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Washington ne ravitaille plus les avions de la coalition saoudienne au Yémen : un effet d'annonce ?

Sur fond de pression internationale, Washington et Riyad ont décidé de cesser les opérations de ravitaillement en vol des avions de la coalition saoudienne par les Etats-Unis. Une annonce en trompe-l'oeil, alors que les combats continuent à Hodeida.

Alors que les forces progouvernementales yéménites se sont emparées ce 10 novembre du plus grand hôpital de la ville portuaire stratégique de Hodeida, tenue par les rebelles houthis, la coalition militaire sous direction saoudienne, qui mène une offensive militaire au Yémen depuis 2015, a annoncé le même jour avoir demandé aux Etats-Unis de cesser leurs opérations de ravitaillement en vol de ses avions. Elle est en effet désormais en mesure de les assurer elle-même.

Une demande immédiatement approuvée par Washington, et qui tombe à point nommé. Le Pentagone faisait en effet face aux réclamations insistantes des parlementaires américains, aussi bien républicains que démocrates, pour que les Etats-Unis mettent immédiatement fin à leurs opérations de ravitaillement des avions de la coalition saoudienne opérant au Yémen, faute de quoi ils menaçaient de faire adopter des mesures au Sénat.

L'affaire Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné en octobre dans l'ambassade de son pays à Istanbul, a pointé les projecteurs sur la guerre au Yémen et de fait, sur le soutien militaire apporté par les Etats-Unis à la coalition dirigée par Riyad.

«Nous soutenons la décision du Royaume d'Arabie saoudite, après consultations avec le gouvernement américain, d'utiliser les capacités militaires propres de la Coalition pour effectuer les ravitaillements en vol en soutien de ses opérations au Yémen», a déclaré dans un communiqué le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis.

«Récemment, le Royaume et la Coalition ont accru leur capacité à mener indépendamment le ravitaillement en vol au Yémen. En conséquence, en consultation avec les Etats-Unis, la Coalition a demandé la cessation du soutien au ravitaillement en vol pour ses opérations au Yémen», précisait plus tôt l'agence de presse saoudienne SPA.

Le Washington Post avait de son côté évoqué le 9 novembre cette question des ravitaillements en vol américains, affirmant que les Etats-Unis avaient décidé, sous la pression de parlementaires, de cesser de ravitailler les avions de la coalition sous commandement saoudien, mettant ainsi fin à leur soutien le plus concret. Mais Washington a poliment laissé Riyad annoncer la nouvelle.

Malgré cette mesure, rien n'indique cependant que les Etats-Unis vont arrêter de vendre des armes à l'Arabie saoudite. Des experts en munitions révélaient en effet publiquement mi-août que la bombe qui a tué 40 enfants yéménites le 9 août 2018 était de fabrication américaine

Perspective de paix encore lointaine

Après l'échec en septembre d'une médiation de l'ONU, la coalition a annoncé la reprise de l'assaut sur le port stratégique de Hodeida, dans l'ouest du Yémen, qui s'est intensifié à partir du 1er novembre, faisant 110 morts parmi les rebelles houthis qui contrôlent cette ville, et tué 22 combattants des forces progouvernementales tentant de la reprendre, selon des informations recueillies par l'AFP.

Ce bilan porte à 382 le nombre de combattants des deux camps tués depuis le 1er novembre. Pourtant, le 30 octobre, Jim Mattis avait demandé que des négociations de paix s'ouvrent dans les 30 jours, soutenant que l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis y étaient «prêts». 

«Les Etats-Unis et la coalition prévoient de collaborer au renforcement des forces yéménites légitimes pour défendre le peuple yéménite, sécuriser les frontières de leur pays, et contribuer à contrer les efforts d'Al-Qaïda et de Daesh au Yémen et dans la région», a ajouté Jim Mattis ce 10 novembre. Une déclaration qui a de quoi semer la confusion car si les Etats-Unis entendent lutter contre ces deux organisations djihadistes au Yémen, la coalition menée sous l'égide de l'Arabie saoudite semble, pour sa part, combattre en priorité les rebelles houthis, eux-mêmes ennemis de Daesh et d'Al-Qaïda, mais soutenus par l'Iran, bête noire historique de Riyad.

La coalition «espère voir la fin de l'agression des milices houthis soutenues par l'Iran contre le peuple yéménite et contre des pays de la région, notamment la menace des missiles balistiques et des drones», selon des propos rapportés par l'agence saoudienne SPA ce 10 novembre.

Depuis 2015, le Yémen est le théâtre d'une guerre opposant les rebelles chiites houthis, qui contrôlent le port de Hodeida ainsi que la capitale yéménite Sanaa, à une coalition arabe sous commandement saoudien cherchant à rétablir le gouvernement réfugié à Aden, dans le sud du pays.

La coalition bombarde régulièrement le Yémen, causant des milliers victimes civiles, dont un grand nombre d'enfants. Au mois d'août, au moins 66 enfants ont été tués dans des frappes de la coalition saoudienne. En plus de trois ans, le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et est à l'origine de la pire crise humanitaire au mondeselon l'ONU. Selon les données des Nations unies, le bilan était de 10 000 morts en août 2016, un chiffre qui serait très largement dépassé aujourd'hui. Désormais, il se rapprocherait des 56 000 morts, selon une estimation indépendante citée par The Independent.

Meriem Laribi

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