Depuis une semaine, la ville de Chemnitz, dans l'est de l'Allemagne, est au centre d'une attention médiatique sans précédent. L'ancienne «Karl-Marx-Stadt» est en effet le théâtre de manifestations marquées par des débordements après le meurtre d'un Allemand pour lequel deux jeunes immigrés sont soupçonnés.
La presse internationale et la presse allemande pointent du doigt l'«extrême droite» ; les manifestants quant à eux accusent les journalistes de passer sous silence les crimes commis par des immigrés. Sur fond de crise migratoire devenue crise politique, l'affaire s'est complexifiée avec l'ouverture d'une enquête sur la fuite d'un mandat d'arrêt. Pour y voir clair, voici les réponses aux six principales questions que soulève ce nouvel épisode médiatico-politique outre-Rhin.
Quelle est l'agression qui a mis le feu aux poudres ?
Le 25 août dernier, un jeune Allemand, présenté sous le nom de Daniel H., âgé de 35 ans a été tué à Chemnitz au cours d'une altercation avec deux jeunes immigrés. L'un des deux suspects est un Syrien de 23 ans, l'autre un Irakien 22 ans. Cette agression a beaucoup ému la population locale.
Aussi des rumeurs ont-elles commencé à circuler. Certaines affirment par exemple que la victime a été poignardée en tentant de défendre son épouse. Or il est pour l'heure difficile d'établir avec certitude les circonstances du drame. Selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung, la victime serait un père de famille, charpentier de profession.
Que sait-on des agresseurs ?
C'est le profil de Yousif A. qui est à ce stade le plus connu, notamment grâce à des révélations faites par le magazine Spiegel le 31 août. Arrivé en Allemagne par la route des Balkans en 2015, il aurait présenté un dossier de demande d'asile grossièrement falsifié, ce qui avait retenu l'attention du Bureau fédéral pour la migration et les réfugiés (BAMF). Les autorités allemandes alors voulu l'expulser, mais les délais pour ce faire étant écoulé, il aurait ainsi pu rester en Allemagne.
Yousif A. avait renouvelé ses démarches auprès du BAMF à plusieurs reprises, y compris quelques jours à peine avant le meurtre de Daniel H. Selon plusieurs sources policières, il avait déjà été condamné à plusieurs reprises, notamment pour des agressions physiques.
Comment ont débuté les manifestations ?
A l'appel du mouvement Pegida (Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident), une première manifestation a été organisée dès le lendemain, rassemblant plusieurs centaines de personnes. Plusieurs incidents ont alors éclaté : étrangers pourchassés ou agressés, altercations avec la police...
Plusieurs jours de manifestations et de contre-manifestations s'en sont alors suivis, dans un climat de tension élevé. Le 27 août au soir, on dénombrait quelque 8000 manifestants scandant des slogans hostiles aux étrangers et que les 590 policiers présents ont eu du mal à contenir. D'autant plus que des contre-manifestants de la gauche radicale s'étaient eux aussi donné rendez-vous sur place. Plusieurs personnes ont été blessées au cours d'affrontements.
Quelles ont été les réactions politiques ?
Les débordements du 27 août ont défrayé la chronique dans tous le pays et ont conféré aux épisodes de Chemnitz un caractère national. «La haine dans la rue n'a pas sa place en Allemagne», a mis en garde la chancelière Angela Merkel. A l'unisson, la gauche et la droite (à l'exception du parti anti-immigration AfD) ont condamné la flambée de violence en l'attribuant à l'extrême droite. Même le haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme a réagi, qualifiant ces manifestations de «choquantes».
Le ministre de l'Intérieur, Horst Seehofer, s'est en revanche illustré par un silence qu'il n'a rompu que ce 28 août. Il a offert l'aide de la police fédérale à la police saxonne et en a profité pour exprimer ses condoléances à la famille de l'homme tué à coups de couteau. Cette déclaration a ravivé les critiques d'une partie de la gauche qui accuse le parti d'Angela Merkel de complaisance avec l'extrême droite en Saxe.
Ces manifestations sont-elles d'extrême droite ?
Les rassemblements de ces derniers jours ont principalement eu lieu à l'appel de Pegida, de l'AfD et du groupe Pro-Chemnitz, un «mouvement citoyen» fondé en 2009, ayant déjà concouru aux élections locales. Qualifiés d'«extrême droite» par la presse, ces formations rejettent toutefois cette étiquette. En revanche, des saluts hitlériens et des slogans nazis ont bel et bien été observés à plusieurs reprises. En outre, les agressions commises contre des étrangers ne laissent aucun doute quant à la participation d'individus aux motivations clairement xénophobes.
Toutefois, si de nombreux médias n'hésitent pas à en conclure que ce sont des «manifestations d'extrême droite», tous les participants sont loin d'être des militants politiques. Le 30 août, ils étaient plus d'un millier de personnes, parmi lesquelles de nombreuses familles, devant le stade de la ville où le ministre-président de Saxe, Michael Kretschmer (membre de la CSU, le parti d'Angela Merkel) et la maire social-démocrate de la ville, Barbara Ludwig, tenaient une réunion (prévue de longue date mais prenant nécessairement une tournure particulière au vu des événements). Le rassemblement, à l'occasion duquel 1200 policiers étaient mobilisés, s'est déroulé sans incident.
Pourquoi la police est-elle mise en cause ?
Le 29 août, l'affaire a pris un nouveau tour après l'ouverture d'une enquête concernant la fuite sur internet d'un mandat d'arrêt visant l'Irakien de 22 ans. Ce document confidentiel contenant l'adresse et l'identité du suspect, révélait qu'il était un demandeur d'asile, et apportait des précisions sur le meurtre (Daniel H. a succombé à plusieurs coups de couteau au thorax). Sa diffusion sur des pages Facebook de militants et de responsables politiques de l'extrême droite locale a soulevé de virulentes critiques à l'égard des autorités saxonnes.
Le lendemain, un gardien de prison, fonctionnaire du ministère saxon de la Justice, avouait être à l'origine de la fuite. Il a expliqué avoir agi en toute conscience afin que «le public sache ce qui s'est passé». Accusant les médias de «manipuler la population» et de mentir, il a immédiatement été suspendu et risque désormais une peine de prison. Lors du rassemblement du 30 août, il a été comparé par un militant politique, lors d'une prise de parole, au lanceur d'alerte Edward Snowden.
Ce problème est-il nouveau ?
Les événements de Chemnitz cristallisent plusieurs tensions déjà anciennes. Le Land de Saxe, l'un de ceux où l'AfD réalise ses meilleurs scores (plus de 25% aux élections fédérales de 2017), est le berceau de Pegida. Les relations entre la police locale et les mouvances d'extrême droite font régulièrement l'objet de critiques. A ce «problème saxon» historique et identifié depuis plus de 20 ans s'ajoute désormais l'hostilité croissante des Allemands à la politique migratoire d'Angela Merkel.
Quant à la défiance des manifestants envers la presse, elle s'inscrit dans le sillage des événements de Cologne, précédent notable dans l'histoire des relations délicates entre les journalistes et les faits-divers impliquant des immigrés. Accusés de minimiser ou dissimuler les délits et crimes commis par les étrangers, les médias, quant à eux, ne font pas toujours dans la nuance lorsqu'il s'agit de brosser le portrait des manifestants. De quoi jeter de l'huile sur le feu dans un climat déjà explosif.