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Les ex-présidents ivoirien, malien et sénégalais signeront-ils leur retour en politique en 2020 ?

Si certains anciens présidents ont décidé de rompre avec la chose publique, d’autres ont du mal à envisager la retraite. C'est le cas en Afrique de l'Ouest, où plusieurs ex-dirigeants ne semblent guère enclins à passer la main.

Bien qu'ils n'exercent plus, pour l'heure, de fonction exécutive de premier plan, plusieurs anciens chefs d’Etat ouest-africains entretiennent le mystère quant à leurs ambitions politiques personnelles. Laurent Gbagbo, Amadou Amani Touré, Abdoulaye Wade : un temps en retrait, ils ont effectué en 2019 un retour remarqué sur la scène politique de leur pays. Pour mieux en occuper les devants en 2020 ? 

Laurent Gbagbo : objectif présidentielle ? 

Depuis la Belgique, où il attend l'examen de l'appel du Parquet après son acquittement, le 15 janvier, de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale (CPI), l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo (2000-2010) ne souffle mot quant à un éventuel retour en politique. 

Ce silence cacherait-il en réalité une stratégie visant à mieux revenir dans son pays ? S’il est pour l’heure difficile de répondre à cette question, son principal avocat, Emmanuel Altit, a évoqué «l'hypothèse» que son client puisse être candidat à la prochaine présidentielle ivoirienne d'octobre 2020 et ainsi justifié, dans la foulée, le dépôt d’une demande de libération sans conditions.

«Laurent Gbagbo pourrait en effet, à la demande de responsables politiques du pays, être amené à participer à la campagne ou même être amené, par hypothèse, à poser sa propre candidature», a en effet écrit l'avocat dans une requête de 22 pages envoyée à la chambre d’appel de la Cour pénale internationale. Une hypothèse que l'intéressé n'a ni confirmée, ni infirmée, renforçant le doute sur ses velléités présidentielles. 

En attendant que Laurent Gbabgo ne révèle ses réelles intentions, son éventuelle candidature à la prochaine présidentielle n'est pas sans faire sourciller l'actuel chef d'Etat sortant, Alassane Ouattara. Début décembre, alors qu’il entretenait depuis plusieurs mois le mystère sur un éventuel troisième mandat, ce dernier a annoncé qu’il entendait briguer la magistrature suprême dans le cas où les anciens présidents Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié se lanceraient dans la course la magistrature suprême

«Mon intention, c'est bien de transférer le pouvoir à une nouvelle génération, mais attention, je ne le ferai que si tous ceux de ma génération comprennent que notre temps est passé [...] Si eux, ils décident d'être candidats, alors je serai candidat» a-t-il déclaré à Katiola, l’une des étapes d’une tournée de cinq jours dans le nord de la Côte d'Ivoire. Un avertissement qui a de facto instauré un duel virtuel entre les deux ennemis.  

Amadou Toumani Touré, prêt à «s'investir» pour résoudre la crise sécuritaire malienne 

Accueilli le 29 décembre par des milliers de personnes à Mopti, dans le centre du Mali, sa ville natale, l’ancien président malien Amadou Amani Touré (dit ATT) – renversé par un coup d’Etat en 2012 après dix années à la tête du pays – signe un retour symbolique, mais ô combien politique, dans son pays après un exil de sept ans au Sénégal.

Devant une foule enthousiaste, l’ancien chef d’Etat a assuré qu’il se mettait à la disposition de son pays pour résoudre la grave crise sécuritaire dans laquelle celui-ci est plongé. «Je m'investirai, je ferai tout ce qui est possible [en me basant] sur l'expérience que j'ai acquise, parce que je suis avant tout un soldat» a-t-il déclaré. «Je ne refuserai jamais de m'occuper des questions maliennes», a-t-il par ailleurs assuré.

Si l’ancien chef d’Etat de 71 ans n’a pas fourni plus de détails sur la manière dont il comptait réinvestir la scène politique malienne, ses partisans le voient jouer un rôle politique prépondérant : «S'il peut être utile au Mali, il le sera, ça c'est sûr. Il ne va pas se débiner», a affirmé à l’AFP l'ancien député Mohamed Coulibaly.

Le retour d'ATT intervient alors que le président malien, Ibrahim Bou Bacar Keita, est de plus en plus critiqué pour sa gestion des affaires du pays, notamment sur le plan sécuritaire. A l'instar des autres pays sahéliens, le Mali est frappé de plein fouet par le terrorisme et ce malgré les importants dispositifs militaires déployés dans la région.

A 93 ans, Abdoulaye Wade n’a pas dit son dernier mot

Malgré ses 93 ans, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012) n’a lui non plus guère exprimé son intention de quitter la vie politique. Rentré dans son pays en février 2019 après deux ans d'absence (il résidait alors en France), Abdoulaye Wade a effectué un retour fracassant sur la scène politique sénégalaise après que le Conseil constitutionnel a rejeté, un mois plus tôt, le dossier de candidature à la présidentielle de son fils, Karim Wade, en exil au Qatar.

Ce dernier, condamné en 2015 à six années de prison pour enrichissement illicite mais gracié en 2016 par le président Macky Sall, avait vu son dossier invalidé par la haute juridiction au motif qu'il n'avait pas fourni dans son dossier sa carte d’électeur (document que le principal intéressé ne pouvait fournir en raison de sa condamnation). En effet, en vertu de l’article L31 du code électoral sénégalais, un individu condamné à une peine de prison de cinq ans ou plus ne peut être inscrit sur les listes électorales. Fustigeant un scrutin «truqué» d’avance au profit de Macky Sall, Abdoulaye Wade avait alors appelé les Sénégalais à «brûler» les bulletins de vote.

Son fils écarté de la course présidentielle finalement remportée par Macky Sall, Abdoulaye Wade n’a pas pour autant dit son dernier mot. Moins de six mois après la présidentielle, le président sénégalais, qui est également chef de sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS), donne un coup de pouce à son fils - qui a par ailleurs été son ancien conseiller et ministre – en le nommant secrétaire général adjoint «chargé de l’organisation, de la modernisation et de l’élaboration des stratégies politiques». 

Une promotion qui ne fait pas l'unanimité au sein de cette formation, comme en témoigne la récente sortie sur RFI d’Oumar Sarr, ancien bras droit d’Abdoulaye Wade. Décrivant Karim Wade comme un homme «plus intéressé par les affaires que par la politique», il s’insurge : «Le PDS existe depuis 1974. Il ne faut pas venir comme cela et dire : "Mon père est vieux, je le remplace" et créer une espèce de fan-club Karim Wade - et dire que c’est cela, le parti. Donc, nous pensons que, ce qui l’intéresse, aussi, c’est de prendre éventuellement en otage le PDS pour l’utiliser plus tard pour ses affaires.»

Malgré les voix discordantes comme celle portée par Oumar Sarr, Abdoulaye Wade semble peu enclin à passer la main. Son récent entretien avec le président Macky Sall, avec qui il semble s'être réconcilié, et ses récentes rencontres, organisées chez lui, avec plusieurs représentants religieux et politiques du pays, ne laissent guère envisager une retraite politique pour 2020. 

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Malik Acher