Le 7 mars 2020, le Premier ministre libanais Hassan Diab a annoncé que le Liban ne paierait pas une dette arrivant à échéance dans deux jours, premier défaut de paiement de l'histoire du pays secoué par une profonde crise économique. «Nos réserves en devises ont atteint un niveau inquiétant [...] poussant le gouvernement à suspendre [le paiement d'une dette arrivant] à échéance le 9 mars», a déclaré le Premier ministre dans un discours retransmis par les chaînes locales. «C'est le seul moyen pour stopper l'hémorragie […] avec le lancement d'un vaste plan de réformes nécessaires, incluant une baisse des dépenses publiques», a-t-il ajouté.
92 milliards de dollars de dette
Pays endetté à hauteur de 92 milliards de dollars – soit environ 170% de son PIB –, le Liban «va restructurer sa dette conformément à l'intérêt national», a ajouté le chef du gouvernement désigné fin décembre, plus de deux mois après le début d'un mouvement de contestation inédit contre la classe politique accusée de corruption et d'incompétence.
Il s'agit de la première décision majeure du gouvernement formé en janvier après des semaines de manifestations, dans un pays qui fait face à sa pire crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Le 9 mars, l'Etat devait rembourser 1,2 milliard d'Eurobonds – des bons du Trésor émis en dollar –, dont une partie est détenue par les banques locales et la Banque centrale. Sur l'ensemble de l'année 2020, le pays devait en théorie honorer 4,6 milliards de dollars de dette, a précisé Hassan Diab.
Plan de sauvetage
La restructuration de la dette fera partie d'un vaste plan de sauvetage visant à réaliser plus de 350 millions de dollars d'économies par an, a déclaré le Premier ministre. Hassan Diab s'est également engagé à mener à bien les réformes promises en 2018 dans le cadre d'une conférence d'aide internationale, contre 11,6 milliards de dollars de dons et de prêts qui n'ont toujours pas été débloqués.
Le Premier ministre a également préconisé une restructuration du secteur bancaire, le montant total des dépôts représentant environ quatre fois celui de l'économie du pays. Les banques libanaises détiennent près de la moitié des 30 milliards d'Eurobonds émis par l'Etat. Craignant un épuisement de leurs réserves en devises étrangères, elles ont déjà imposé des restrictions drastiques ces derniers mois.
Plusieurs établissements ont ainsi plafonné les retraits à 100 dollars par semaine, et interdit les transferts d'argent vers l'étranger, suscitant la colère des Libanais qui craignent aussi que leurs dépôts soient ponctionnés. Au Liban, le dollar est utilisé au quotidien, au même titre que la livre libanaise.
«Comment pourrions-nous payer les créanciers alors que les Libanais ne peuvent pas accéder à leur propre argent dans les banques ?», s'est interrogé Hassan Diab, affirmant vouloir œuvrer à la «protection des dépôts dans le secteur bancaire, surtout ceux des petits épargnants».
Les Libanais craignent par ailleurs l'accélération de la dépréciation de leur monnaie face au dollar. Le cours de la livre libanaise, indexé sur le billet vert depuis 1997 au taux fixe de 1 507 livres pour un dollar, a récemment frôlé les 2 700 livres pour un dollar dans les bureaux de change. Quant aux réserves en devises de la Banque centrale du Liban, essentielles pour maintenir ce système d'indexation, elles ont dégringolé ces derniers mois, totalisant 35,8 milliards de dollars fin février, contre 43,5 milliards en septembre 2018.
Une crise économique doublée d'une crise politique
Depuis octobre 2019, un mouvement de contestation agite le pays, réclamant une refonte du système politique et la démission d'une classe politique accusée d'incompétence et de corruption. La rue impute la situation actuelle à un cumul de mauvaises politiques au cours des trois dernières décennies. Le pays a commencé à s'endetter massivement à la fin de la guerre civile pour financer sa reconstruction, mais faute de réformes et de bonne gouvernance, le déficit public s'est creusé et la dette publique est passée de quelques milliards de dollars au début des années 1990 à plus de 90 milliards de dollars aujourd'hui.
Le 7 mars 2020, des manifestants ont défilé dans plusieurs villes du pays, dont Beyrouth et Tyr (sud), pour crier leur colère. «Nous ne devons pas payer le prix des lacunes du gouvernement», a lancé Nour, une manifestante de 16 ans devant le siège de la Banque centrale libanaise à Beyrouth.
A la demande de l'Etat, une mission d'urgence du Fonds monétaire international (FMI) a été dépêchée le mois dernier, mais aucune assistance financière de l'institution n'a été annoncée pour le moment. «Le Liban a besoin avant tout d'un plan imminent de restructuration de la dette […] sous l'égide du FMI», explique Marwan Barakat, chef du département de recherche à la Bank Audi. Mais certaines forces politiques locales, notamment le Hezbollah, ont récemment affiché leur opposition à une telle «mise sous tutelle».