Alors que l'Arabie saoudite a reconnu ce 20 octobre, 17 jours après sa disparition, que le journaliste critique du royaume, Jamal Khashoggi, avait été tué à l'intérieur du consulat d'Istanbul, de nouveaux éléments de défense émanant des autorités saoudiennes ont été communiqués à l'agence de presse Reuters, ce 21 octobre. Et ils contredisent sur certains points la première version contestée, fournie par Riyad.
Selon un haut responsable du gouvernement saoudien cité par l'agence, Jamal Khashoggi serait décédé des suites d'«erreurs» commises par l'équipe chargée de «négocier» le retour du journaliste en Arabie saoudite. Cette même source a également assuré qu'il aurait malencontreusement été tué par un «étouffement» censé l'empêcher d'élever la voix au cours de son entrevue.
Ils ont paniqué après sa mort, ce qui les a amenés à dissimuler l'incident
Cette «négociation» aurait eu pour base la volonté saoudienne de superviser «le retour des opposants» à Riyad, dans le but que ces derniers ne soient pas recrutés par des ennemis du royaume. Selon la source citée par Reuters, la négociation n'aurait pas nécessité l'accord des dirigeants saoudiens dans ce cas précis car un «ordre permanent» donne pour mission aux services de sécurité et de renseignements saoudiens de faciliter le retour des opposants.
Toujours d'après le même haut responsable, les membres de l'équipe de négociation, au nombre de 15, auraient «outrepassé leurs pouvoirs», fait usage de violence et «enfreint les ordres». «Ils ont paniqué après sa mort, ce qui les a amenés à dissimuler l'incident», a-t-il encore estimé. Selon la source, un «faux» rapport de l'incident aurait ensuite été communiqué par cette équipe aux autorités saoudiennes, amenant ces dernières à procéder, plus de deux semaines après les faits, à l'arrestation de 18 suspects (dont les 15 membres de l'équipe de négociation). Dans le document, il aurait été affirmé que Jamal Khashoggi était sorti vivant du consulat.
Un des négociateurs serait sorti du consulat habillé des vêtements de Jamal Khashoggi
Le plan initial de l'équipe de négociation aurait été de retenir Jamal Khashoggi dans une résidence sécurisée dans les environs d'Istanbul, afin de le convaincre de revenir en Arabie saoudite et de le relâcher s'il refusait.
Mais, devant le refus de Jamal Khashoggi, qui aurait alors haussé la voix pour alerter de sa situation, les services saoudiens auraient rapidement employé la violence pour le faire taire.
Le journaliste serait donc mort étouffé alors qu'une ou plusieurs personnes lui couvraient la bouche, selon le témoignage du haut responsable saoudien. Pour maquilleur leur méfait, les individus impliqués auraient enroulé l'opposant dans un tapis, l'auraient transporté dans un véhicule consulaire puis l'auraient remis à un collaborateur local afin qu'il s'en débarrasse.
Un des membres de l'équipe, expert en médecine légale, aurait nettoyé les traces du meurtre laissées dans le consulat. Un autre serait sorti par une porte dérobée, habillé des vêtements, lunettes et montre de marque Apple de Jamal Khashoggi, afin de faire croire qu'il était sorti du bâtiment diplomatique.
Une nouvelle version qui contredit la précédente ?
Cette nouvelle version présentée par le haut responsable ne répond pas à la question de savoir pourquoi autant de personnes, dont des militaires et un médecin-légiste spécialisé dans les autopsies, avaient été mobilisé, si le but n'était que de convaincre le journaliste de rentrer en Arabie saoudite.
Par ailleurs, les nouveaux éléments avancés contredisent pour certains la version officielle des événements, présentée par le procureur général saoudien Cheikh al-Mojeb le 19 octobre. 17 jours après la disparition du journaliste, le procureur affirmait : «Les discussions qui ont eu lieu entre [Jamal Khashoggi] et les personnes qui l'ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing [...] ce qui a conduit à sa mort.»
Riyad a en revanche réfuté les détails plus sordides de la mort du journaliste, à savoir, comme le rapportait le site Middle East Eye, que Jamal Khashoggi aurait été découpé vivant par un médecin légiste. En outre, les autorités saoudiennes, qui plaident l'accident, nient que le prince héritier Mohammed ben Salmane ait une quelconque responsabilité dans la mort du journaliste et blâment le renseignement saoudien.
Tout en reconnaissant qu'il restait à éclaircir certaines questions, le président américain Donald Trump a jugé «crédible» la version officielle avancée par l'Arabie saoudite. Qualifiant la mort du journaliste saoudien d'«inacceptable», il a cependant jugé qu'il était trop tôt pour d'éventuelles sanctions, avançant notamment des arguments d'ordre économique.
De son côté, l'Union européenne a exigé le 20 octobre une enquête complète, afin que les responsabilités soient établies. Londres n'a pas jugé crédibles les premières explications saoudiennes, des explications qualifiées d'insuffisantes par Berlin, alors que Paris remarque que «de nombreuses questions restent toutefois sans réponse» dans cette affaire.