Au lendemain des élections européennes, qui ont notamment vu nombre de partis populistes eurocritiques ou de formations écologistes renforcer leur présence à Bruxelles, le Parlement européen apparaît plus fragmenté que jamais. Si les forces pro-UE y ont conservé une nette majorité, le bipartisme en vigueur depuis 40 ans – PPE (Parti populaire européen) / S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) – est remis en cause.
Ces deux groupes, bien que restant les deux plus grands dans l'hémicycle, ne sont plus en mesure de constituer à eux seuls une majorité : leurs compromis habituels sur des textes législatifs ainsi que le partage des postes de pouvoir appartient dorénavant au passé.
Sans le PPE, il n'y a pas de majorité au niveau des partis démocrates. Donc nous sommes prêts, nous allons négocier, et bien sûr nous allons défendre le premier poste
Selon les dernières résultats consolidés, le PPE reste néanmoins, avec 179 sièges, contre 216 actuellement, la première force politique de l'hémicycle. Forts de cette victoire, ses dirigeants ont immédiatement réclamé la présidence de la Commission pour leur chef de file (ou «Spitzenkandidat», selon le terme allemand souvent usité) l'Allemand Manfred Weber, un conservateur dont le profil divise. Les sociaux-démocrates, deuxième groupe du Parlement à l'issue du scrutin avec 150 sièges, ont balayé d'un revers de main cette demande, laissant augurer de longues tractations dans la course désormais ouverte aux postes clés des institutions européennes.
Mais le PPE devrait pouvoir jouer sa dernière carte institutionnelle. «Nous avons gagné les élections et ce sera le Spitzenkandidat du PPE, Manfred Weber, [qui sera] président de la Commission», a ainsi déclaré le Français Joseph Daul, le président du Parti populaire européen, lors d'une soirée électorale à Bruxelles. «Sans le PPE, il n'y a pas de majorité au niveau des partis démocrates. Donc nous sommes prêts, nous allons négocier, et bien sûr nous allons défendre le premier poste», a-t-il ajouté.
Emmanuel Macron vent debout contre cette perspective
Le président français, Emmanuel Macron est opposé à la méthode du «Spitzenkandidat», où les parlementaires européens doivent choisir le président de la Commission parmi les candidats proposés par les principaux partis qui siègent à Strasbourg. Mais il reste isolé.
Si tous les chefs d'Etats et de gouvernement ne se sont pas encore positionnés publiquement quant à une éventuelle réforme du «Spitzenkandidat», le Premier ministre néerlandais Mark Rutte s'est rangé du côté d'Emmanuel Macron alors que le chancelier autrichien Sebastian Kurz a en revanche expliqué que ce procédé électoral devait être accepté par le peuple. Dans la même veine, Angela Merkel a donné sa bénédiction à Manfred Weber afin qu'il brique le poste tant convoité.
Si c'est bien au Conseil européen (instance regroupant les chefs d'Etat et de gouvernement) que revient la charge de proposer aux parlementaires un nom pour diriger la Commission, nul part n'est écrit dans les traités que celui-ci doive obligatoirement être le «Spitzenkandidat» choisi par le parti majoritaire à Strasbourg. Le traité de Lisbonne oblige seulement le Conseil européen à «tenir compte des résultats des élections » dans le choix de son candidat la présidence. Emmanuel Macron a ainsi prévenu à plusieurs reprises qu'il souhaitait que les dirigeants européens puissent s'affranchir de cette règle tacite.
En déplacement dans la ville roumaine de Sibiu le 9 mai pour une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement européens, le locataire de l'Elysée a confié avoir été «clair depuis le début sur ce sujet» et ne pas croire que cela soit la «bonne manière» d'opérer, sauf «à faire des vraies listes transnationales européennes».
Réputé moins conservateur que Manfred Weber, le Français Michel Barnier – un éléphant de Bruxelles également membre du PPE et qui mène actuellement les négociations du Brexit avec le Royaume-Uni – aurait les faveurs du président de la République. Mais alors que la liste présidentielle a perdu son pari d'arriver en tête en France, le chef de l'Etat – qui appelle de ses vœux une alliance avec les sociaux-démocrates et certains chrétiens-démocrates et écologistes – pourra-t-il peser sur cette décision ?
Alors que la méthode du «Spitzenkandidat» a été élaborée dans le but d'associer les parlementaires européens à la désignation du président de la Commission européenne – organe exécutif de l'UE disposant de nombreux pouvoirs – elle aboutit aujourd'hui à la mainmise d'un seul parti sur ce scrutin, le PPE étant majoritaire au Parlement depuis 1999.
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