait alors : «Kim Jong-un a été rapporté mort, ou sur son lit de mort sans aucun espoir de guérison».
Le secret le mieux gardé du pays
Toutes ces spéculations avaient poussé les voisins sud-coréens à réagir par l’intermédiaire du conseiller spécial à la sécurité nationale du président Moon Jae-in. Le 26 avril, il avait confirmé que Kim Jong-un était «vivant et en bonne santé». D’après Moon Chung-in, il se trouvait dans une station balnéaire de l’Est de la Corée du Nord, à Wonsan. Le 28 avril, le ministre sud-coréen de l'Unification, Kim Yeon-chul, avait rejeté ces rumeurs en bloc, parlant de «fausses informations» et d’«infodémie». «Nous avons une capacité de renseignement qui nous permet de dire avec confiance qu'il n'y a pas de signe inhabituel», avait-il insisté lors d'une réunion de la commission parlementaire des affaires étrangères.
S’exprimant le même jour auprès de l’agence de presse TASS, le député de la Douma Kazbek Taysayev, par ailleurs en charge du groupe d’amitié entre les deux nations au Parlement, avait confié avoir «parlé avec [des employés de l'ambassade de Corée du Nord] aujourd’hui et être en contact avec eux tous les jours», déclarant que «Kim Jong-un avait envoyé un message de félicitations au président sud-africain, Cyril Ramaphosa».
Egalement interrogé sur l’état de santé du dirigeant nord-coréen, le président américain Donald Trump avait laissé entendre, le 27 avril, que Kim Jong-un était bien vivant. De nouveau interrogé le 2 mai après la publication des clichés, le 45e président des Etats-Unis a cette fois refusé de commenter.
La prudence des responsables politiques internationaux au sujet de l’état de santé de Kim Jong-un n’est pas surprenante. En 2011, après le décès de Kim Jong-il, il avait fallu deux jours avant que l’information ne filtre du cercle des officiels de Pyongyang. En 2014, Kim Jong-un avait également disparu des radars pour réapparaître six semaines plus tard, canne à la main. A l’époque, les services secrets sud-coréens avaient affirmé qu’il avait subi une opération bénigne à la cheville.
Autre sujet de spéculation : le coronavirus. Selon Pyongyang, aucun cas n’a été recensé dans le pays, qui a fermé ses frontières et mis en place des mesures drastiques contre la maladie. Selon Kim Yeon-chul, repris par l’agence sud-coréenne Yonhap, l’absence de Kim Jong-un à la cérémonie du 15 avril pourrait être liée à une volonté de ne pas favoriser la propagation du virus.
«Si les photos de la réapparition de Kim sont authentiques, la leçon à en tirer est que le monde devra écouter davantage le gouvernement sud-coréen et moins les sources anonymes et les rumeurs», a estimé pour sa part Leif-Eric Easley, professeur d'études internationales à l'université Ehwa de Séoul, cité par l’AFP.
Alexis Le Meur